Intervention de Michèle André

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 octobre 2010 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques rgpp dans les préfectures — Communication

Photo de Michèle AndréMichèle André, rapporteure spéciale :

La RGPP s'applique à toutes les missions budgétaires depuis la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques, en particulier à la mission dont je rapporte les crédits.

Dans les préfectures, la RGPP vise trois dimensions stratégiques de l'activité de ces services déconcentrés de l'Etat : la délivrance des titres d'identité, le contrôle de légalité et la gestion des fonctions support.

Par définition, cette politique touche l'ensemble des agents des préfectures, mais elle concerne plus spécifiquement environ 18 000 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT). Dans ces métiers, elle prévoit la suppression de 2 107 ETPT entre 2009 et 2011, c'est-à-dire 11,7 % des effectifs directement concernés par les « mandats RGPP ».

Des économies budgétaires sont recherchées parallèlement à cet objectif de réduction des emplois. La suppression des 2 107 emplois représente une économie de 104 millions d'euros en dépenses de personnel et 18 millions d'économies de fonctionnement sont attendus sur trois ans. Aucun gain n'est cependant espéré dans le domaine de l'investissement. Au total, la RGPP permettrait ainsi une économie de 122 millions sur trois ans.

Son rythme de mise en oeuvre prévoit un étalement des suppressions d'ETPT sur la période 2009-2011, avec toutefois une accélération du processus entre la première étape (en 2009) et les deux étapes suivantes (en 2010 et 2011). Selon les informations communiquées par le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, 740 ETPT ont effectivement été supprimés en 2009. L'effort doit se poursuivre en 2010 et en 2011. Au total, les fonctions support devraient perdre 1 011 ETPT, l'activité de délivrance de titres 626 ETPT et le contrôle de légalité 470 ETPT.

Comment ce schéma d'ensemble s'applique-t-il concrètement dans les préfectures ? Et quel est l'impact de cette réforme pour les usagers et les personnels ?

Les résultats à ce jour sont décevants, et même préoccupants.

Si le passage au passeport biométrique a été réussi au 28 juin 2009, conformément aux engagements européens de la France, l'usager a dû attendre plus longtemps pour la délivrance de son passeport. Du fait de la saisonnalité de cette activité, l'été 2009 a représenté une période particulièrement critique avec des délais supérieurs à un mois dans certains départements. Les problèmes informatiques liés au nouveau système de délivrance des passeports biométriques ont ainsi fortement pesé sur les demandeurs souhaitant voyager à l'étranger.

Les espoirs de gains de productivité attendus de ce nouveau système de délivrance ont été déçus. Le récent rapport, présenté par la Cour des comptes à votre commission, sur le prix du passeport biométrique met en évidence un accroissement des charges de personnel portant sur chaque dossier de passeport.

Le nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) rencontre également des problèmes. Fondé sur un partenariat avec les professionnels de l'automobile, il vise à simplifier les démarches administratives de l'usager lors de la délivrance des cartes grises. Cependant, les propriétaires de véhicule sont très loin de passer toujours par un professionnel de l'automobile pour l'immatriculation : c'est le cas pour 90 % des véhicules neufs, mais seulement 20 % des véhicules d'occasion. Le réflexe d'un particulier achetant un véhicule d'occasion à un autre particulier demeurera encore longtemps de se tourner vers la préfecture. Le passage au SIV a fortement augmenté le délai de traitement des demandes, principalement du fait de difficultés informatiques : on serait passé de 25-30 minutes, à 40 minutes par dossier. Enfin, un coût supplémentaire de transaction est apparu, car la plupart des professionnels font payer leurs prestations d'immatriculation. On peut donc s'interroger sur cette logique consistant à faire financer, par l'usager et au profit d'acteurs privés, d'incertains gains de productivité dans la sphère publique. Devant la préfecture des Alpes-Maritimes, il m'a même été donné d'observer un professionnel qui « rabattait » des usagers découragés par les temps d'attente au guichet et qui leur proposait ses services, plus rapides mais payants !

En matière de contrôle de légalité, la nouvelle stratégie s'appuie sur une concentration des moyens en préfecture. Le sous-préfet conserve un rôle de conseil auprès des élus locaux, mais la RGPP lui fait perdre des cadres A et son activité de conseil va pâtir du fait que l'expertise sera désormais concentrée à l'échelon de la préfecture.

La RGPP s'accompagne d'un recentrage du contrôle sur les actes les plus sensibles et à fort enjeu, tels que l'urbanisme, l'environnement, la commande publique ou les actes budgétaires. Ce recentrage pose la question du « rétrécissement » du périmètre du contrôle de légalité. La diminution du champ prioritaire de ce contrôle ne doit pas se traduire par de l'insécurité juridique, elle-même à l'origine d'un coût social élevé. Juste après la tempête Xynthia, nous avons constaté une certaine fébrilité dans les services, pour s'assurer que les permis de construire délivrés étaient conformes à la loi...

L'impact de la RGPP sur les fonctions support paraît relativement modeste à ce jour. Les préfectures se sont engagées sur la voie de la mutualisation, mais dans un nombre de secteurs relativement restreint. Plus du tiers porte sur les standards téléphoniques, 31,6 % concernent la gestion des ressources humaines, et 10,5 % touchent la fonction achat. La distance rend plus difficile la mise en commun des moyens et il faut articuler les mutualisations régionales entre les préfectures avec des mutualisations interministérielles. Enfin, l'inquiétude des préfectures des départements face à l'affirmation grandissante du rôle pivot des préfectures de région n'est pas sans conséquence sur le nombre limité de mutualisation, que ce frein soit explicité ou pas.

Un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration met en lumière les gains très limités de ces mutualisations. Il chiffre notamment à 65 ETPT les économies en emplois réalisées, soit une moyenne de 2,03 ETPT par mutualisation. Ces faibles gains ne permettront pas de couvrir les suppressions d'emplois prévues, pas plus que l'externalisation de certaines tâches n'y remédiera de manière satisfaisante. Ainsi, par exemple, l'externalisation de l'entretien des bâtiments préfectoraux se traduit bien souvent par une perte de qualité dans le service rendu, à un coût qui par ailleurs ne diminue pas.

A ces difficultés de mise en oeuvre des principaux axes de la RGPP dans les préfectures s'ajoute un environnement informatique défaillant. Le progiciel de gestion intégré CHORUS connaît ainsi une mise en route très difficile, qui pénalise les préfectures dans leur recherche d'efficacité et de gain de productivité. En concentrant une part importante des actes budgétaires à la préfecture de région, CHORUS contribue à déresponsabiliser les agents en préfecture, qui perdent les outils nécessaires à une bonne vision de leur gestion.

Ces difficultés peuvent créer au sein des services un climat de défiance à l'égard du changement. Elles contribuent à saper la confiance des équipes dans le processus de modernisation et à brouiller la bonne lecture de la trajectoire budgétaire des services, avec pour conséquence un management rendu moins cohérent.

Le pari de la RGPP paraît en passe d'être perdu dans les préfectures. En quoi consistait-il ? Il s'agissait de réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Ces gains de productivité « gageaient » les réductions de postes annoncées, sans dégradation des conditions de travail pour les agents, ni de la qualité du service public rendu à l'usager. A mi-chemin de la programmation triennale de la RGPP, il semble bien que l'espérance d'une amélioration de la productivité soit déçue.

Comme nombre de mes interlocuteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, me l'ont rapporté : « on est arrivé à l'os », « on fait tourner un moteur sans huile ». Les préfectures ont absorbé, avec toutefois une difficulté croissante, les suppressions drastiques d'effectifs en 2009 et en 2010. Mais l'année 2011 pourrait bien être l'année de trop : une pause paraît devoir s'imposer. Il y va de la mise en péril de la qualité du service public dans les préfectures.

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