Lors de l'examen de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), nous nous étions engagés, le président Jean-Paul Emorine et moi-même, à tenir un débat sur le sujet du compteur électrique évolué. Ce débat a pris la forme d'une table ronde organisée dans le cadre du groupe d'études de l'énergie, le mercredi 1er décembre 2010. Ma communication d'aujourd'hui est donc largement alimentée par les propos tenus à l'occasion de cette table ronde, qui a réuni une dizaine d'intervenants de qualité. Elle vise à déterminer quels sont les points forts, les points faibles et les points mitigés du compteur évolué.
Je voudrais commencer par faire simplement deux rappels. Premièrement, la mise en place de compteurs électriques évolués n'est pas un choix français, mais résulte d'une obligation européenne, posée par trois directives intervenues successivement dans le domaine du marché de l'énergie. Deuxièmement, ces obligations européennes ont été confirmées par les lois « Grenelle I » et « Grenelle II », qui ont posé le principe de la diffusion des compteurs électriques évolués afin de permettre aux consommateurs de maîtriser leur demande d'énergie.
En ce qui concerne le contexte économique, le compteur évolué est une étape nécessaire pour la mise en place de réseaux « intelligents » visant à répondre à trois défis :
- le défi de la hausse continue de la consommation d'électricité, qui aboutit à une saturation des réseaux de transport et de distribution ;
- le défi des pointes de consommation, toujours plus fréquentes et plus élevées. Nous avons battu hier soir à 19H00, avec une pointe à 96,3 mégawatts, le record précédent de janvier 2010. Ce problème de la pointe ne pourra trouver de solution que dans le développement de l'effacement de consommation, et notamment de l'effacement « diffus » chez les consommateurs domestiques ;
- le défi du développement des énergies renouvelables, qui doivent être intégrées au réseau, alors qu'elles ont un caractère souvent intermittent et décentralisé.
Lors de la table ronde, la présidente du directoire d'Electricité Réseau Distribution France (ERDF), Mme Michèle Bellon, nous a fait un premier bilan de l'expérimentation en cours du compteur Linky. Elle nous a rappelé que cette expérimentation se déroule dans une zone urbaine, le nord de Lyon et de sa banlieue, et dans une zone rurale, le département de l'Indre-et-Loire en dehors de l'agglomération de Tours. Elle n'a pas cherché à nous cacher les difficultés rencontrées, tout en s'estimant satisfaite que le taux de réclamation soit inférieur à 1 %. Certains compteurs Linky ont pris feu, mais dans une très faible proportion de 7 pour 200 000 installés, qui est identique à celle observée pour les compteurs ordinaires.
Parmi les points faibles du compteur électrique évolué, figure la question de la confidentialité des données à caractère personnel qu'il sera amené à traiter. Plus de la moitié des compteurs sont installés à l'extérieur des logements, donc accessibles à des tiers. Les informations transmises à distance peuvent permettre de déceler ce qui se passe chez un particulier, s'il est chez lui ou absent, combien de personnes partagent son domicile, et jusqu'à son rythme de vie quotidien.
Parmi les points forts, personne ne conteste que le compteur évolué sera d'une grande utilité pour améliorer le réseau de distribution. Les pannes seront décelées beaucoup plus vite, et réparées plus facilement. L'introduction d'intelligence dans les réseaux permettra de mieux y insérer les énergies renouvelables, photovoltaïque et éolienne, qui ne produisent pas toujours de l'électricité là et quand on en a besoin.
Parmi les points mitigés, je citerai la contribution du compteur évolué à la maîtrise de la demande d'énergie. Faut-il aller plus loin que le compteur Linky, plutôt rudimentaire ? Il n'est pas vrai que le consommateur surveillera lui-même sa consommation pour modifier son comportement. Nous avons besoin d'un dispositif qui donne davantage d'informations. L'ADEME et les fournisseurs alternatifs sont plutôt favorables à la superposition de deux compteurs : un compteur de base, aux fonctions minimales, et un compteur plus intelligent, permettant de faire réellement de la maîtrise de la demande d'énergie. Mais il faut raisonner ici en termes de coûts et d'avantages, car ce sera forcément plus cher. Le coût d'une généralisation de Linky est estimé à 4 milliards d'euros pour 35 millions de foyers. Mais il n'apporterait pas beaucoup au consommateur en termes de maîtrise de la demande d'énergie. Les gains à réaliser sont minimes pour chacun des consommateurs, mais importants en effet de masse.
Pour conclure, je souhaite que le bilan de l'expérimentation Linky que réalisera la CRE nous soit présenté. Les consommateurs, EDF et les fournisseurs alternatifs devront être consultés. Et le Parlement doit avoir aussi son mot à dire.