Le 18 février 2009, notre collègue Christian Cambon déposait au Sénat une proposition de loi relative à la solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau et de l'assainissement des particuliers, dont j'ai eu l'honneur d'être nommé rapporteur par notre commission de l'économie.
Cette dernière comportait initialement un article unique et elle nous revient aujourd'hui, en seconde lecture, après une navette qui l'a enrichie d'un article supplémentaire.
Je voudrais, au préalable si vous me le permettez, revenir un instant sur le contexte dans lequel intervient l'examen de ce texte.
Si l'eau est globalement peu chère en France, comparé au reste de l'Europe - 3,01 euros le mètre cube contre 3,44 en moyenne en Europe - la facture d'eau constitue tout de même une charge importante pour les plus démunis. Pour 200 000 foyers, elle dépasse 3 % du revenu total du ménage. Or, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) recommandent que la facture d'eau ne représente pas plus de 3 % du budget, objectif qui a d'ailleurs été repris par la proposition de loi déposée par notre collègue Evelyne Didier, les élus communistes, républicains, citoyens et les sénateurs du parti de gauche visant à mettre en oeuvre le droit à l'eau.
Le prix de l'eau a en effet augmenté au cours des dernières années, principalement en raison des normes environnementales de plus en plus exigeantes en matière de qualité. En outre, la disparité des prix de l'eau amplifie ce déséquilibre social, la moyenne départementale oscillant en effet entre moins de 2,5 euros et plus de 4 euros le mètre cube.
Dans ce contexte, et alors qu'il a été longtemps ignoré des textes internationaux et constitutionnels, le droit à l'eau a été récemment reconnu et affirmé avec force dans une résolution du 28 juillet 2010 de l'Assemblée générale des Nations Unies. Par ailleurs, je vous rappelle que, si le droit à l'eau n'a pas, en France, le rang de principe ou d'objectif à valeur constitutionnelle, il peut, indirectement, se rattacher à deux principes de valeur constitutionnelle : le droit au logement et le droit à la protection de la santé publique.
Plus récemment, l'article premier de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) adoptée en 2006 a consacré un « droit d'accès à l'eau potable pour chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
C'est dans l'objectif de traduire juridiquement ce nouveau droit à l'eau et notamment des termes « dans des conditions économiquement acceptables par tous », que la proposition de loi de notre collègue proposait de renforcer le dispositif d'aide actuellement en vigueur et de remédier à ses limites et ses dysfonctionnements.
J'en viens maintenant au dispositif.
La proposition de loi initiale visait à renforcer le dispositif curatif actuellement en place en matière de solidarité dans le domaine de l'eau pour les foyers les plus modestes qui permet de faciliter l'aide au paiement des factures des personnes en situation d'impayés dans le cadre de l'article L.115-3 du code de l'action sociale et des familles. Elle partait d'un constat largement partagé : les sommes allouées au volet « eau » des Fonds de solidarité logement (FSL) ne permettent pas de répondre aux objectifs dévolus en aidant les personnes qui connaissent des difficultés financières, notamment en ce que le dispositif exclut les personnes en immeubles collectifs d'habitation. Composée d'un article unique, elle proposait une contribution des distributeurs d'eau, dans la limite de 1 % de leurs recettes, aux communes et centres communaux et intercommunaux d'action sociale afin de leur permettre d'aider les personnes les plus démunies à régler leurs factures d'eau.
La proposition de loi initiale a été enrichie, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, par notre commission sur plusieurs points importants tels que l'inscription du mécanisme d'aide dans le cadre des dispositifs existants (c'est-à-dire le transfert de cette contribution au FSL), l'inclusion des immeubles collectifs d'habitation dans le périmètre des foyers aidés, la diminution du taux de contribution proposé à 0,5%, l'extension du dispositif proposé aux régies et aux délégataires et la mise en place d'un système d'information et d'intervention sous forme d'avis simple du maire au gestionnaire du FSL.
Conformément aux principes de la navette parlementaire, le texte a ensuite été transféré à l'Assemblée nationale, examiné par la commission des lois, modifié et adopté en séance publique le 1er décembre 2010.
Je crois que nous pouvons nous réjouir, mes chers collègues, que l'Assemblée nationale ne soit pas revenue sur le coeur du dispositif de la proposition de loi, c'est-à-dire sur le principe d'une contribution volontaire des services d'eau et d'assainissement plafonnée à 0,5% des redevances hors taxes.
Le rôle central du maire au sein du dispositif d'attribution de l'aide au paiement des factures en eau pour les personnes en difficulté a également été préservé. Sans le remettre en cause, ce rôle a néanmoins été modifié et ce, pour plusieurs raisons pratiques :
- le maire a en effet déjà la possibilité, via les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS et CIAS) notamment, de saisir le FSL ;
- le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Guy Geoffroy, a relevé que la procédure de l'avis simple du maire au FSL risquait d'alourdir le dispositif dans la mesure où la loi du 31 mai 1990 interdit que les décisions d'octroi des aides du FSL reposent sur d'autres éléments que le niveau de patrimoine ou de ressources des personnes et l'importance et la nature des difficultés qu'elles rencontrent.
L'Assemblée nationale a donc adopté, en séance, un amendement modifiant l'article 6-2 de la loi de 1990 : ce nouveau dispositif prévoit que la demande d'aide est notifiée par le gestionnaire du fonds au maire et au centre communal ou intercommunal d'action sociale (CCAS ou CIAS) qui peuvent eux-mêmes, en retour, et avec copie au demandeur, lui communiquer le détail des aides déjà fournies et les informations susceptibles de l'éclairer sur les difficultés rencontrées par le demandeur.
Elle a par ailleurs simplifié la rédaction de l'article 1er en précisant notamment que la contribution sera imputée sur les budget des services publics d'eau et d'assainissement et en veillant à ce que son inscription dans le code général des collectivités territoriales n'ait pas pour conséquence d'exclure toute autre forme de financement du FSL.
Enfin, l'Assemblée nationale a inséré dans la proposition de loi un article additionnel qui prévoit que le Gouvernement doit remettre, dans un délai de six mois, un rapport au Parlement sur les modalités et les conséquences de l'application d'une allocation de solidarité pour l'eau attribuée sous conditions de ressources, directement ou indirectement, aux usagers domestiques des services publics d'eau potable et d'assainissement afin de contribuer au paiement des charges liées aux consommations d'eau au titre de la résidence principale.
Nous avions déjà évoqué lors de nos débats de première lecture, mes chers collègues, cette nécessité d'une action pragmatique à deux niveaux dans le domaine de l'accès à l'eau. Le premier niveau, d'ordre préventif, consiste à faciliter l'accès à l'eau pour les plus défavorisés, afin d'éviter que la facture d'eau ne représente plus de 3 % de leur revenu. Le deuxième niveau, d'ordre curatif, a trait à la solidarité et fait l'objet de notre proposition de loi.
Le Comité national de l'eau, vous le savez, s'est emparé des questions relatives à la prévention, et plusieurs pistes ont été dégagées. Des propositions de loi ont été déposées sur le sujet. Je crois néanmoins que le délai de six mois laissé au Gouvernement pour nous remettre un rapport lui permettra de mettre à plat les différentes pistes envisageables, celle d'une tarification sociale, celle d'une tarification progressive ou encore la mise en place d'une allocation différenciée, tout en lui laissant le temps de consulter les collectivités territoriales, les fédérations représentant les opérateurs de l'eau et les organismes sociaux. Un grand nombre de points techniques doivent être notamment étudiés. Le comité national de l'eau par exemple, dans son avis de décembre 2009 a identifié les caisses d'allocations familiales comme possibles opérateurs, or ces dernières semblent réticentes à l'idée de se voir attribuer cette nouvelle mission.
Lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est par ailleurs engagé, en contrepartie, à présenter dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, les modifications législatives nécessaires qui en découleront, afin de pouvoir disposer, lors du Congrès mondial de l'eau qui aura lieu en mars 2012 à Marseille, d'une législation dotée d'un droit à l'eau (depuis 2006) garanti, en amont, par un volet préventif, et en aval, par un volet curatif.
En conclusion, mes chers collègues, je crois que nous avons aujourd'hui un texte qui renforce de manière significative le dispositif curatif d'aide au paiement des impayés pour les factures d'eau des ménages les plus fragiles et qui replace les communes au centre de ce système d'action sociale. Il est à mon sens nécessaire d'adopter cette proposition de loi en l'état, afin que le volet préventif, sur lequel le Gouvernement s'est engagé à faire des propositions législatives concrètes à la fin de l'année, puisse rapidement venir compléter le dispositif. Je crois que nous pourrons alors nous reposer sur un système complet d'aide aux foyers les plus démunis en matière d'accès à l'eau, le volet préventif n'excluant pas le volet curatif, mais bien au contraire les deux se renforçant pour permettre une mise en application concrète de ce droit à l'eau consacré par la LEMA de 2006.