Intervention de William Gasparini

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 décembre 2010 : 1ère réunion
Femmes et sports — Audition de william gasparini sociologue et professeur à l'université de strasbourg

William Gasparini, Directeur de l'Équipe de recherche en Sciences sociales du sport (EA 1342), Université de Strasbourg :

Par contre, dans mes travaux sur les organisations sportives, le sport dans les quartiers et l'intégration par le sport, j'ai rencontré à mainte reprise les rapports sociaux de sexe, la domination masculine et les discriminations sexuelles dans l'accès aux activités sportives, et notamment à l'échelle européenne. Par ailleurs, je connais assez bien les pays du Sud, pour avoir travaillé au Maroc comme professeur d'éducation physique et sportive (EPS) il y a une vingtaine d'années, et je pars en mission très prochainement à l'université Saint Joseph de Beyrouth dans le cadre de l'Agence universitaire de la francophonie pour travailler avec des collègues libanais sur la question du sport et des communautés religieuses: nous avons tout intérêt à travailler avec nos collègues du Sud afin d'échanger nos pratiques et comparer nos recherches.

Le sport est un miroir de la société et façonne nos représentations. Les médias véhiculent une division sexuée : hommes et femmes ont chacun leurs compétitions. Je viens de codiriger un ouvrage collectif intitulé « Sport et discrimination en Europe » aux éditions du Conseil de l'Europe, qui traite de la discrimination subie dans l'accès au sport par les personnes handicapées, les minorités ethnoculturelles et les femmes, notamment dans les quartiers dits populaires, et dont souffrent surtout les femmes adultes et seniors. Mais les discriminations sexuelles dans l'accès aux pratiques physiques (sportives ou d'entretien) peuvent aussi relever de l'auto-exclusion, en raison de représentations, stéréotypes et poids des normes religieuses.

M. Thierry Terret, que vous avez auditionné la semaine dernière, a sans doute retracé le contexte historique de l'accès des femmes au sport. Pierre de Coubertin estimait que la compétition sportive devait être réservée aux « adultes mâles » : les sports de compétition modernes, souvent nés en Angleterre, se caractérisent en effet par la domination masculine. Malgré son féminin, l'institution sportive est de genre masculin. Si les activités de loisir se sont féminisées, le pouvoir, l'argent et la médiatisation des sports de compétition en perpétuent l'image andro-centrée.

Depuis les années 70-80, la pratique féminine s'est développée dans un contexte de démocratisation de l'accès au sport et d'émancipation des femmes. Les femmes qui travaillent rentrent dans un découpage entre temps de travail et temps de loisir ; elles ont paradoxalement plus d'activité de loisir que celles qui restent à la maison. En outre, la sociabilité professionnelle se prolonge dans le cadre des loisirs.

En France, l'EPS est obligatoire à l'école. La gymnastique a été rendue obligatoire dans le primaire en 1880 : cette culture gymnique participe du projet républicain de diffusion d'une éducation corporelle commune ainsi que d'une l'hygiène de vie. Le sport de compétition à l'anglo-saxonne, réservé à la jeunesse masculine, est en revanche longtemps resté le privilège des lycées bourgeois, où l'on estimait qu'il formait le caractère, le self government, l'esprit d'initiative pour les futurs capitaines d'industrie.

Une précision tout d'abord : en France, les cours d'EPS sont mixtes, même si cela suppose de renoncer à certaines disciplines « trop viriles » et de privilégier souvent des disciplines « neutres » ou « asexuées ». En Allemagne, en revanche, on pratique plutôt la coéducation : filles et garçons sont séparés à certains moments, au motif que la mixité renforcerait les stéréotypes de genre: au contact des filles, les garçons adoptent un comportement « de garçons », et vice-versa. Mais les pratiques varient selon les Länder ; filles et garçons peuvent par exemple être séparés pour le football, mais ensemble pour des disciplines plus neutres comme le volley. Je revendique pour ma part la mixité, qui prépare garçons et filles à vivre ensemble dans une société paritaire et respectueuse des spécificités de chacun. Cette conception fait aujourd'hui débat, sous l'influence de chercheurs et pédagogues anglo-saxons : les filles étant plus performantes à l'école, les garçons seraient dominés... il s'agirait alors de les séparer pour éviter cette confrontation. Ces revendications s'inscrivent dans un processus européen et traduisent un souci différentialiste qui est éloigné de notre tradition républicaine.

Je vais maintenant aborder la première dimension des inégalités sexuelles dans le sport à partir de mes travaux sur les quartiers et les processus d'intégration par le sport.

Les données objectives sur la pratique sportive des filles dans les quartiers populaires sont rares. J'ai réalisé une enquête sur le sport dans les zones urbaines sensibles (ZUS) de l'agglomération strasbourgeoise ; mon collègue Gilles Vieille Marchiset, sur la banlieue de Besançon. Notre ouvrage « Le sport dans les quartiers » souligne que seulement 32% des filles en ZEP pratiquent un sport en club. Dans les classes moyennes et supérieures, ce taux est de 80% ! Les filles ne sont pas davantage présentes dans les city-stades, espaces publics ouverts de pratique sportive auto-organisée, à moins d'avoir un très bon niveau ; si elles sont présentes, elles sont aussi souvent reléguées au rôle de supportrices des garçons.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion