Merci de l'honneur que vous nous faites en nous demandant d'échanger devant vous sur ce sujet. Prendre la présidence de ce groupe de travail était une tâche redoutable : cette commission était composée de membres éminents : les deux présidents et les deux rapporteurs généraux des commissions des finances, divers économistes et une personnalité étrangère hélas disparue depuis : l'ancien ministre des finances de l'Italie Tommaso Padoa-Schioppa, qui fut aussi membre du directoire de la BCE. Ce groupe était dominé par le souci du consensus, comme ce fut le cas pour la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2001 et la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale de 2005.
Notre Constitution a prévu l'équilibre des finances publiques mais rien n'a été fait jusqu'à présent pour l'atteindre. Nous devions donc relever ce défi, tout en évitant que notre rapport ne termine sur une étagère. Ce ne fut pas le cas : nous sommes parvenus à un accord unanime, à l'exception d'une seule proposition. Cette unanimité était importante pour notre pays, mais aussi pour l'Europe, pour les marchés et pour les investisseurs nationaux. Alors que nous travaillions l'année dernière, la crise de la dette souveraine touchait la Grèce l'Irlande et le Portugal. Espérons que cette crise va prendre fin. A titre personnel, j'en suis persuadé.
J'en viens aux trois grandes propositions que nous avons faites et qui figurent dans la révision constitutionnelle que vous allez examiner : des lois-cadres d'équilibre des finances publiques vous seront présentées, qui définiront une trajectoire vers l'équilibre et la subordination des textes financiers ultérieurs. En second lieu, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale auront le monopole des mesures fiscales, afin d'assurer une cohérence complète des textes avec la trajectoire dont je viens de parler. Enfin, les programmes de stabilité et de croissance transmis périodiquement à la Commission européenne seront au préalable soumis à l'Assemblée nationale et au Sénat afin de renforcer les prérogatives du Parlement.
Nous avons proposé un certain nombre d'autres dispositions que le Gouvernement a commencé à mettre en oeuvre, mais qui ne sont pas d'ordre constitutionnel.
J'en viens à la mesure qui n'a pas fait l'unanimité : compte tenu de l'extrême importance des documents soumis au Parlement, une grande majorité de notre groupe estimait qu'il fallait que les principes de sincérité et de véracité soient garantis. Nous pensions qu'une commission de sages composée d'experts compétents et indépendants pourrait se prononcer sur les chiffres fournis par l'exécutif. Elle aurait pu utilement éclairer les travaux du Parlement comme ceux du Conseil constitutionnel, ce dernier s'étant montré favorable à une telle expertise. Les membres parlementaires du groupe ne nous ont pas suivis, au nom de l'indépendance de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Pour moi, la loi-cadre d'équilibre des finances publiques est une disposition essentielle, car elle va marquer notre progression vers le retour à l'équilibre. Nous sommes dans un contexte d'après-crise. Cette crise nous a fait faire un bond de près d'une vingtaine de points d'endettement et nous a fait entrer dans une zone critique, quels que soient les efforts du Gouvernement et bien que notre croissance reparte. Dans les années 2020, nous serons autour de 100 % d'endettement par rapport au produit intérieur brut (Pib). Il était essentiel que nous montrions aux marchés et aux investisseurs étrangers notre sérieux et que nous fassions comme Ulysse, nous attachant au mât pour écouter le chant des sirènes sans y céder. Les Allemands ont décidé que l'équilibre structurel serait atteint en 2016, la seule marge qu'ils s'accordent étant 0,35 point de Pib. Le système que nous avons proposé et que le Gouvernement a retenu est plus simple, mais aussi un peu plus dur, que celui de notre voisin : à une date que la loi fixera, l'équilibre structurel devra être atteint et une trajectoire sera définie année après année jusqu'au point d'équilibre. Ensuite, il devra être maintenu selon des règles qu'il vous appartiendra de fixer. Nous connaissons déjà le premier tiers de cette trajectoire, fixé par nos engagements dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance européen : en 2013, nous devrions être à 3 % de déficit. Il reste à définir la trajectoire à partir de ce moment-là pour atteindre le point d'équilibre. Si on maintient l'effort actuel, on pourrait y arriver en 2016. Si je peux donner un conseil au Gouvernement et au Parlement, je suggérerais d'être un peu moins ambitieux et de retenir la date de 2017 pour être presque aussi vertueux que les Allemands et pour que les marchés se disent qu'entre l'Allemagne et la France, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Il ne faut pas que nous soyons atteints par une crise de la dette souveraine. Soyons en effet bien conscients que, durant cette période, nous allons continuer à nous endetter. Lorsque nous serons au point zéro, objectif exquis et désirable, notre endettement représentera près de 100 % du Pib. Nous aurons alors encore de grands efforts à faire pour résorber la dette, ne serait-ce qu'au nom de la solidarité intergénérationnelle.
S'il y a dérapage, des corrections auront lieu : si le dérapage est détecté en cours d'année par la Cour des comptes, la correction devra intervenir immédiatement. Si elle est détectée ensuite, deux années intermédiaires permettront de revenir à la trajectoire initiale.
Il est entendu que ce cheminement vers l'équilibre peut être revu en cas de circonstances véritablement exceptionnelles, comme une tension internationale impliquant un effort de dépenses majeures, une récession économique d'une ampleur inhabituelle, une catastrophe naturelle exceptionnelle.
Une deuxième recommandation a trait au monopole des lois financières en matière de fiscalité et de recettes : une des faiblesses majeures de notre dispositif est due à la dispersion des initiatives en ce domaine, ce qui érode, ruine la discipline, la cohérence et la hiérarchisation des priorités de l'action publique. Les quatre parlementaires ont approuvé cette recommandation et la disposition constitutionnelle correspondante.
Nous avons également recommandé que les collectivités territoriales soient associées à l'effort de maîtrise des comptes. Cela est nécessaire, compte tenu de la hausse plus rapide des dépenses des collectivités que de celle du budget général au cours des trente dernières années. Nos engagements d'équilibre au plan européen portent en effet non seulement sur le budget de l'Etat mais aussi sur ceux des collectivités territoriales.
Enfin, nous avons proposé des dispositions pour resserrer les mailles du filet et nous assurer que des pratiques de débudgétisation et des opérations d'affichage n'aboutissent pas à des fuites, mais ces dispositions ne relèvent pas de la Constitution.
Voilà donc l'essentiel de nos conclusions : ces propositions peuvent consolider nos perspectives financières et budgétaires, notre statut de pays raisonnable sur le plan international, mais aussi renforcer notre solidarité intergénérationnelle, en disciplinant notre endettement.