Intervention de Thierry Terret

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 novembre 2010 : 1ère réunion
Femmes et sports — Audition thierry terret professeur à l'université lyon i

Thierry Terret, directeur du Centre de recherche et d'innovation sur le sport. - « :

Bien sûr. Il a été rédigé par le colonel Boigey, à Joinville en 1925.

Le discours des journalistes stigmatise les sportives. Moins présentes, elles sont montrées comme « femmes de ... », épouses. Les photographies comme le corps des articles tendent à les sexualiser, par exemple en ne les représentant pas en tenue de sport, mais en robe, en train de se maquiller, et l'on parle plus de celles qui réussissent dans des sports connotés comme féminins.

A la fin des années 60, nous entrons dans une autre période. La pratique sportive connaît une inflexion vers le haut, en partie sous l'influence de l'école car l'éducation physique devient sportive et le report à 16 ans de l'âge scolaire place les adolescentes, toutes les adolescentes, en situation d'expérience sportive à un âge de construction de leur identité. En 1981, presque autant de femmes que d'hommes pratiquent un sport (43%). Cela ne semble pas lié à Mai 68, la mouvance féministe n'ayant pas eu plus d'influence à cet égard que les suffragettes de la Belle époque : il n'y a pas de recoupement entre leur engagement et le sport, cette institution masculine ne leur inspirant pas un discours militant. La méta-analyse d'une soixantaine d'études internationales sur le « bodybuilding » révèle d'ailleurs que la moitié des articles y dénoncent une aliénation de la femme, l'autre moitié concluant en sens opposé à une émancipation.

Du football en 70 à la boxe en 1986, les dernières fédérations récalcitrantes s'ouvrent aux femmes, avec, dans le cas de la Fédération française de foot, le projet d'occuper les tribunes par des matchs féminins avant les grandes rencontres, et l'espoir d'inciter les futures mères à envoyer leurs enfants dans les clubs. Même normalisation dans les programmes : en athlétisme, par exemple, le 400 mètres haies, longtemps soupçonné d'agiter les organes internes, devient féminin en 1976, le marathon en 1980, le 10 000 mètres en 1985, le triple-saut en 1990, le marathon en 1994, le 5 000 mètres en 1995 et le 3 000 mètres steeple en 2000 seulement. Les adolescentes peuvent aujourd'hui s'identifier à des championnes ; Jeannie Longo, Mary Pierce, Laura Flessel, Laure Manaudou ont engrangé un capital de sympathie auprès des jeunes impensable il y a quarante ans.

La médiatisation suscite simultanément des contre-modèles. Ainsi les pays de l'Est, dès les années 50, ont fait une priorité de la pratique sportive, et leur avance a été telle que leurs représentantes ont raflé les médailles dans les années 70. Le choc produit est tel que l'on met en place des tests de féminité, et cela à partir de 1966 en athlétisme ; on utilise en 1968 le test des corpuscules de Barr, attestant de la présence des XX, un certificat de féminité étant ensuite remis aux sportives de haut niveau. En 1968, à Grenoble, Erika Schinegger ne réussit pas le test - elle est devenue quelques années plus tard Erik Schinegger. Ce test stigmatisant et fortement critiqué reste utilisé jusqu'à la fin des années 1990 aux Jeux olympiques.

Les femmes pratiquent moins en fédération. Elles s'adonnent aux gymnastiques de tout type, qui vise à l'entretien de soi. La Fédération française d'éducation physique et de gymnastique volontaire, fondée en 1888 sous la forme de la Ligue Girondine d'Education Physique, comprenait 95 % d'hommes, elle est désormais à 95 % féminine et le nombre d'adhérentes ayant été multiplié par mille, elles sont en 1980 300 000 à pratiquer la gymnastique. Le phénomène Jane Fonda, les émissions de Véronique et Davina ont soutenu l'extension du marché de la forme pour les femmes.

La marche vers l'égalité n'a toutefois pas modifié les représentations dominantes. Les femmes continuent à pratiquer plutôt à l'intérieur quand les hommes pratiquent davantage à l'extérieur, elles sont moins présentes dans les sports olympiques et dans les fédérations, où elles n'exercent que rarement des responsabilités : il y a un plafond de verre à briser. A la fin des années 1990, l'égalité sociodémographique est réalisée, mais reste l'équité. Il y a moins de femmes licenciées, elles sont moins nombreuses dans les sports de haut niveau, dans les lieux de décision, aux Jeux olympiques : 42 % aux Jeux de Pékin en 2008 (mais seulement 39% pour la France, dont on pourrait attendre plus) contre 15 % à Munich en 1972. Les femmes sont toujours plus présentes dans des sports connotés comme féminins. Pourtant, le football, qui reste éminemment masculin en France est, aux Etats-Unis, féminin à 80%. Les discriminations, auxquelles les médias sont devenus plus attentifs, reconnaissons-le, se font plus subtiles. L'infantilisation et l'essentialisation demeurent. Certaines sportives tournent parfois la sexualisation à leur avantage pour rentabiliser leur image - c'est l'effet Anna Kournikova, du nom de cette championne qui a gagné plus d'argent grâce à son image que sur les courts. Le vocabulaire du sport demeure sexué : on dit un entraîneur, pas une entraîneure, encore moins une entraîneuse... Tous ces blocages maintiennent un plafond de verre.

C'est pourquoi votre Délégation a été mise en place et que des mesures ont été prises pour la parité. Le mouvement sportif l'a compris, à commencer par le Comité international olympique qui, sous la pression des Nord-américains, organise depuis 1996 des conférences sur les femmes et le sport, et fait pression sur les comités nationaux. En France, des mesures coercitives comme l'obligation pour les clubs de Ligue 1 d'ouvrir des sections féminines, ont eu des effets sur l'engagement des adolescentes qui ont pu s'identifier à un club comme l'Olympique lyonnais.

L'augmentation du nombre de pratiquantes ne constitue plus vraiment un enjeu majeur, je le dis tranquillement, même si le ministère des sports pense sans doute le contraire. Il y a certes moins de licenciées que de licenciés, mais cette problématique pourrait être inversée : pourquoi les hommes ne sont-ils pas plus présents dans les pratiques d'entretien ? Cela relève d'un choix. Les trois défis majeurs me semblent plutôt tenir à la division sexuelle des fonctions dirigeantes, au fait que les enceintes sportives sont des lieux privilégiés de développement et de dissimulation des violences sexuelles, et au traitement différent dont les sportifs et les sportives sont l'objet dans les médias.

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