Intervention de Thierry Terret

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 novembre 2010 : 1ère réunion
Femmes et sports — Audition thierry terret professeur à l'université lyon i

Thierry Terret, directeur du Centre de recherche et d'innovation sur le sport. - « :

Le principe d'une séparation des sexes dans la société française de cette époque trouvait ainsi à s'exprimer. La défaite de Sedan avait mis à mal la communauté mâle, si je puis dire, et les fils des pères vaincus avaient besoin de se retrouver dans un « entre-soi » pour reconquérir leur virilité. S'y ajoutait la conviction d'une inégalité hommes-femmes.

Deuxième facteur, le sport repose sur une dimension corporelle, donc sexuelle. Les tabous étaient encore plus importants s'agissant des femmes, dont le corps est condamné à l'invisibilité et à l'immobilité alors que celui des hommes est visible et mobile.

La dimension institutionnelle est le troisième facteur. Les premières structures associatives sportives sont le fait d'hommes, et le contraire aurait entraîné un questionnement sur la démocratie et le droit de vote à l'échelon local voire national, une mise en danger des fondements patriarcaux de la IIIe République - L'Union des sociétés françaises des sports athlétiques (USFSA) a été fondée en 1887 et ne laisse pas davantage de place aux femmes.

Viennent ensuite, quatrième facteur, les symboliques associées à la pratique sportive. Ces éléments fondamentaux de la pratique sportive que sont la force, le principe de domination, le progrès, la maîtrise technique et technologique, sont associés à la masculinité hégémonique dans des sociétés occidentales comme la France.

Tout cela justifie que la pratique sportive soit masculine et explique que jusqu'en 1914, on traverse une période de critique, voire de rejet des pionnières. Les premières structures sportives ne délivrent d'ailleurs pas de licence aux femmes. Un tel rejet des sportives se vérifie plus généralement dans les pays qui pratiquent le sport ainsi que dans les structures internationales. Pierre de Coubertin le dira explicitement plus tard : « il n'y aura point d'olympiades femelles ». Absentes de la plupart des structures, soumises à une critique sociale forte et partagée dans la presse comme dans les milieux scientifiques et éducatifs, quelques femmes sportives dérogent pourtant à l'ordre du genre ; elles prennent des risques car elles heurtent les regards (il n'y a pas de stades, le sport doit se pratiquer dans l'espace public). L'on vilipende surtout les cyclistes, la centaine de femmes qui s'adonnent à la bicyclette, cet attribut masculin, synonyme de vitesse, d'ouverture des frontières et de maîtrise technologique. Les médecins dénoncent même leur attitude « vicieuse » sur le vélo, et dangereuse pour la maternité.

En revanche, l'on valorise la dimension hygiénique de la gymnastique, qui n'est pas encore un sport à cette époque. Cette activité est associée à des valeurs de santé et 3% de ses structures sont ainsi ouvertes aux femmes. Les sportives ne sont tolérées que lorsqu'elles souscrivent à un principe de mise à distance physique ou sociale. En alpinisme, par exemple, le Club alpin français, créé en 1874, accueille des femmes qui représentent déjà 10% de ses membres dans les années 1880. Elles demeurent en tenue civile, donc féminine, quand elles partent en randonnée, puis passent une tenue plus adaptée, donc plus masculine, une fois le tout dernier refuge atteint, c'est-à-dire loin des regards. C'est aussi parce qu'à 200 mètres de haut on ne les voit pas, que les femmes peuvent pratiquer le ballon dirigeable au sein de la Stella, le premier club féminin. Enfin, une frange très réduite de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie s'adonne au tennis, à la chasse et à l'escrime, dans des lieux écartés, comme les villas des bords de mer.

La Première Guerre mondiale ouvre une seconde étape. Les hommes sont envoyés au front, d'où une division sexuelle de la France. Leur contrôle s'affaiblit et les femmes prennent leur place dans les usines; elles démontrent qu'elles sont capables de le faire, et osent des pratiques jusque-là interdites (athlétisme, football). Les premiers clubs spécifiquement féminins se mettent alors en place, un premier championnat féminin de France d'athlétisme étant organisé en 1917. Si ces structures ont été créées et présidées par des hommes, Alice Milliat, accède en 1918 à la présidence du Femina Club, la structure la plus importante, puis elle crée une fédération multisports, la Fédération des sociétés féminines de France ; elle prend en 1919 l'initiative de rencontrer Pierre de Coubertin pour lui demander d'ouvrir les Jeux olympiques aux femmes et, quand il refuse, elle crée des jeux féminins, sous forme d'une compétition internationale en 1921 - ce sont les journalistes qui parlent alors d'olympiades - puis de véritables « Olympiades féminines » en 1922, 1926, 1930 et 1934. Elle met également en place une sorte de CIO au féminin avec la Fédération sportive féminine internationale. Aussi est-elle mondialement connue, et les étrangers s'étonnent qu'elle n'ait pas de rues ou de collèges à son nom en France.

Le développement du sport féminin après-guerre passe ainsi par des clubs féminins. Avec l'éclatement de l'USFSA en de multiples fédérations uni-sport entre 1919 et 1920. Plusieurs de celles-ci s'ouvrent aussitôt aux femmes (natation), d'autres les suivent dans les années 1930 souvent sous la pression des fédérations internationales. En effet, Coubertin parti en 1925, le CIO s'ouvre lentement aux femmes, avec le baron belge Henri de Baillet-Latour de même que la fédération d'athlétisme internationale (IAAF). Les initiatives d'Alice Milliat ne se remettront pas de cette nouvelle attractivité des anciennes structures masculines. Toutefois, ces conquêtes restent limitées par une vision stigmatisante, et le sport féminin reste confronté à un triple défi : celui de la sexualité, avec le soupçon d'homosexualité et le thème si courant de la dégénérescence ; celui de la morale, la professionnalisation étant associée à des valeurs négatives ; celui de l'esthétique, car la spécialisation et la fatigue sont jugées non-conformes à la féminité et peu adaptées à la bonne épouse ou à la bonne mère...

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