Intervention de Marie-Luce Penchard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 avril 2011 : 1ère réunion
Collectivités de guyane et de martinique — Audition de Mme Marie-Luce Penchard ministre chargée de l'outre-mer

Marie-Luce Penchard, de l'outre-mer et des collectivités locales, chargée de l'outre-mer :

ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales, chargée de l'outre-mer. - C'est de la conception même de l'avenir de nos départements et régions d'outre-mer que nous allons débattre. Les projets de loi organique et ordinaire relatifs aux collectivités de Guyane et de Martinique traduisent en effet une évolution institutionnelle majeure souhaitée par les électeurs : ils ont choisi à 70 % en Martinique et à 60 % en Guyane la création d'une collectivité unique régie par l'article 73 de la Constitution.

Du caractère innovant de cette consultation, je veux pour preuve le fait que, pour la première fois depuis 2003, les populations de deux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution ont opté pour fusionner les compétences du département et de la région. Facilitée par le caractère monodépartemental de ces deux territoires, la fusion rejoint la volonté de modernisation et de rationalisation qui a inspiré la réforme des collectivités territoriales par la loi du 16 décembre 2010.

Comment appeler les deux nouvelles collectivités ? Par crainte d'une confusion avec la notion juridique de collectivité d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, votre rapporteur propose celle de collectivité territoriale. Je me rallie à sa suggestion.

Afin de remédier aux éventuelles difficultés nées de la fusion, votre rapporteur préconise une commission paritaire consultative réunissant des représentants des conseils général et régional. Je suis très ouverte à une suggestion qui facilitera la transition. En revanche, s'il faut régler la question des nomenclatures comptables, pour le reste, il est légitime que l'Etat apporte son expertise, mais le travail doit être réalisé localement.

La Constitution n'impose aucun choix d'organisation institutionnelle : le modèle départemental a prévalu à Mayotte ; le droit commun des conseils régionaux régira, pour l'essentiel, la Martinique et la Guyane. Chacune de ces deux collectivités aura une assemblée, mais l'exécutif sera structuré différemment. La Guyane, optant pour un modèle proche de celui des régions, a conservé une commission permanente ; la Martinique a préféré un conseil exécutif collégial élu par l'assemblée et responsable devant elle.

Les compétences des deux collectivités résulteront logiquement de l'addition des attributions exercées aujourd'hui par les conseils régional et général : elles n'en auront ni plus ni moins que les autres collectivités de droit commun de l'article 73. Logiquement, leurs ressources seront celles des deux collectivités cumulées : la Martinique et la Guyane percevront donc les mêmes impôts et taxes et les mêmes dotations d'Etat qu'aujourd'hui.

S'agissant de la méthode, ces projets sont le produit d'une concertation poussée avec les élus. Après que mes services les ont rencontrés et interrogés, j'ai organisé des rendez-vous d'arbitrage, qui ont culminé en une rencontre avec le Président de la République, le 8 novembre dernier.

Cette réforme concrétise le choix des électeurs pour qui l'unité de la République ne signifie pas son uniformité.

Le projet de loi organique vise principalement à compléter la procédure d'habilitation pour permettre aux départements et régions d'outre-mer d'exercer la faculté d'adaptation et de définition des normes qui leur a été reconnue depuis 2003 par la Constitution. Votre rapporteur a suggéré que la prorogation de la procédure d'habilitation permettant aux départements et régions d'outre-mer d'exercer leur faculté d'adaptation et de définition des normes soit accordée de plein droit dans les six mois du renouvellement de l'assemblée et pour deux ans. Je suis favorable à ce que l'assemblée nouvellement élue puisse reprendre à son compte une demande votée tardivement par l'assemblée précédente. Il est néanmoins nécessaire de fixer des conditions : il ne peut y avoir de prorogation de plein droit. La nouvelle assemblée en formulera la demande expressément et dans les mêmes termes, par exemple dans le délai de six mois. Dès lors, rien ne s'oppose à ce que cette prolongation soit accordée pour la durée du mandat de la nouvelle assemblée, comme je l'avais souhaité pour les demandes dont elle a eu l'initiative.

En outre, les habilitations à adapter les règlements ne seront plus accordées par la loi mais par un décret, ce qui va dans le sens d'une meilleure adaptation des normes.

Le projet de loi ordinaire définit quant à lui l'organisation et le fonctionnement des deux nouvelles collectivités. La Guyane a choisi une assemblée délibérante de 51 membres, dont le président sera assisté d'une commission permanente dotée de compétences propres ; conformément au souhait des élus, la Martinique aura, outre une assemblée délibérante de 51 membres dont son président, un conseil exécutif et un président responsables devant l'assemblée ; les neuf membres du conseil exécutif seront élus parmi les 51 membres de l'Assemblée et remplacés par leurs suppléants. Le scrutin actuel des régionales a été retenu : scrutin proportionnel de liste à deux tours à la plus forte moyenne avec une prime majoritaire de 20 % des sièges à pourvoir.

La première élection aura lieu au plus tard le 31 décembre 2012, échéance que votre rapporteur propose de repousser au 31 mars 2014.

La création de la collectivité n'est pas liée à la fusion des patrimoines et des personnels : la décentralisation de 1982 n'a porté tous ses fruits qu'au fil des années, les derniers transferts de compétences n'intervenant qu'en 1987. La continuité juridique entre collectivités permet de distinguer la date de création de la nouvelle collectivité de la fusion des services des anciennes. Non seulement les nouvelles collectivités seront les plus à même de mener une fusion dont elles tireront une légitimité renforcée, mais encore le Conseil n'Etat n'a pas soulevé de difficulté constitutionnelle dans son avis du 20 janvier : il n'existe aucune obligation d'aligner les calendriers. Le calendrier de cette réforme correspond plus à un choix politique qu'à une préoccupation juridique. Les électeurs se sont exprimés en janvier 2010 : ils devront déjà attendre deux ans avant que se produisent les évolutions auxquelles ils aspirent. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité que la création de la collectivité unique intervienne d'ici fin 2012.

Quant au mode de scrutin, autre sujet sensible, le projet de loi prévoit que chaque nouvelle collectivité constitue une circonscription unique, composée de plusieurs sections dont le nombre sera déterminé par décret en Conseil d'Etat. Selon vous, c'est la loi qui doit les fixer : mais l'évolution institutionnelle en cours s'inscrit dans le cadre de l'article 73 de la Constitution. Il ne s'agit pas de délimiter des circonscriptions législatives, ni celles de collectivités d'outre mer de l'article 74. Aucune circonscription électorale d'une collectivité de droit commun n'est fixée par la loi ! Il n'y a pas de précédent juridique, restons par conséquent dans le droit commun, comme l'a fait la loi du 16 décembre 2010. Je partage votre souci de dégager une majorité stable et d'assurer la représentation équitable de tous les territoires. Il me semble aussi que le nombre de sections et que le mode d'affectation des sièges et de la prime majoritaire peuvent faire consensus. Les limites des circonscriptions électorales sont généralement fixées par décret : je crois qu'une expertise complémentaire est nécessaire sur ce point.

La société civile bénéficiera toujours d'un pouvoir consultatif au sein de la collectivité ; les élus proposent de fusionner le conseil économique et social et le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement.

L'article 9 du projet de loi, qui n'emporte pas la conviction du rapporteur, introduit une disposition nouvelle concernant la continuité de l'action territoriale dans les collectivités de l'article 73. Si une collectivité néglige de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique, de l'environnement ou au respect des engagements internationaux de la France, le représentant de l'Etat pourra prendre à sa place toute mesure appelée par l'urgence. Le rapporteur est réservé sur une mesure qui peut porter atteinte, selon lui, à la libre administration des collectivités. Mais le gros retard pris par les départements d'outre-mer, par exemple dans le traitement des déchets et l'assainissement, fait peser un risque de contentieux européen. En outre, la crainte d'un déclenchement de cette substitution peut inciter les autorités locales à agir ! Enfin, le préfet ne prend que les mesures les plus urgentes. De telles procédures sont déjà prévues par le code général des collectivités territoriales et le code de la santé publique. L'intervention du représentant de l'Etat répond à un motif d'intérêt général, elle est limitée, ponctuelle et ne contredit pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. Elle est une contrepartie indispensable à la plus grande concentration des pouvoirs au niveau local. Je suis prête à examiner avec vous l'idée d'une remontée de cette procédure au niveau du Gouvernement, à qui reviendrait la décision.

Nous devons nous affranchir de nos repères juridiques habituels puisque nous créons une catégorie nouvelle, innovante sur bien des points. J'espère que nous parviendrons ensemble à définir un cadre institutionnel opérationnel qui permettra un bon fonctionnement des collectivités, conformément à ce qu'ont souhaité les électeurs.

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