L'examen des crédits pour 2012 de la mission « Outre-mer » porte tout d'abord la marque de la crise économique et des résultats de la gestion des finances publiques depuis 2007, qui ont tous deux conduit le Gouvernement à décider de mesures d'austérité frappant encore plus durement nos départements et collectivités d'outre-mer, en vertu du principe, édicté par la ministre de l'outre-mer, d'une égale contribution de ces derniers à l'effort national.
Le contexte actuel se caractérise aussi par une dégradation de la situation locale, du point de vue économique et social, comme l'illustre Mayotte depuis de trop longues semaines. Plus de deux ans après le vote de la loi pour le développement économique des outre-mer, de la tenue des états généraux et de la réunion du premier - et unique - conseil interministériel de l'outre-mer, la récurrence du thème de la « vie chère » traduit avec acuité l'absence de résultats concrets de la politique menée ces dernières années par le Gouvernement.
Le chômage est reparti à la hausse en 2010 et atteint 24 % en Guadeloupe, 21 % en Martinique et en Guyane, et 29,5 % dans mon département, La Réunion. Le taux de chômage des jeunes et la part des foyers percevant le RSA y culminent respectivement à 55 % et 10 %, alors que ces chiffres sont de 22 % et d'à peine 3 % dans l'hexagone.
Que de chemin à parcourir pour approcher l'équité entre les territoires !
Face à ce sombre tableau, les crédits de la mission « Outre-mer » ne permettent de relever aucun défi et ne montrent aucune ambition.
A la suite d'un amendement de dernière minute présenté par le Gouvernement pour « mettre en oeuvre le plan d'économies supplémentaires annoncé par le Premier ministre le 24 août », ce budget est même sorti encore plus écorné des débats à l'Assemblée nationale.
Si le niveau de 1,98 milliard d'euros de crédits de paiement inscrits pour 2012 paraît stable par rapport à 2011, on enregistre en réalité une baisse du fait de l'inflation.
Les crédits de la mission, qui représentaient 0,58 % du budget de l'Etat en 2006, n'en représentent plus aujourd'hui que 0,5 %. C'est une claire traduction du désengagement de l'Etat.
En outre, dans la continuité des années précédentes et des réformes successives qui les ont déjà sensiblement réduites, les dépenses fiscales diminueront de 11,4 % en 2012, soit 382 millions d'euros qui feront défaut pour le développement de l'outre-mer.
Chacun en est conscient, le sujet est très sensible car, pour des raisons idéologiques, la dépense fiscale a souvent été préférée à la dépense budgétaire au cours des dernières années. A son corps défendant, l'outre-mer est devenu très dépendant de ce type de dépenses qui atteignent presque 3 milliards d'euros en 2012, soit bien davantage que les 2 milliards de crédits de la mission « Outre-mer », dont la moitié est, qui plus est, versée par l'Etat aux organismes de sécurité sociale en compensation des exonérations spécifiques de charges sociales !
Le rapport Guillaume publié cet été chiffrait les dépenses fiscales de la Nation à environ 66 milliards d'euros, à rapporter à un montant total des dépenses de l'Etat de 370 milliards. L'économie proposée pour 2012 ne représente donc qu'une part dérisoire de 0,1 % mais elle a des conséquences désastreuses pour les économies ultramarines.
Je soutiens la lutte contre les niches fiscales et sociales injustes, improductives voire irresponsables, comme celles du « paquet fiscal », mais sous réserve qu'elle soit précédée d'un audit préalable, sérieux, objectif et sans concession. Pour des territoires comme les nôtres, fragilisés économiquement, socialement et humainement, la suppression de ces leviers financiers devrait au moins être compensée par des dotations budgétaires équivalentes.
Rappelons tout de même que la suppression de l'abattement du tiers de l'impôt sur les sociétés (IS), qui vient d'être décidée, coûtera 100 millions d'euros eux TPE et PME ultra-marines, alors que Gilles Carrez estimait à 6 milliards d'euros le manque à gagner fiscal sur cet impôt imputable aux grandes entreprises. En effet Total, Saint-Gobain, Essilor ou Danone ne contribuent pas d'un euro à l'impôt sur les sociétés. Comment se résigner à supporter des injustices aussi flagrantes ?
J'en viens plus précisément aux crédits en rappelant tout d'abord que la compensation que verse l'Etat aux organismes de sécurité sociale pour les exonérations de charges spécifiques à l'outre-mer est régulièrement sous-budgétée ; 2012 ne devrait pas échapper à la règle.
Quant aux crédits consacrés au service militaire adapté, ils progressent dans le cadre de la réforme en cours. Cette dernière prévoit en effet une augmentation importante du nombre de volontaires pris en charge, d'une part, et une réduction de la durée de formation dispensée à une partie d'entre eux, d'autre part. Entre 2010 et 2014, le nombre de jeunes accueillis chaque année devrait ainsi passer de 3 000 à 6 000. J'espère toutefois que le raccourcissement de certaines formations ne viendra pas en réduire la qualité, alors que le rôle joué par le SMA en matière de réinsertion pour des jeunes particulièrement éloignés du marché du travail est unanimement reconnu.
Aussi est-il surprenant que la version de l'amendement gouvernemental adopté en première lecture à l'Assemblée nationale ait prévu un abattement de crédits de 5 millions d'euros. Je prends acte de l'engagement pris par la ministre, lors du débat, de revenir sur cette amputation. Mais il nous faudra rester vigilant, car ce à quoi l'on assiste en ce moment relève souvent de l'improvisation.
S'agissant des crédits alloués à la mobilité des stagiaires en formation professionnelle, on assiste à un véritable effondrement.
Il est en effet prévu de les diminuer de 14,7 % entre 2010 et 2012, alors que le besoin de formation prend une acuité toute particulière pour nos territoires. La proportion des actifs sans diplôme est deux fois supérieure en outre-mer par rapport à l'hexagone, et plus de 50 % de notre jeunesse connaît la précarité.
Dès lors, comment réussir à la former si les crédits ne cessent de régresser ? Nous sommes face à un abandon criant et un choix politique injustifiable.
En matière de logement, je rappellerai que la politique menée dans nos départements et collectivités relève de la compétence du ministère de l'outre-mer et est incluse dans une « ligne budgétaire unique » (LBU) qui a, hélas, été désacralisée au profit à la défiscalisation ces dernières années. Cette LBU reste à un niveau largement insuffisant pour faire face à des besoins qui sont immenses. En outre, une défiscalisation appliquée de façon incontrôlée au logement intermédiaire a entrainé une explosion du coût du foncier qui aboutit aujourd'hui à une grave crise du logement social. En effet, la spéculation foncière a très souvent été la règle. A La Réunion, elle a même pris une forme totalement inédite avec l'arrivée en 2005 sur le second marché boursier de l'hexagone d'une société qui spécule sur la terre réunionnaise !
Selon l'aveu même des services de l'Etat, il faudrait construire deux à trois fois plus de logements chaque année pendant les vingt ans à venir pour tenter d'inverser la tendance. Nous en sommes loin avec de tels budgets.