Comme vous le savez, l'examen du projet de loi de finances intervient dans un contexte de crise économique et financière qui a conduit le Gouvernement à ramener sa prévision de croissance pour 2012 de 1,75 % à 1 %.
Ce ralentissement marqué de la croissance aura nécessairement des conséquences négatives sur l'emploi. D'ores et déjà, nous pouvons constater que le chômage est reparti à la hausse depuis le mois d'avril. En 2012, il est vraisemblable que le nombre de demandeurs d'emploi continuera à augmenter, une croissance de seulement 1 % étant insuffisante pour espérer une baisse du chômage.
Une telle dégradation appelle de la part de l'Etat une action volontariste pour limiter l'impact de la crise sur l'emploi et protéger les plus fragiles. Or c'est tout le contraire qui nous est proposé dans ce projet de budget : les crédits de la mission « Travail et emploi » s'inscrivent en baisse de 12 % par rapport à l'an dernier. De surcroît, le Gouvernement a fait adopter à l'Assemblée nationale deux amendements qui ont encore diminué de 85 millions les crédits de la mission, afin que celle-ci contribue à l'effort supplémentaire de réduction des dépenses décidé lorsque la prévision de croissance a été révisée.
Le Gouvernement essaie de minimiser l'ampleur de cette baisse : elle s'expliquerait par l'arrivée à échéance de mesures qui avaient été décidées dans le cadre du Plan de relance, par l'extinction progressive de dispositifs de préretraite et par l'effet de mesures d'économies votées l'an dernier, je pense notamment à la suppression de mesures d'exonérations de cotisations sociales.
La réalité est malheureusement moins rassurante. Ce projet de budget arrive à contretemps : il a été conçu à un moment où le Gouvernement tablait sur une reprise économique et se révèle inadapté à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Le Gouvernement a fait le choix, pour élaborer le projet de budget du travail et de l'emploi, de maintenir inchangées, en euros courants, la plupart des dotations votées en 2010 et en 2011. Ce choix appelle de ma part deux remarques :
- d'abord, il va de soi que la reconduction des crédits en euros courants équivaut à une légère baisse des dotations en euros constants, compte tenu de l'inflation ;
- ensuite, cette décision de maintenir les crédits empêche le Gouvernement d'adapter l'effort de l'Etat à l'évolution des besoins.
Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de la dotation de l'Etat à Pôle emploi. Depuis 2009, c'est-à-dire depuis la création de l'opérateur, la dotation de l'Etat a toujours été fixée à 1,36 milliard d'euros et elle resterait à ce niveau en 2012. Elle a donc, en réalité, légèrement baissé en valeur, du fait de la hausse des prix. Surtout, elle n'a pas été réévaluée pour tenir compte de l'augmentation du chômage de 30 % constatée depuis trois ans. Les agents de Pôle emploi doivent donc faire face à une charge de travail qui a considérablement augmenté, sans moyens supplémentaires. Il n'est guère surprenant, dans ces conditions, que les demandeurs d'emploi se plaignent d'un accompagnement insuffisant et que les agents expriment un réel malaise, dont le mouvement social de lundi n'est qu'un symptôme supplémentaire.
Une revalorisation des moyens du service public de l'emploi s'impose à l'évidence. Une telle dépense est, à mes yeux, un investissement, d'une part, parce qu'elle permet de réaliser des économies sur l'indemnisation des demandeurs d'emploi, d'autre part, parce qu'elle contribue à la sauvegarde de notre cohésion sociale et facilite les recrutements des entreprises.
Le Gouvernement négocie actuellement avec l'Unedic et Pôle emploi une nouvelle convention tripartite qui va fixer la « feuille de route » de l'opérateur. Les orientations envisagées rejoignent les préconisations formulées par la mission d'information sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider : plus grande personnalisation du service rendu aux demandeurs d'emploi en renforçant d'abord l'accompagnement de ceux qui en ont le plus besoin, redéploiement de moyens aujourd'hui affectés à des fonctions support, déconcentration de l'établissement pour favoriser son ancrage dans les territoires, définition de nouveaux indicateurs de résultats pour un meilleur pilotage de l'action de Pôle emploi.
Si la plupart des dotations restent inchangées par rapport à l'an dernier, quelques-unes s'inscrivent néanmoins en baisse sensible, à tel point que l'on peut craindre que plusieurs dispositifs se révèlent sérieusement sous-financés l'an prochain. Je prendrai là encore quelques exemples :
- la dotation pour les maisons de l'emploi est réduite de 30 millions d'euros, soit une baisse de 38 % par rapport à 2011 ; un amendement voté à l'Assemblée nationale a certes ramené cette baisse à seulement 15 millions mais la diminution de crédits demeure sensible ;
- la dotation de l'Etat au fonds de solidarité passe de 1,6 milliard à seulement 906 millions d'euros ; je rappelle que ce fonds finance plusieurs allocations versées aux demandeurs d'emploi en fin de droits, notamment l'allocation spécifique de solidarité (ASS) ; cette dotation risque de se révéler rapidement insuffisante, d'autant plus que le fonds devra prendre à sa charge, à partir de l'an prochain, la nouvelle allocation transitoire de solidarité (ATS), créée dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 ;
- l'insuffisance des crédits alloués au financement de l'activité partielle, autrefois dénommée « chômage partiel », est également préoccupante : la dotation inscrite dans le projet de loi de finances est ramenée à 30 millions en 2012, après 40 millions l'an dernier ;
- enfin, le nombre d'entrées en contrats aidés devrait diminuer fortement l'an prochain : en 2011, environ 420 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi (CAE) devraient être signés dans le secteur non-marchand, ainsi que 60 000 contrats initiative emploi (CIE) dans le secteur marchand ; le projet de budget ne permettrait plus de financer que 340 000 entrées en CAE et 50 000 entrées en CIE en 2012, ce qui ne me paraît pas à la hauteur des besoins.
Je tiens à souligner également la forte baisse des crédits alloués aux mesures d'âge, qui sont maintenant en voie d'extinction. Le dernier dispositif de préretraite publique encore ouvert, l'allocation spéciale du fonds national de l'emploi (ASFNE), a été supprimé par l'Assemblée nationale, à l'initiative du Gouvernement. Les crédits prévus pour financer les préretraites ne seront plus que de 79,5 millions d'euros l'an prochain, alors qu'ils atteignaient encore 122 millions en 2011.
J'ajoute que l'allocation équivalent retraite (AER), qui avait été rétablie à titre provisoire, en 2009 et 2010, pour faire face à la crise, a été supprimée à compter du 1er janvier 2011. Elle n'est que partiellement remplacée par l'ATS puisque cette nouvelle allocation ne peut être versée qu'à des demandeurs d'emploi nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953 et qui étaient indemnisés par l'assurance chômage à la date du 10 novembre 2010.
Autrement dit, les salariés âgés qui perdent leur emploi et qui ont, nous le savons tous, beaucoup de difficultés à retrouver un poste de travail, n'auront bientôt plus accès à un dispositif de préretraite quel qu'il soit. Ils devront se contenter des minima sociaux, une fois que leurs droits à l'assurance chômage auront été épuisés, en attendant d'atteindre l'âge de la retraite, porté à soixante-deux ans à partir de 2017, et ce même s'ils ont suffisamment cotisé pour avoir droit à une retraite à taux plein. A l'évidence, cette situation n'est pas satisfaisante et devra être revue dans le cadre d'une réforme plus équitable des retraites.
En matière de formation, je ne peux que regretter l'absence de traduction budgétaire des objectifs volontaristes affichés par le Gouvernement. Je rappelle que le Président de la République a souhaité, le 1er mars 2011, que 800 000 jeunes soient formés par la voie de l'alternance en 2015, ce qui suppose d'augmenter le nombre d'alternants d'un tiers en quatre ans.
Pourtant, en 2012, le montant des exonérations de cotisations compensées à la sécurité sociale au titre des contrats d'apprentissage devrait atteindre 1,33 milliard d'euros, soit un montant très voisin de celui prévu en 2011, et 17,4 millions au titre des contrats de professionnalisation, en légère baisse par rapport à l'an dernier.
Par ailleurs, la dotation générale de décentralisation versée par l'Etat aux régions au titre des compétences transférées en matière de formation professionnelle resterait fixée, pour la troisième année consécutive, à 1,7 milliard d'euros.
En outre, des dépenses de formation qui devraient normalement être financées par l'Etat vont être mises à la charge du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Le Gouvernement propose en effet de prélever l'an prochain 300 millions d'euros sur les ressources de ce fonds et de les affecter :
- à l'association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), à hauteur de 75 millions, au titre de sa participation au service public de l'emploi et pour le financement de la mise en oeuvre des titres professionnels délivrés par le ministère de l'emploi ;
- à l'agence de services et de paiement (ASP), à hauteur de 200 millions, pour le financement de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle ;
- à Pôle emploi, à hauteur de 25 millions, pour le financement de l'allocation en faveur des demandeurs d'emploi en formation (Afdef).
Je signale que le projet de loi de finances comporte, pour la première fois, un compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage », qui rassemble 360 millions d'euros de crédits destinés au financement des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens passés avec les régions et 15 millions destinés à la mise en oeuvre du dispositif de bonus-malus qui a été créé pour inciter les entreprises à recruter des jeunes en alternance.
En conclusion, vous l'aurez compris, je ne suis pas favorable à ce projet de budget, qui ne me paraît pas à la hauteur des enjeux, et je vous proposerai, en conséquence, d'en rejeter les crédits.
Une autre politique de l'emploi et de la formation, compatible avec la réduction des déficits publics, est possible et nécessaire. Il convient d'abord de remettre en cause certaines niches fiscales et sociales qui ont peu d'effets sur l'emploi. Il faut savoir que le montant des dépenses fiscales liées à la politique de l'emploi atteint 10 milliards d'euros, soit autant que les crédits de la mission, et que les exonérations de cotisations sociales coûtent 30 milliards chaque année.
La suppression de l'exonération sur les heures supplémentaires permettrait, à elle seule, de récupérer 4,5 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Cette somme pourrait être affectée, pour partie, à la réduction du déficit de l'Etat et pour partie à la remise à niveau des crédits de la mission. Une telle mesure n'aurait pas d'effet négatif sur l'emploi, bien au contraire : il est contre-productif de subventionner les heures supplémentaires, et donc de décourager les créations d'emploi, alors que tant de nos concitoyens sont au chômage.
Nous devrions également réfléchir à un meilleur ciblage des allègements de cotisations sociales, qui pourraient par exemple être utilisés pour inciter les employeurs à recruter davantage de jeunes et de seniors, deux classes d'âge particulièrement touchées par le chômage. Une telle mesure serait un puissant facteur de cohésion entre les générations, alors que l'on a trop souvent tendance à considérer qu'un senior au travail prive un jeune de son emploi.
Avant de vous laisser la parole, mes chers collègues, je voudrais dire un mot des six articles rattachés aux crédits de la mission :
- l'article 62 vise à pérenniser une mesure, adoptée en 2010, consistant à majorer l'aide versée par l'Etat pour les contrats aidés conclus avec des ateliers et chantiers d'insertion ;
- l'article 62 bis, inséré par l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, tend à supprimer l'ASFNE ; je vous proposerai tout à l'heure, pour les raisons que j'ai indiquées, le maintien de cette mesure et donc la suppression de l'article ;
- l'article 63 est relatif au prélèvement de 300 millions d'euros opéré sur le FPSPP ; il ne me paraît pas acceptable que l'Etat se désengage de la politique de formation professionnelle au détriment d'un fonds paritaire, qui a ses propres missions à assumer, et je vous proposerai donc ici aussi la suppression de cet article ;
- l'article 63 bis, adopté par l'Assemblée nationale sur proposition du président Jean-Luc Warsmann, prévoit de prolonger de deux ans les exonérations fiscales et sociales applicables dans les bassins d'emploi à redynamiser ;
- l'article 63 ter, adopté par l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, introduit une mesure technique relative au mode de calcul de la taxe d'apprentissage dans les départements alsaciens et en Moselle, qui sont soumis, dans ce domaine, à des règles de droit local ;
- enfin, l'article 63 quater tend à exonérer d'impôts, droits et taxes les transmissions de biens effectuées entre organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) dans le cadre de leurs regroupements ; vous savez que la loi du 24 octobre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, oblige les Opca qui n'atteignent pas un certain seuil de collecte à se regrouper à partir du 1er janvier 2012 ; il est d'usage, lorsque la transmission de biens est rendue obligatoire par une réforme législative, de prévoir une telle mesure d'exemption.