Intervention de Bernard Frimat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 avril 2011 : 1ère réunion

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat, rapporteur :

Je commencerai par rappeler le cadre de la mission, décidée en prévision de l'évolution institutionnelle dont nous débattrons bientôt. Nous avons également eu le souci de rencontrer les services de l'Etat qui relèvent de la compétence de notre commission (sécurité, justice, immigration, service militaire adapté).

Il faut d'emblée se défaire d'un concept Antilles-Guyane, qui n'a aucun sens, malgré son emploi par des administrations d'Etat. Regardons plutôt les choses telles qu'elles sont. La Guyane, c'est 84 000 kilomètres carrés, officiellement 220 000 habitants, en réalité 280 000, puisqu'il y a 30 % de clandestins ; la Martinique, elle, représente 1 100 kilomètres carrés pour 400 000 habitants. Celle-ci est une île, celle-là est bordée par l'Oyapock et le Maroni ; la population de l'une est répartie sur tout le territoire, celle de l'autre est majoritairement à Cayenne et sur la côte. Un détail révélateur sur la Guyane : la commune de Maripasoula a une superficie de 18 000 kilomètres carrés : difficile pour un maire, même enthousiaste, d'en faire le tour en bicyclette dans la journée. On aura une vision à peu près complète quand on aura signalé l'écart en Guyane entre le nombre d'habitants et celui des électeurs : 40 000 habitants à Saint-Laurent-du-Maroni, mais 7 500 électeurs ; à Mana, la commune de notre collègue Georges Patient, 8 000 habitants, mais 1 400 électeurs. Enfin, la population de la Guyane atteindra 580 000 habitants en 2040 ; moins jeune, voire vieillissante, celle de la Martinique restera stationnaire.

Comment traiter ensemble ces départements ? La Guyane appelle des solutions différentes.

Je me concentrerai sur les domaines de la compétence de notre commission. De l'avis de tous nos interlocuteurs, le premier problème est celui de la montée importante de la violence : la Guadeloupe arrive en deuxième position des départements les plus violents de France, la Martinique en cinquième et l'on compte trois fois plus d'infractions violentes en Guyane qu'en métropole. Lorsque le président de la chambre régionale des comptes de Pointe-à-Pitre nous a reçus, il nous a incités à la prudence et nous a proposé, à 18 heures et au coeur de la ville, de nous faire raccompagner... La violence est, bien sûr, intrafamiliale, mais il y a aussi une violence de masse, à quoi s'ajoute l'impact de Saint-Martin sur la Guadeloupe. Aussi les sessions d'assises sont-elles particulièrement longues.

Qu'en est-il de l'immigration clandestine en Guadeloupe et en Guyane ? Il suffit de traverser le Maroni et l'Oyapock pour être en France. Ajoutez-y l'orpaillage clandestin ; les saisies sont dérisoires, ce qui signifie que le système d'évacuation de l'or est remarquablement organisé. Les familles sont établies sur les deux rives des fleuves. On parle de culture du fleuve pour souligner que les cours d'eau ne sont pas des frontières mais des voies de communication. Les services chargés de l'immigration ont le sentiment de vider la mer avec une petite cuillère. Avec 4 000 reconduites à la frontière en 2002 et 9 000 en 2010, les bilans quantitatifs peuvent impressionner vus de métropole. Nous avons été au centre de rétention de Remire-Montjoly ; cinq Brésiliens devaient être reconduits sur l'autre rive de l'Oyapock. Nous y avons été et avons posé la question : ils avaient bien été reconduits mais étaient revenus le jour-même... Le côté ubuesque de tout cela peut faire douter de l'effet dissuasif de telles mesures. Pensez que les commerçants du Surinam viennent gratuitement chercher les habitants de Maripasoula pour faire leurs courses !

Le plus grave est l'état de la justice. Malgré le fort engagement de tout le personnel, la République rend une justice virtuelle. Le tribunal de grande instance de Cayenne compte cinq magistrats du parquet, 17 du siège et 48 personnes au greffe pour 30 000 affaires et 12 000 gardes à vue. La justice est rendue, puis la machine s'arrête car les jugements n'étant pas tapés, ils ne sont pas signifiés et encore moins exécutés. La cour d'appel qui sera installée le 1er janvier déshabillera Fort-de-France sans habiller Cayenne, car la situation n'est guère meilleure en Martinique qu'en Guyane.

Pour que la justice continue, on correctionnalise des affaires graves : un vol à main armée passera en comparution immédiate en correctionnelle. La cour d'assises de Fort-de-France a siégé 115 jours. La population, en outre, souhaite des juges antillais, mais ceux-ci sont peu nombreux, d'où une accusation de justice coloniale. Prenez un habitant de Saint-Martin, obligé de prendre l'avion jusqu'à Pointe-à-Pitre, et qui va ensuite à Basse-Terre pour apprendre que l'affaire est renvoyée à quinzaine, alors qu'il n'a pas les moyens de rentrer chez lui ! Il faut implanter une structure à Saint-Martin pour rendre la justice sur place.

Le tribunal administratif de Basse-Terre a pour ambition de terminer les affaires de 2006 : il a cinq ans de retard. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas simple pour les magistrats d'outre-mer de venir manifester place Vendôme qu'il ne faut pas imaginer le climat dans leurs juridictions.

Tout cela rejaillit sur les prisons. Vous connaissez la situation à Ducos, en Martinique : 570 places, 914 détenus, un taux d'occupation de 250 % en maison d'arrêt. A la maison d'arrêt de Basse-Terre, des travaux sont prévus alors que l'on doit bientôt construire un nouvel établissement. Partout, on pratique la régulation par le canal d'arrivée : l'on ne met pas les condamnations à exécution et des condamnés rentrent chez eux. Il s'agit, dit un magistrat, « de ne pas faire exploser Ducos ». Les magistrats savent qu'ils sont à la merci du moindre incident.

En revanche, le service militaire adapté marche remarquablement bien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion