a rappelé que la commission avait envoyé aux Etats-Unis, en septembre 2006, une délégation présidée par lui-même et constituée de MM. Ambroise Dupont, Ivan Renar, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Mme Colette Mélot et M. David Assouline.
Cette mission avait pour objet d'actualiser le regard que l'on pouvait avoir sur le système américain de l'enseignement supérieur et sur l'animation des grandes institutions culturelles, qui sont en effet cités comme des références. Il convenait de voir dans quelle mesure les réalités correspondaient à cette image favorable. Il a cependant estimé que l'état des lieux n'était pas nécessairement aussi brillant que l'on pouvait le penser et que le système américain d'enseignement supérieur ne répondait pas aux mêmes exigences d'accessibilité que le système français. Il a jugé que les excellents résultats obtenus par certaines universités américaines étaient la conséquence d'une orientation très élitiste et ne pouvaient faire l'objet d'une comparaison terme à terme avec les universités françaises, dont les missions sont définies suivant d'autres critères.
Présentant pour commencer le système américain d'enseignement supérieur, il a indiqué que son organisation était radicalement différente de l'organisation française et que l'Etat fédéral s'abstenait de le contrôler, mais laissait à des mécanismes proches de ceux du marché le soin de le réguler.
Rappelant que l'éducation ne figurait pas parmi les compétences reconnues à l'Etat fédéral par la Constitution de 1787, il a précisé que celui-ci n'était en conséquence pas habilité à légiférer en matière d'enseignement, qu'il s'agisse de l'organisation des universités, de la définition des formations proposées, ou même de l'harmonisation des diplômes.
Il a indiqué que la coordination du système à l'échelle fédérale était assurée par deux catégories d'organismes : les associations professionnelles, qui regroupent les établissements et jouent le rôle d'interface avec les pouvoirs publics, ainsi que les agences d'accréditation qui sont des organismes privés, sans but lucratif, ayant pour fonction de garantir la qualité des formations proposées et qui peuvent, à leur tour, se prêter à un examen de reconnaissance auprès du département de l'éducation américain, qui commande lui-même l'obtention de subventions d'aide aux étudiants.
Il a insisté sur ces leviers financiers par lesquels l'Etat fédéral peut tenter d'influer sur les orientations du système, soulignant que leur ascendant tenait au fait que le gouvernement fédéral représentait aujourd'hui la plus importante source de financement pour la recherche scientifique et les mécanismes de soutien aux étudiants.
Il a relevé que les établissements d'enseignement supérieur jouissaient d'une grande autonomie et étaient engagés dans une compétition multiforme, qui déterminait leur rang dans un système inégalitaire et hiérarchisé.
Il a évalué leur nombre à 3000 et l'effectif de leurs étudiants à 10 millions, soulignant que ce système ne se limitait donc pas à cette poignée de prestigieuses universités, qui sont parvenues au sommet de l'excellence.
Il a insisté sur les différents aspects de leur diversité : certains établissements sont privés et ne dépendent que de leur conseil d'administration ; d'autres sont publics et sont rattachés à un Etat, ou à une ville, qui leur octroient un budget.
Notant que les établissements se différenciaient également par la durée de leurs formations et le niveau des diplômes dispensés, il a distingué schématiquement, trois catégories :
- les community colleges, au nombre de 1.200, qui offrent un enseignement court (deux ans), du type post-secondaire ; ceux-ci avaient initialement vocation à délivrer une formation professionnalisante, conçue en fonction des besoins de l'économie locale, mais, en permettant à des étudiants, généralement issus des milieux défavorisés, de combler les lacunes de leur instruction secondaire, ils sont aussi devenus une antichambre pour l'entrée à l'université ;
- les collèges en « quatre ans », qui proposent des filières d'enseignement supérieur long, débouchant normalement sur le diplôme de « bachelor » et orientés vers une formation générale ;
- enfin, les « universités doctorales », qui dispensent un enseignement universitaire de haut niveau allant jusqu'au PhD, le doctorat, parmi lesquelles se trouvent les universités les plus prestigieuses du pays.
Dans ce système très compétitif et hiérarchisé qui fonctionne sur le modèle d'un marché, la compétition porte sur trois enjeux :
- l'obtention des contrats de recherche avec les agences fédérales ou avec des entreprises privées, qui constituent l'une des principales ressources financières des universités ;
- le recrutement des meilleurs enseignants chercheurs, pour développer une activité de recherche spécialisée, dont le prestige rejaillira sur l'université avec d'importantes surenchères en termes de rémunération et de moyens de travail ;
- la sélection des étudiants qui est presque partout la règle, chaque établissement s'efforçant d'attirer les éléments les plus prometteurs, avec une pluralité de critères, qui dépassent la dimension purement scolaire, pour tenter de prendre en compte d'autres paramètres : talents sportifs, aptitude au « leadership » et activités sociales. L'appartenance à une minorité sous-représentée peut, dans ce cadre, être un atout pour un candidat dans le cadre d'une politique d'« affirmative action ».
a jugé que ce système, si différent du nôtre, était cependant confronté aujourd'hui aux mêmes défis : celui de l'économie de la connaissance, qui impose d'élever le niveau global de la formation de la population, celui de la mondialisation, qui accentue les phénomènes de compétition internationale, et celui de l'accès à l'enseignement supérieur des personnes issues des milieux défavorisés, et en particulier, des groupes ethniques sous-représentés.
Il a noté qu'un rapport de l'OCDE avait montré récemment que l'avance confortable dont disposent les Etats-Unis en matière d'enseignement supérieur commençait à s'éroder, même s'ils continuent de rester la destination la plus recherchée par les étudiants qui s'expatrient.
Il a insisté ensuite sur le rapport de la commission présidée par Margaret Spellings, la secrétaire d'Etat américaine à l'éducation, publié au moment du passage de la délégation, qui a accéléré une prise de conscience de l'acuité des défis à relever.
Il a indiqué que le coeur de cette autocritique sévère tenait à ce que le système américain ne parvenait pas à amener un nombre suffisant de jeunes au niveau de formation supérieure que réclame la nouvelle économie de la connaissance.
Le rapport impute ces restrictions d'accès à la conjonction de plusieurs facteurs : tout d'abord, le fossé qui sépare le niveau des élèves du secondaire des niveaux nécessaires pour entamer un cursus supérieur, et qui rendent des cours de rattrapage indispensables pour environ 40 % des étudiants, et ce, alors que les « community colleges », qui répondent à ces besoins, sont en voie de saturation.
Ensuite, les coûts de scolarité, qui ont augmenté beaucoup plus vite que l'inflation et les revenus des ménages sur la période 1995-2005 et sont responsables de l'endettement de 62 % des étudiants, cet endettement moyen était de 15.500 dollars dans le public et de 19.400 dollars dans le privé.
Enfin, un cloisonnement, qui tient à la difficulté qu'ont les établissements à connaître et évaluer les formations délivrées par leurs partenaires et concurrents, et les font hésiter à valider les « crédits universitaires » obtenus par un étudiant dans une autre université.
Evoquant les inégalités qui en résultaient, il a signalé qu'à l'intérieur de la classe des 25/29 ans, seuls obtenaient une licence : 34 % des « blancs », 17 % des « noirs » et 11 % des « latinos ».
Il a ensuite abordé dans ce contexte la politique « d'affirmative action », qui a pour objectif d'aller au-delà de l'égalité juridique formelle résultant de l'abolition de la ségrégation, pour promouvoir une égalité réelle des minorités.
Il a rappelé que cette politique volontariste, d'abord conçue pour les « noirs », et étendue aujourd'hui à l'ensemble des « minorités sous représentées », n'était pas véritablement parvenue à compenser les handicaps sociaux qui pèsent sur certaines minorités, et suscitaient aujourd'hui des débats, comme le montrait le fait que quatre Etats, la Californie, le Texas, l'Etat de Washington et la Floride, avaient fortement réduit, voire supprimé, leurs programmes d'« affirmative action ».
Il a exposé les deux séries de reproches formulées par les adversaires de cette politique : ceux qui redoutent que les mécanismes distorsifs de l'« affirmative action » ne risquent par contrecoup de dévaloriser la réussite des individus issus des minorités concernées, en jetant un doute sur leur valeur et leurs mérites effectifs ; et ceux qui insistent sur l'effet néfaste que jouerait la politique d'« affirmative action » en matière d'intégration en enfermant ces groupes ethniques dans leur identité.
Abordant ensuite l'organisation des musées et des établissements culturels, qui constituait le second thème de la mission, M. Jacques Valade, président, a insisté sur l'importance des sources de financement privé, estimant qu'en ce domaine, le règne de l'argent était d'abord celui de la générosité et de la philanthropie, et tenait à la propension des riches américains à favoriser des oeuvres plutôt qu'à constituer sur plusieurs générations un patrimoine familial.
A titre préliminaire, il a d'abord rappelé que les Etats-Unis ne disposaient pas d'un ministère de la culture fédéral et qu'il n'existait pas aux Etats-Unis de politique culturelle relevant de la responsabilité de l'Etat. Il a indiqué que la vie culturelle, d'une très grande richesse et d'une très grande diversité, relevait très largement de la « philanthropie » et prenait la forme d'une mosaïque d'actions culturelles reposant sur une multitude d'organismes, le plus souvent privés et à but non lucratif, constituant une sorte d'« économie culturelle non marchande ».
Il a estimé que les Etats-Unis qui sont, par tradition, très hostiles à tout ce qui pourrait passer pour une culture d'Etat ou pour une forme de contrôle de l'Etat sur la culture, contribuaient cependant, dans une mesure importante, au financement des arts et de la culture à travers des formes de partenariat mêlant financements publics et privés, et surtout à travers une fiscalité extrêmement favorable au développement de la philanthropie.
Il a brièvement décrit cette politique fiscale comme le véritable levier de la politique de soutien public à l'action culturelle, rappelant que le système américain autorisait le donateur à déduire de son revenu imposable annuel la totalité du don qu'il a effectué au profit d'une association à but non lucratif et reconnue d'utilité publique.
Il a cité les statistiques qui évaluent à 250 milliards de dollars le montant des dons que font chaque année les Américains, riches ou moins riches, aux « charities » au profit des églises (36 %), des écoles et universités (13 %) et de toutes sortes d'autres oeuvres, dont la culture et les arts qui, avec 5,4 % du total, bénéficient ainsi de 13 milliards de dollars par an.
Il a indiqué que ces dons provenaient à près de 75 % des personnes physiques, à 11 % des fondations, à 9 % des legs des particuliers et à plus de 5 % seulement des entreprises, réfutant une idée reçue, qui prête au mécénat d'entreprise un rôle déterminant dans le secteur de la culture non marchande aux Etats-Unis.
Pour en bénéficier, les associations doivent avoir pour objet de remplir une mission charitable ou d'éducation (entendues de façon très extensive) et, sinon de ne pas réaliser de profits, du moins de ne pas les répartir entre leurs « actionnaires ».
Leur nature est donc mixte : publique par leurs buts d'intérêt général, et privée par leurs capitaux, leurs méthodes de gestion et leur mode de fonctionnement.
Elles sont dirigées par un conseil d'administration composé des plus généreux donateurs, qui assument cette charge à titre bénévole, et définissent leur politique en l'absence de toute tutelle extérieure.
a ensuite insisté sur l'importance accordée par ces organismes aux activités de levée de fonds (le « fundraising »), confiées à un département constitué de spécialistes, qui ont pour mission de prospecter les différentes sources de contributions possibles : agences publiques, fondations privées et surtout les donateurs, riches ou moins riches, car le don n'est pas l'apanage des familles aisées : 70 % des ménages le pratiquent.
Il a ajouté que ces associations étaient également adossées à un capital important (« endowment ») placé en bourse et dont seuls les intérêts sont utilisés pour financer le fonctionnement et l'activité.
Ces associations pouvaient en outre compter sur l'appui de nombreux bénévoles.
a ensuite présenté deux institutions culturelles visitées par la délégation, qui fournissent une illustration intéressante du partenariat entre le public et le privé.
Il a d'abord évoqué la « National Gallery of Art », qui est l'un des rares musées publics américains, et dont la création résulte d'une initiative privée : celle d'un riche donateur qui, à la fin des années 30, fit don de sa collection d'oeuvres d'art à la Nation, et proposa de prendre à sa charge la construction du musée, à condition que l'Etat en assure le fonctionnement et l'entretien. Les contributions de l'Etat, depuis sa fondation, sont évaluées à 1,5 milliard de dollars, soit le tiers du montant des contributions privées. Le Congrès conserve un droit de regard sur la gestion du musée, mais sa gestion courante est assurée, sur le mode de celui des institutions privées, par un conseil d'administration de 5 membres, sans intervention de l'Etat pour leur nomination.
Présentant ensuite le « John Kennedy Center for the performing arts », un complexe de salles orienté vers le spectacle vivant, il a noté que le Gouvernement avait pris en charge la construction initiale du bâtiment, mais que le centre combinait actuellement trois sources de financement : les recettes, qui représentent 44 % du budget, les levées de fonds, près de 37 %, et les contributions fédérales, environ 19 %.
Il a indiqué que la collecte de fonds était gérée par un département spécialisé, dont les effectifs -42 professionnels- sont significatifs, surtout si on les compare à ceux de l'orchestre symphonique : 103 musiciens.
Evoquant ensuite la présence diplomatique et culturelle française aux Etats-Unis, M. Jacques Valade, président, s'est tout d'abord réjoui de l'excellent accueil qu'avaient réservé à la délégation l'ambassadeur de France aux Etats-Unis, le consul général à New-York et le consul à Boston, ainsi que les services placés sous leur autorité.
Il s'est réjoui que, d'une façon générale, les services culturels, qui ont été les correspondants naturels de la mission dans la préparation et le déroulement de son déplacement, aient fait preuve d'une véritable compétence et d'un intérêt passionné pour des réalités américaines qu'ils connaissent très bien.
Il a estimé qu'il convenait d'être attentif à ce que, tout en tirant parti des compétences et des centres d'intérêt personnels de leurs membres, ces réseaux soient cependant guidés par des instructions précises, dont la responsabilité doit continuer à relever de l'ambassadeur.