À l'invitation du président de la République, je me suis rendu à Londres où j'ai pu participer aux réunions du sommet franco-britannique du 2 novembre dernier. Notre collègue Guy Tessier, président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale était également présent, comme nos homologues de la chambre des Communes et de la chambre des Lords.
Dans le contexte de difficultés financières et de restrictions budgétaires, qui a pu faire qualifier ce sommet « d'entente frugale », cette réunion a été essentiellement consacrée à la coopération de défense et de sécurité.
Il s'est conclu par une déclaration commune et par la signature de deux traités dont je vous ai fait distribuer copie à la fin de la semaine dernière et qui devraient être rendus publics ce matin.
Vous vous souvenez qu'en février dernier nous nous étions rendus, Daniel Reiner et moi-même, à Londres pour évaluer les voies et moyens du renforcement de notre coopération militaire dont la relance avait été souhaitée par le Livre vert adopté par le gouvernement travailliste de l'époque. Cette volonté a été totalement endossée par le gouvernement conservateur de M. Cameron. Il existe donc un très large consensus politique sur ce point outre manche. Le rapport d'information que nous avons publié en juillet dernier décrivait un certain nombre de pistes de coopération que le sommet de Londres a concrétisées et élargies.
Avant d'en venir à la présentation du contenu de ces accords je souhaite faire trois remarques liminaires.
En premier, lieu il est évident que ces accords n'auraient pas été possibles si nous n'avions pas pris la décision de réintégrer totalement les structures de l'OTAN. Cette décision a levé une hypothèque : celle de l'existence d'un « agenda caché » de la France à l'OTAN, particulièrement vivace dans les milieux conservateurs britanniques. Aujourd'hui, la situation semble inversée puisque la déclaration du sommet de Londres souligne non seulement la convergence d'analyse entre les deux pays pour la réforme de l'OTAN, pour son concept stratégique, sa gouvernance financière ou la réforme de ses agences mais indique de la manière la plus claire que les forces nucléaires stratégiques indépendantes des deux pays, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale. Elle affirme que « tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire. » Elle rappelle enfin que la défense antimissile est un complément et non un substitut à la dissuasion. Position commune que ne partagent pas, comme vous le savez, nos partenaires allemands. Comment pourrait-on imaginer cette convergence de vues et d'analyses sans la confiance rétablie par la décision prise par notre pays de réintégrer pleinement les structures de l'OTAN ?
Ma seconde remarque est que l'initiative franco-britannique contribuera au renforcement des capacités de défense de l'Union européenne comme de l'OTAN. La démarche bilatérale qui a été retenue va de paire avec la recherche de solutions multinationales au sein de l'OTAN et de l'Union européenne. Il est, en effet, évident que tout renforcement des capacités participe au renforcement de celles des deux organisations.
Au sein de l'Union européenne, nos deux pays consacrent approximativement 2 % de leur PIB à la défense. Ils représentent 50 % des dépenses de défense des 27 et les deux tiers des dépenses de recherche et développement. Ils jouent donc naturellement un rôle leader en matière de sécurité et de défense. Le renforcement de leurs capacités et de leur coopération participe naturellement au renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. Il en va de même à l'OTAN.
Il a été très clair, tout au long du Sommet, que la coopération entre nos deux pays demeure ouverte à nos partenaires européens et, en particulier, à l'Allemagne et à l'Italie. Dans l'esprit de nos deux pays la démarche bilatérale de ces deux nations leaders doit encourager toutes les nations européennes à s'engager avec détermination sur la voie de la coopération et de la mutualisation. Cette coopération a vocation à renforcer l'Union européenne.
C'est en unissant nos forces que nous pourrons maintenir notre autonomie stratégique, enrayer la baisse des moyens de défense en Europe et rester un partenaire crédible pour nos alliés et, au premier chef, vis-à-vis des États-Unis.
Troisième remarque, cette coopération va bien au-delà des accords de Saint-Malo et de leurs résultats concrets. Elle crée une véritable interdépendance entre les deux pays tout en respectant la souveraineté de chacun. La déclaration franco-britannique le dit de manière très claire : « nous n'envisageons aucune situation où les intérêts vitaux de l'une de nos deux nations pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi. » Cette interdépendance s'inscrit en matière bilatérale, comme au sein de l'Union européenne ou de l'OTAN, dans le rappel du principe que le contrôle des forces armées, la décision de les employer et le recours à la force relèveront toujours de la souveraineté nationale. Il n'y a donc aucune ambiguïté sur ce point.
Compte tenu des enjeux de souveraineté, les modalités de cette coopération ont été inscrites dans deux traités et une lettre d'intention :
- un traité de coopération en matière de défense et de sécurité qui vise à développer la coopération entre nos forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipement, la construction d'installations communes et l'accès mutuel à nos marchés de défense et la coopération industrielle et technologique ;
- un traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes. L'objectif est de coopérer dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective ;
- enfin, une lettre d'intention porte sur la création d'un nouveau cadre d'échanges entre nos forces armées sur des questions opérationnelles.
Les projets de coopération concernent l'ensemble des domaines de défense.
En matière opérationnelle cela passe par l'organisation d'exercices conjoints (comme Flandres 2011) mais surtout par la mise en place d'une force expéditionnaire interarmées conjointe et par l'amélioration de notre interopérabilité navale qui permettra, à terme, à nos avions d'opérer indistinctement à partir du porte-avions britannique ou du Charles-de-Gaulle.
En matière capacitaire, la mutualisation du soutien de l'A400M et la coopération pour l'entraînement des équipages est prévue aux cotés d'un arrangement technique sur les satellites militaires de communication, de la coopération dans le domaine de la guerre des mines, du développement conjoint de technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires et de la possibilité d'utiliser les capacités excédentaires du programme britannique de ravitaillement en vol pour répondre aux besoins de la France en la matière.
Un des éléments clés de la coopération concernera les drones MALE ainsi que des études sur le remplacement des avions de type Rafale-Typhoon.
En matière de recherche et technologies la poursuite de notre coopération est prévue avec l'identification de domaines prioritaires de coopération pour les deux prochaines années. Les deux pays s'engagent à investir environ 50 millions d'euros chaque année dans ce domaine.
S'agissant du volet industriel les accords portent sur le renforcement et la rationalisation de notre coopération sur les missiles et armes complexes (notamment par la mise en place d'une entité ONE MBDA sur la base de MBDA UK et de MBDA France).
Enfin, un cadre de coopération commun sur la cyber-défense sera défini.
Des mécanismes prévoyant la comparaison en amont des projets en matière de capacités militaires et une consultation avant toute décision permettront de maximiser les chances de coopération à l'avenir et de favoriser l'acquisition d'équipements identiques. De plus, le traité prévoit de faciliter les transferts d'équipements, l'accès aux marchés et de promouvoir l'exportation des équipements produits en commun.
Le second traité porte sur la coopération dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective. Une coopération de grande envergure va être lancée pour utiliser de manière conjointe les installations communes de Valduc où seront modélisées la performance de nos têtes nucléaires et des équipements associés, afin d'en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme. Un centre de développement technologique commun, installé au Royaume-Uni, à Aldermaston, sera également mis en place pour soutenir ce projet.
Ce traité, qui a été conclu pour une durée de 50 ans, c'est-à-dire pour la durée de vie de l'installation, permettra un partage des coûts qui devrait conduire à des économies estimées à 500 millions d'euros pour la France.
Pour conclure, je voudrais insister sur la dimension parlementaire que nous pourrions donner à cette relance de nos relations.
En premier lieu il s'agit de la ratification de ces traités qui devraient être soumis à l'approbation du Parlement. En droit strict, seul le traité relatif au nucléaire, qui comporte des engagements et des conséquences financières, doit être juridiquement soumis à nos assemblées.
La procédure en Grande-Bretagne permet une ratification simple et rapide puisqu'il existe une exigence que le gouvernement soumette les traités à l'examen du Parlement pendant 21 jours francs à compter de leur signature, avec ou sans débat pendant cette période, aux termes de laquelle la ratification peut être parachevée.
De notre côté, le dispositif est plus lourd puisqu'il implique une saisine du Conseil d'État puis l'adoption en Conseil des ministres de projets de loi portant autorisation de ratifier, le dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées et le vote de ces textes.
Compte tenu de ces procédures parlementaires différentes, il me semble que le gouvernement devrait accélérer le processus de dépôt et d'examen devant les assemblées.
Enfin, dans le rapport d'information de notre commission nous avions proposé la constitution d'un groupe de travail commun aux quatre commissions de la chambre des Communes, de la chambre des Lords, de l'Assemblée nationale et du Sénat pour suivre le développement et l'approfondissement de la coopération franco-britannique.
J'ai donc proposé, avec Guy Teissier, la création de cette structure informelle à nos homologues britanniques James Arbuthnot et Lord Teverson qui ont bien voulu l'accepter.
Nous avons fixé d'un commun accord la première réunion de ce groupe au mercredi 8 décembre prochain. À la demande de nos amis britanniques ce groupe de suivi doit être une structure légère et nous avons convenu qu'il serait composé, pour chaque assemblée, du président de la commission et de deux autres membres représentant respectivement la majorité et l'opposition. Si la commission en est d'accord et, compte tenu de la dominante capacitaire et industrielle de cette coopération, je vous propose de désigner nos collègues Xavier Pintat et Daniel Reiner qui sont nos deux rapporteurs pour le programme 146.