président de la Mecss, rapporteur. - La philosophie des réformes conduites au cours des dernières années soulève des interrogations sur le niveau des pensions. Il apparaît clairement que ces évolutions ont pour conséquence une diminution du taux de remplacement. Le taux de remplacement brut, qui était de 48 % en 2003, ne serait plus que de 39 % en 2030.
C'est pourquoi, la réforme de 2001 a mis l'accent sur l'épargne retraite en encourageant à la fois les retraites d'entreprise et l'épargne retraite individuelle, qui constituent les deuxième et troisième piliers du système. Pour tous les acteurs du secteur, cette réforme a marqué un changement de paradigme dans la conception du système de retraite allemand : jusqu'alors, on attendait du système de retraite légal qu'il offre à chaque assuré les moyens de subvenir à ses besoins pendant la retraite ; désormais, la pension de base doit être combinée aux deux autres piliers pour y parvenir.
Les retraites d'entreprise existent depuis plus de cent cinquante ans en Allemagne. Ces régimes, dont la mise en oeuvre a toujours été laissée au libre choix des entreprises elles-mêmes, ont connu leur apogée pendant les années soixante-dix mais déclinent depuis lors. La réforme de 2001 a donc tenté de les relancer : à la demande de leurs salariés, les entreprises doivent leur permettre de placer une partie de leur rémunération sur un dispositif de retraite d'entreprise assorti d'avantages fiscaux.
Cette faculté n'a pas entraîné de bouleversement spectaculaire : certes, le nombre de salariés bénéficiant d'une retraite d'entreprise a un peu augmenté - ils sont dix-sept millions aujourd'hui - mais les syndicats constatent le désengagement des entreprises, ce qui, combiné au plafonnement du taux de cotisations, marque une tendance forte à l'individualisation de la retraite.
La partie la plus intéressante de la réforme « Riester » de 2001 est celle qui concerne l'épargne retraite individuelle, troisième pilier du système de retraite. L'Allemagne a en effet mis en place un dispositif de subventionnement direct de l'épargne retraite assez original. Depuis cette réforme, tous les salariés qui cotisent directement à un plan de retraite agréé ont droit à une subvention, versée sur le compte d'épargne du bénéficiaire. Elle se compose d'un montant de base et d'un supplément par enfant.
Pour bénéficier du montant maximal de la subvention (154 euros par an), il faut placer 4 % de son salaire annuel brut sur un produit d'épargne retraite agréé. Une épargne inférieure donne droit à une prime proratisée à l'euro près. Le supplément par enfant s'élève à 185 euros par an et par enfant, et même à 300 euros pour ceux nés après 2008.
Les foyers les plus modestes bénéficient d'un régime dérogatoire qui leur permet d'obtenir le montant maximal de la prime en ne souscrivant que le minimum obligatoire de 60 euros par an, même s'il est inférieur à 4 % de leur revenu. Pour certains foyers, la subvention représente en conséquence 90 % de l'épargne constituée.
Une deuxième forme d'incitation consiste en des déductions du revenu imposable des sommes versées sur le produit d'épargne retraite. Ce système, qui est alternatif au précédent et plafonné à 2 100 euros par an, est généralement plus avantageux pour les salariés dont les revenus sont élevés.
Ce troisième pilier du système allemand a démarré assez timidement, notamment parce que le régime juridique des contrats était très complexe. Les conditions de certification des contrats ont été simplifiées et les avantages relatifs des produits d'assurance vie ont été supprimés, ce qui a permis une accélération du développement de l'épargne retraite « Riester ». Ainsi, à la fin de l'année 2009, treize millions et demi de personnes avaient souscrit un contrat, soit 30 % environ des quarante-trois millions d'actifs, ce qui est loin d'être négligeable pour un dispositif qui demeure purement facultatif. Il a coûté 2,5 milliards d'euros à l'Etat en 2009 au titre des subventions et 6,5 milliards depuis son entrée en vigueur.
Près de dix ans après sa création, le dispositif « Riester » fait encore l'objet de débats. Faute d'étude approfondie sur les personnes souscrivant ces contrats, la part de la population qui n'est couverte ni par une retraite d'entreprise ni par un dispositif « Riester » n'est pas connue avec précision. Les syndicats estiment que les salariés aux revenus les plus faibles ou dont la situation sur le marché du travail est la plus précaire restent à l'écart de ces contrats d'épargne retraite.
La principale interrogation concerne la capacité de ce système à compenser la diminution du taux de remplacement dans la retraite légale. Le ministère du travail publie régulièrement un tableau démontrant que cette compensation est bien assurée, mais à condition que chaque assuré utilise à plein le dispositif « Riester » pendant toute la durée de sa carrière, ce qui n'est naturellement pas le cas aujourd'hui. Dans ces conditions, l'efficacité des retraites « Riester » demeure débattue, mais ces produits sont de plus en plus utilisés par les Allemands, qui souhaitent profiter des avantages importants qui leur sont associés.
L'une des particularités du système allemand réside dans l'efficacité du dispositif d'information des assurés pendant leur vie active, beaucoup plus complet qu'en France : dès l'âge de vingt-sept ans, chacun reçoit un document annuel sur les règles de fonctionnement du régime de base de retraite, mais aussi les éléments relatifs à sa propre carrière et surtout trois estimations du montant futur de sa retraite de base en fonction de trois hypothèses d'évolution de ses revenus. Ces projections permettent de sensibiliser très tôt les salariés à l'utilité de compléter leur future pension légale en recourant aux dispositifs d'entreprise ou à l'épargne retraite individuelle. Périodiquement, ils reçoivent également le récapitulatif des éléments de carrière connus de l'assurance retraite, ce qui leur permet de signaler des erreurs pour obtenir des rectifications.
Ce dispositif implique l'envoi de trente-six millions de lettres aux assurés chaque année. Le ministère du travail et l'assurance retraite ont écarté l'hypothèse de création de comptes individuels en ligne, en raison de son coût et des difficultés de protection des données individuelles à l'égard de tiers.
L'information des assurés est donc meilleure que par le GIP Info retraite institué par la loi Fillon, mais il faut reconnaître que le nombre réduit de régimes d'assurance vieillesse a facilité la mise en place de ce droit à l'information en Allemagne.
Enfin, à ces courriers s'ajoutent un numéro unique de renseignement et l'accueil individuel des assurés dans l'un des soixante-dix centres de consultation sur la retraite. S'il leur est formellement interdit de conseiller les assurés sur des produits d'assurance complémentaire, individuels ou d'entreprises, il leur revient de les informer sur les régimes d'aide à l'épargne retraite individuelle.
Le déplacement de la Mecss à Berlin a été l'occasion de constater que le fameux consensus social allemand, souvent loué, a été écorné ces dernières années. La cogestion a sans doute facilité la réforme importante de 2001, mais les évolutions ultérieures ont été beaucoup moins concertées. Les échanges avec les représentants des syndicats, du patronat et du ministère fédéral des affaires sociales et du travail ont révélé de profondes divergences de vues entre les partenaires sociaux, en particulier sur la question du report de l'âge légal de départ décidé en 2007. Alors que les employeurs ont, dès l'origine, soutenu cette mesure, les syndicats continuent de la combattre avec force. Le seul consensus entre gouvernement et partenaires sociaux en matière de retraite porte actuellement sur l'emploi des seniors.
Le système allemand, sans être un modèle pour la France, est donc riche d'enseignements. Ses évolutions reposent sur une volonté, assumée par une population qui fait peu d'enfants, de ne pas transférer aux générations futures la charge des retraites d'aujourd'hui. Le recours à l'épargne retraite a pris, dans ce pays, une forme originale dans le souci d'en faire bénéficier la totalité de la population. Enfin, l'information donnée aux assurés sur les retraites y est beaucoup plus complète qu'en France, et c'est là un exemple à suivre.