Intervention de Hubert Haenel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 octobre 2007 : 1ère réunion
Traités et conventions- délivrance des brevets européens — Examen des rapports

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel, rapporteur :

a rappelé que la Convention de Munich du 5 octobre 1973 avait mis en place le système du brevet européen qui couvrait aujourd'hui 32 Etats, dont l'ensemble des Etats de l'Union européenne. Ce système repose sur une procédure unique de délivrance des brevets par le biais d'une seule demande auprès de l'Office européen des brevets. Une fois délivré, le brevet européen éclate en un faisceau de brevets nationaux dans les Etats que son titulaire a désignés pour voir son invention protégée. Le brevet européen n'est donc pas un titre unitaire, mais il demeure régi, après la procédure centralisée de délivrance, par les lois nationales.

a précisé que ce système se heurtait à une double limite.

La première tient au fait que la Convention de Munich a été élaborée il y a plus de trente ans pour une dizaine de pays. Il est donc nécessaire de la moderniser pour l'adapter à l'augmentation du nombre d'Etats membres et aux évolutions technologiques survenues depuis 1973.

La deuxième est financière. Le coût d'accès au brevet européen est sensiblement plus élevé que celui du brevet américain ou japonais (on considère généralement qu'il est au moins 2 à 3 fois plus coûteux). Cela tient à la multiplicité des procédures de validation, aux taxes de maintien en vigueur dans l'ensemble des pays désignés et à l'exigence d'une traduction intégrale du brevet dans les langues des pays désignés.

Face à ces limites, deux voies ont été explorées pour améliorer le système de brevet en Europe.

La première voie a consisté à moderniser la Convention de Munich pour l'adapter aux évolutions technologiques et juridiques, a indiqué M. Hubert Haenel.

En juin 1999, à l'initiative de la France, s'est ainsi tenue à Paris une conférence intergouvernementale des Etats membres de l'Organisation européenne des brevets, qui a conduit l'année suivante à l'adoption d'un Acte de révision, visant à modifier la Convention de Munich. C'est l'objet du projet de loi n° 474 autorisant la ratification de l'acte portant révision de la Convention sur la délivrance de brevets européens.

Ces modifications sont toutes de nature technique. Il s'agit, par exemple, de modifier la procédure de révocation d'un brevet européen ou encore de rationaliser le fonctionnement de l'Office européen des brevets (OEB), qui emploie actuellement 6500 agents (dont 1100 français) répartis sur cinq sites (Munich, La Haye, Vienne, Berlin et Bruxelles).

a indiqué que ce texte, de nature très technique, ne soulevait pas de difficulté particulière. Il a simplement fait observer que la ratification de cet accord par la France était désormais urgente.

En effet, si notre pays ne ratifiait pas cette convention avant le 13 décembre prochain, la France serait automatiquement exclue de l'organisation européenne des brevets, ce qui signifie que les entreprises et les chercheurs français ne pourraient plus déposer de demandes de brevets européens.

a ensuite abordé la question de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens dit « Protocole de Londres ».

a indiqué qu'en l'état actuel de la Convention de Munich, le régime linguistique du brevet européen reposait sur l'équilibre suivant :

- d'une part, les trois langues officielles de l'Office européen des brevets sont l'allemand, l'anglais et le français : cela impose que les demandes de brevets européens soient déposées dans l'une de ces trois langues et que les revendications soient traduites dans les deux autres langues officielles au moment de la délivrance du brevet européen. Un fascicule de brevet se compose de deux parties : les revendications qui déterminent le champ de la protection demandée et qui constituent la partie juridiquement opposable, et les descriptions et dessins qui servent à interpréter les revendications, a rappelé M. Hubert Haenel ;

- d'autre part, les Etats ont la faculté de prescrire la traduction du brevet, dans son intégralité (revendications et description), dans leur langue nationale au moment de la validation, faculté dont l'ensemble des Etats parties à la Convention ont fait usage. Ainsi, pour bénéficier d'une protection dans tous les pays de l'Organisation européenne des brevets, un brevet européen doit être actuellement intégralement traduit dans les 23 langues des 32 pays membres.

L'accord de Londres revient sur cette faculté en emportant renonciation aux exigences de traduction qu'il prévoit, a indiqué M. Hubert Haenel.

Pour les Etats ayant une langue en commun avec les langues officielles de l'Office européen des brevets (c'est-à-dire la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni mais aussi la Suisse, Monaco, l'Autriche ou l'Irlande), il ne serait plus possible d'exiger la traduction intégrale du brevet, mais les revendications continueraient à être automatiquement traduites.

Les Etats n'ayant aucune langue en commun avec celles de l'OEB (comme la Suède, par exemple) devraient prescrire l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets comme langue de délivrance des brevets et pourraient, s'ils le souhaitent, demander la traduction des revendications dans leur langue nationale.

L'accord de Londres vise donc à alléger les exigences en matière de traduction pour réduire le coût du brevet européen.

La question de sa ratification par la France, a donné lieu, depuis maintenant sept ans, à des prises de position très tranchées, a indiqué M. Hubert Haenel, rapporteur.

C'est ainsi, à titre d'exemple, que l'Académie des sciences, l'Académie des technologies, le Conseil supérieur de la propriété industrielle se sont prononcés en faveur de la ratification de cet accord par la France. A l'inverse, l'Académie des sciences morales et politiques et l'Assemblée parlementaire de la francophonie se sont, pour leur part, déclarées opposées à une telle ratification.

a indiqué que ce sujet avait fait l'objet de nombreux travaux au sein du Sénat, notamment ceux de Francis Grignon pour la commission des affaires économiques ou de Richard Yung. Il a aussi rappelé qu'en avril 2006, le Premier ministre lui avait confié une mission de réflexion sur l'avenir du brevet en Europe, et qu'il avait pris l'initiative de réunir au sein de la délégation pour l'Union européenne du Sénat un groupe de travail composé, lui compris, de huit sénateurs issus de l'ensemble des groupes politiques qui comprenait Mme Catherine Tasca et MM. Louis de Broissia, Jean Bizet, Robert Bret, Denis Badré, Aymeri de Montesquiou et Roland Ries.

Dans ce cadre, il a procédé à 26 auditions et s'est rendu à Bruxelles pour rencontrer les autorités communautaires et les représentants de nos principaux partenaires. Ce groupe de travail a rendu ses conclusions en mai 2006.

a ensuite évoqué les enjeux de la ratification de l'accord de Londres, qui sont de quatre ordres : juridique, linguistique, économique et industriel.

L'enjeu juridique porte, d'une part, sur la constitutionnalité de l'Accord de Londres et, d'autre part, sur la sécurité juridique.

a rappelé que certains avaient considéré que cet accord international était contraire à la Constitution française et, en particulier, à l'article 2, selon lequel « la langue de la République est le français ».

Cet argument a été rejeté, tant par le Conseil d'Etat, dans son avis de 2000, que par le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue le 28 septembre 2006, a précisé M. Hubert Haenel. La question de la constitutionnalité de l'Accord de Londres doit donc être considérée comme réglée, a estimé M. Hubert Haenel.

L'autre impératif de réforme du système de brevet est le renforcement de sa sécurité juridique, a précisé M. Hubert Haenel. Or, pour certains, le protocole de Londres pourrait fragiliser cette sécurité juridique.

A cela, on peut objecter deux arguments.

D'une part, sur le territoire national, les revendications seront disponibles en français. Or ce sont elles qui constituent la partie essentielle et juridiquement opposable du brevet.

D'autre part, en cas de litige devant le juge, la traduction en français de l'intégralité du brevet sera obligatoire.

Au-delà de l'enjeu juridique, le principal reproche adressé au Protocole de Londres tient au fait qu'il constituerait une menace pour la place de notre langue et, plus largement, pour l'usage du français comme langue scientifique et technique.

Loin d'affaiblir la place de notre langue, le Protocole de Londres conforte en réalité la place privilégiée du français dans le domaine des brevets, a estimé M. Hubert Haenel, rapporteur.

En effet, le français restera l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets. De plus, avec le Protocole de Londres, les brevets européens délivrés en français pourront prendre effet au Royaume-Uni et en Allemagne, qui constituent les principaux marchés européens pour nos PME, sans traduction des descriptions, ce qui n'est pas possible actuellement.

s'est demandé si la ratification du Protocole de Londres inciterait les entreprises françaises à déposer directement leurs demandes de brevets en anglais.

La réponse est négative, car les déposants français privilégient très majoritairement (à 90 %) la voie nationale pour le dépôt des brevets avant extension au niveau européen, notamment parce qu'elle est beaucoup moins coûteuse. Or, ces demandes se font obligatoirement en français.

En revanche, en l'absence de ratification par la France, il existe un réel risque de passage au « tout anglais » en matière de brevet, a estimé M. Hubert Haenel.

Cette menace ne doit pas être mésestimée dans la mesure où, lors de la Conférence de Paris, des Etats comme la Suisse et la Suède proposaient l'abandon de toute exigence de traduction dès lors que le brevet serait disponible en anglais.

En la matière, le risque n'est pas que le français perde sa place de langue officielle à l'Office européen des brevets, car cela exigerait une révision de la Convention de Munich, qui nécessite l'accord de la France.

Le risque est plutôt que soit conclu, en lieu et place de l'accord de Londres, un nouvel accord facultatif dans lequel les Etats parties renonceraient à toute traduction dès lors que la demande serait déposée en anglais.

Une telle éventualité constituerait à l'évidence un précédent lourd de conséquences, surtout au vu du projet de brevet communautaire, a estimé M. Hubert Haenel.

En matière économique, l'intérêt attendu du protocole de Londres est une diminution du coût du brevet européen, qui est deux à trois fois supérieur au coût du brevet américain ou japonais.

L'entrée en vigueur du protocole de Londres entraînera bien une diminution des coûts de traduction, et donc du coût du brevet européen, a considéré M. Hubert Haenel. Mais celle-ci sera d'une ampleur encore incertaine et nécessairement variable, a-t-il indiqué. Les estimations varient ainsi de 15 à 45 % selon les sources.

L'impact financier du protocole de Londres dépendra en réalité de toute une série de paramètres :

- la taille du brevet européen, c'est-à-dire le nombre de pages à traduire : plus le fascicule est long, plus il est cher à traduire ;

- le coût de traduction d'une page d'une langue vers une autre : ces coûts varient, en effet, sensiblement selon les langues concernées ;

- le nombre d'Etats dans lesquels le titulaire du brevet souhaite que son titre prenne effet : plus il y aura d'Etats visés, plus il faudra de traductions ;

- le nombre d'Etats qui ratifieront l'accord de Londres : plus il sera élevé, plus les économies seront importantes.

L'impact financier reste donc difficile à déterminer, a précisé M. Hubert Haenel, même si les industriels auditionnés l'ont estimé réel et de nature à influencer, même s'il était faible, la politique de dépôt de brevet de nos entreprises.

La baisse du coût du brevet européen pourrait profiter à des entreprises « extra-européennes », a observé M. Hubert Haenel, rapporteur. Il est toutefois peu probable qu'elle se traduise par une « invasion » de brevets extra-européens, pour M. Hubert Haenel. Car l'Europe ne constitue pas un « marché naturel » pour la majorité des entreprises américaines ou japonaises.

Enfin, en cas de ratification de l'accord de Londres, la capacité de veille technologique de nos entreprises ne devrait aucunement être modifiée, même si la description des brevets n'est pas traduite en français, a souligné M. Hubert Haenel. En effet, la veille technologique s'exerce le plus en amont possible : surtout au stade de la publication de la demande, qui intervient dix huit mois après le dépôt, c'est-à-dire dès que l'information est accessible, et non à la délivrance du brevet, qui se produit en moyenne quatre ans après son dépôt. Le taux de consultation des traductions en français des brevets européens délivrés est d'ailleurs inférieur à 2 %, a-t-il fait observer.

En définitive, au regard de ces enjeux, M. Hubert Haenel a conclu que l'analyse en terme de risques et d'opportunités plaidait en faveur d'une ratification par la France de l'accord de Londres. Pour autant, cela n'exonère pas le Gouvernement d'assortir cette ratification de mesures d'accompagnement, telles que proposées par exemple par M. Francis Grignon dans son rapport de 2001, notamment en ce qui concerne les traducteurs de brevets et les conseils en propriété intellectuelle, a-t-il indiqué.

Surtout, et c'est le point essentiel, selon M. Hubert Haenel, rapporteur, la ratification du Protocole devrait permettre à la France de relancer le projet de brevet communautaire.

Brevet européen et brevet communautaire sont complémentaires dans la mesure où le brevet communautaire n'a pas vocation à remplacer le brevet européen, ou les systèmes nationaux de délivrance des brevets, mais à coexister avec eux. Le principal intérêt du brevet communautaire tient au fait qu'il serait un titre unitaire, contrairement au brevet européen, et qu'il s'accompagnerait de la création d'un système juridictionnel unifié, a estimé M. Hubert Haenel.

Après plusieurs tentatives avortées pour instituer le brevet communautaire dans les années 1960 et 1970, la Commission a relancé ce projet en présentant, parallèlement à la stratégie de Lisbonne, une proposition de règlement sur le brevet communautaire en août 2000. Ce texte a donné lieu à un accord politique entre les Etats membres sur l'architecture générale du brevet communautaire lors du Conseil Compétitivité du 3 mars 2003, accord politique portant sur le régime linguistique, le système juridictionnel, le rôle des offices nationaux et la répartition des taxes.

Toutefois, depuis cette date, les négociations sur le brevet communautaire sont bloquées, en raison d'une opposition entre l'Espagne et l'Allemagne sur la valeur juridique des traductions : l'Espagne souhaite que la traduction des revendications ait une valeur juridique, tandis que l'Allemagne s'y refuse au nom de la sécurité juridique.

La ratification du Protocole de Londres par la France pourrait permettre de lever cet obstacle, a estimé M. Hubert Haenel. En effet, le régime linguistique du brevet européen tel qu'il est prévu par le Protocole de Londres est très proche du régime linguistique du brevet communautaire, tel qu'il résulte de l'accord politique du 3 mars 2003, et dans ce contexte, la ratification du Protocole de Londres constituerait un signal fort en direction de nos partenaires pour reprendre le régime linguistique du Protocole de Londres dans le cadre du brevet communautaire, en confortant ainsi la place privilégiée du français.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

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