Je voudrais d'abord mettre l'accent sur l'extraordinaire importance des nouvelles technologies. On peut en distinguer quatre, qui peuvent être groupées deux à deux, d'une part, la vidéosurveillance et la biométrie, d'autre part, la géolocalisation et les réseaux, notamment téléphoniques : avec les deux premières on peut suivre une personne, savoir où elle est à telle heure, mais si les pouvoirs publics le souhaitent, il est juridiquement possible de les interdire alors que c'est impossible pour les deux dernières. Le développement de la géolocalisation et des réseaux fait donc peser de plus grandes menaces sur les libertés individuelles. La vidéosurveillance et la biométrie sont visibles, la géolocalisation et les réseaux, invisibles, sont beaucoup plus dangereux.
La conception de la vie privée est en train de changer : Mark Zuckerberg, président-directeur général de Facebook explique tranquillement qu'on doit admettre une réduction de la sphère de la vie privée. Par ailleurs, nous avons entendu Eric Schmidt, président-directeur général de Google estimer qu'il faudrait accepter, en application de la théorie de la « banqueroute de réputation », de changer régulièrement d'identité pour récupérer une forme d'anonymat sur le réseau. Cette idée séduit de nombreux Américains ! C'est un aveu d'échec car cela revient à dire : puisque les Etats sont impuissants à protéger l'identité des personnes à l'heure des nouvelles technologies, il leur appartient de prévoir la possibilité d'un changement d'identité de leurs citoyens...
Je suis également inquiet de la concentration des dispositifs de surveillance dans les grands lieux de rassemblement tels que les stades, les gares et surtout les aéroports où les individus sont tracés depuis leur arrivée jusqu'à leur embarquement dans l'avion.
J'appelle également votre attention sur le phénomène du nuage numérique ou « cloud computing ». Des milliards de données sont stockées pour l'éternité dans des « fermes numériques », pas très bien gardées. Le droit à l'oubli a-t-il un sens quand une information peut réapparaître des années plus tard ?
Par ailleurs, il faut poser clairement le problème des nanotechnologies. Certes, elles représentent un progrès pour l'humanité en matière de santé. Cependant, quand des systèmes informatiques seront disséminés par millions, soit autant de Mini brothers invisibles, l'on regrettera le bon vieux temps de Big Brother. La miniaturisation implique l'invisibilité et, par là, l'irréversibilité.
J'insiste également sur la dématérialisation des systèmes qui crée ce qu'on appelle « l'informatique d'ambiance ». On entre dans une ère nouvelle où les technologies sont partout autour de nous, sans que l'on en ait conscience et a fortiori sans que l'on puisse les maîtriser.
Quelles sont les solutions qui s'offrent aux pouvoirs publics pour répondre à ces évolutions aussi passionnantes que préoccupantes ?
La CNIL estime que la première réponse est la pédagogie. C'est pourquoi notre Commission consacre beaucoup de temps et d'argent à des actions d'information et de sensibilisation, en coopération avec le ministère de l'Education nationale : nous avons ainsi récemment adressé des centaines de milliers de brochures à des parents, des élèves, des centres de documentation... Reconnaissons que les professeurs sont parfois dépassés par les nouvelles technologies, surtout quand on sait qu'un élève de 4ème passe en moyenne 2 heures et demie sur Internet tous les soirs de la semaine (le week-end c'est encore plus). Mais la communauté éducative ne doit pas renoncer pour autant : elle doit apprendre aux élèves à préserver les valeurs essentielles que sont l'identité et l'intimité.
2ème réponse : la CNIL se doit d'analyser aussi finement que possible les nouvelles technologies et les nouveaux comportements qu'elles induisent. Elle doit même avoir un temps d'avance : c'est pourquoi notre commission s'est récemment dotée d'un laboratoire, composé d'ingénieurs de haut niveau, chargé d'assurer une veille technologique. Nous sommes la première commission de protection des données à l'avoir fait.
Enfin, la 3ème réponse est capitale : c'est la réponse juridique. Il y a quelques semaines, plusieurs sénateurs, dont le Président Jean-Jacques Hyest, ont signé une proposition de résolution visant à apporter le soutien du Parlement à la signature d'une convention universelle pour la protection des personnes à l'égard du traitement des données personnelles. Il est très important de tout faire pour arriver un jour à élaborer un instrument international contraignant garantissant le respect de la protection des données personnelles et de la vie privée, car l'encadrement des nouvelles technologies ne peut être que mondial. Or, je rappelle que si de nombreux pays de l'Union européenne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et quelques pays d'Afrique et d'Amérique soutiennent la nécessité d'une intervention protectrice des pouvoirs publics et mettent progressivement en place à cet effet des normes et des organismes spécialisés, d'autres, tels que les États-Unis, le Japon, la Chine ou l'Inde, restent étrangers à ces préoccupations. Je signale que les parlements allemand et espagnol ont récemment voté des résolutions visant à promouvoir la signature d'une convention internationale pour la protection des données personnelles. C'est pourquoi je me tourne vers le Président : pensez-vous qu'on puisse espérer à brève échéance le vote au Sénat de votre proposition de résolution ?