Intervention de Luc Carvounas

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission ville et logement - examen du rapport pour avis

Photo de Luc CarvounasLuc Carvounas, rapporteur pour avis :

Au onzième rang du budget de l'Etat en termes de crédits de paiement, la mission « Ville et logement » mobilise environ 2 % des dépenses prévues pour l'année 2012, soit 7,845 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 7,721 milliards d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 1 % par rapport à l'an dernier.

L'effort global en faveur de la politique de la ville et du logement va toutefois bien au-delà de ces enveloppes budgétaires, puisqu'il comprend aussi des dépenses fiscales deux fois supérieures aux crédits et qu'une part des ressources provient de la participation des employeurs à l'effort de construction (Peec) au travers de l'ancien 1 % logement, désormais dénommé « Action logement ».

L'on pourrait, dans le contexte actuel, se réjouir de cette hausse relative si l'examen de l'évolution des quatre programmes de la mission ne tempérait aussitôt cet enthousiasme. En effet, l'essentiel de l'augmentation constatée provient des crédits affectés au programme « Aide à l'accès au logement » (5,6 milliards), qui progressent de 6 %, non par une action volontariste du Gouvernement, mais mécaniquement, en raison de la situation économique et sociale.

En revanche, les crédits de paiement pour les aides à la pierre contenues dans le programme « Développement et amélioration de l'offre de logements » diminuent globalement de 27 % pour s'établir à 365,4 millions d'euros. Cette évolution apparaît d'autant plus paradoxale que l'objectif de construction de 120 000 logements sociaux, fixé en 2011, est maintenu pour 2012. L'Etat compte donc faire autant avec moins, en dépit de l'augmentation des coûts de construction et des besoins qui devraient conduire au contraire à renforcer l'effort de construction.

La seule hausse significative au sein de ce programme porte sur les crédits mis en réserve par l'Etat au titre du contentieux relatif au droit au logement opposable, en prévision de l'universalisation du contentieux à partir du 1er janvier 2012.

Le programme « Politique de la ville et Grand Paris » voit quant à lui ses crédits de paiement diminuer de 12 %. L'Etat n'apporte aucune contribution au financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU), créé par la loi du 1er août 2003, et qui contribue aujourd'hui à désenclaver et modifier l'image et l'attractivité de plus de 480 quartiers, bénéficiant ainsi à 3,8 millions d'habitants.

Même la subvention pour charge de service public autrefois attribuée à l'agence nationale pour la rénovation urbaine, (l'Anru), chargée de la mise en oeuvre du programme, a désormais disparu du budget de l'Etat ; c'est maintenant sur « Action logement » que repose quasi-exclusivement le financement du PNRU. Fortement contesté par « Action logement », ce transfert de charges de la part de l'Etat ne dégage pas des ressources suffisantes pour faire face à la montée en puissance des opérations de rénovation urbaine. Certes, on a l'an dernier mis à contribution les bailleurs sociaux et affecté une partie de la taxe locale sur les locaux commerciaux, de bureau et de stockage, prévue pour financer le Grand Paris. Mais ce mécanisme complexe n'apporte qu'une réponse temporaire, pour la période 2011-2013, alors même que le Gouvernement prévoit un PNRU II dont les modalités restent à définir.

La plus grande partie des crédits du programme « Politique de la ville et Grand Paris » est gérée par l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), établissement public créé par la loi du 13 mars 2006, en charge du volet social de la politique de la ville. Si, comme tous les opérateurs de l'Etat, l'agence est tenue de participer à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, celui-ci s'effectue au détriment d'une évaluation précise de ses besoins et d'une réflexion sur ses priorités.

Mal connue du grand public, l'Acsé jouit pourtant d'une reconnaissance certaine chez les acteurs locaux de la politique de la ville, parvenant avec un budget d'intervention limité de 500 millions d'euros en 2010 à créer un effet de levier important en faveur de projets ambitieux.

Centrées autour de quatre priorités que sont l'éducation, l'emploi, la prévention de la délinquance et la santé, la plupart des interventions de l'Acsé s'inscrivent dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale (Cucs). D'autres actions s'inscrivent en revanche hors des zones géographiques prioritaires, tel le programme de réussite éducative, mis en place en 2005 et qui permet aujourd'hui à 1 600 équipes pluridisciplinaires de soutien d'accompagner 135 000 jeunes, dont près de la moitié dans le cadre d'un parcours individualisé.

Malgré l'effort de concentration des crédits autour de ses quatre priorités, près de 20 % des interventions de l'Acsé continuent, au risque d'un éparpillement, de porter sur des actions transversales. En outre, le fléchage croissant des dépenses contribue à limiter ses marges de manoeuvre : la vidéo-protection a représenté en 2010 60 % de l'ensemble des dépenses de l'agence dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Comment alors mettre en place des méthodes alternatives de renforcement de la sécurité et de la prévention, notamment par le financement d'intervenants sociaux ou de correspondants de nuit ?

La situation de l'Acsé pose en réalité la question d'une meilleure articulation entre les volets urbain et humain de la politique de la ville. De l'avis général, les projets de rénovation urbaine prennent en effet insuffisamment en compte ce volet humain, seulement 1,6 % des financements du PNRU allant à l'aménagement d'espaces commerciaux, et 40 % des projets de rénovation urbaine n'intégrant pas d'intervention sur les établissements scolaires.

Pourtant, il y a des moyens d'action, notamment grâce à une coopération renforcée entre l'Anru et l'Acsé qui ont signé, en juillet 2010, un accord-cadre en ce sens, et lancé conjointement le programme insertion-rénovation, qui a pour objet de faciliter l'accès des habitants des quartiers concernés aux emplois de la rénovation urbaine.

Le budget esquisse un timide renforcement de la gestion urbaine de proximité (Gup), 3,5 millions d'euros permettant à l'Acsé de financer des diagnostics et de prendre en charge les quartiers où le projet de rénovation urbaine est achevé, au travers de conventions de quartiers rénovés signées avec les autres partenaires. Il convient de confirmer ces avancées.

Les crédits du programme « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » sont stabilisés à 1,2 milliard d'euros, mais l'expérience de ces dernières années conduit à considérer avec prudence la sincérité des prévisions de dépenses, les crédits du programme étant abondés pour des montants importants par des décrets d'avance, puis par des lois de finances rectificative. Le Premier ministre avait ainsi annoncé, le 26 septembre dernier, que le programme serait complété à hauteur de 75 millions d'euros en loi de finances rectificative, dont environ 35 millions qui étaient, de façon assez surprenante, destinés à couvrir les besoins à venir en 2012. N'aurait-il pas été plus sincère d'inclure ces 35 millions dès le projet de loi de finances 2012 initial ? Le collectif, déposé le 16 novembre dernier à l'Assemblée nationale, ne prévoit toutefois plus aucune dotation supplémentaire pour l'hébergement, ce qui signifie que le Gouvernement a renoncé à tenir son engagement. Pourtant, les besoins sont criants : le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement faisait état de plus de 600 000 personnes dépourvues de logement personnel, dont 133 000 sans domicile fixe ; une autre enquête indiquait que, dans 65 % des cas de demande d'hébergement, le manque de place dans les structures d'urgence interdit d'offrir une solution à ces personnes, dont une moitié de couples avec enfants.

Face à l'urgence des besoins et à l'insuffisance des moyens, le ministre du logement met en avant la stratégie du « logement d'abord », qui se fonde sur le principe difficilement contestable selon lequel le logement n'est pas l'aboutissement du parcours d'insertion, mais la condition préalable et nécessaire à celle-ci. Priorité doit dès lors être donnée, non pas à l'hébergement, mais à l'accès au logement, y compris pour les publics les plus en difficulté.

De nombreux pays européens, s'inspirant d'expériences menées aux Etats-Unis, tentent aujourd'hui de mettre en application ce principe. Cela nécessite du temps et des moyens financiers, notamment pour assurer un accompagnement adapté. Or, nous sommes aujourd'hui dans une impasse, les crédits alloués à l'hébergement étant réorientés vers des dispositifs d'accompagnement au logement qui n'ont d'intérêt que si l'offre de logements est suffisante, et si les aides personnelles contribuent à la solvabilité à long terme des demandeurs. Le concept de « logement d'abord », qui peut transcender les sensibilités politiques, ne doit pas être galvaudé par des contraintes budgétaires de court terme.

Une autre action du programme, symboliquement importante malgré un montant limité, regroupe les crédits destinés au programme national d'aide alimentaire (PNAA). A 22,6 millions d'euros, elle marque une légère hausse par rapport à l'année 2011, mais demeure inférieure de 6 millions au niveau des dépenses constatées en 2010.

Le PNAA bénéficie en particulier à la fédération française des banques alimentaires, aux Restos du coeur, au Secours populaire et à la Croix rouge ; il a été développé depuis 2004 en complément du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), mis en oeuvre depuis 1987 à partir des excédents de la politique agricole commune. La diminution progressive des stocks d'intervention européens a été progressivement compensée par des achats de denrées alimentaires sur les marchés. Cette évolution a été remise en cause en avril dernier par la Cour de justice de l'Union européenne qui considère que, dans la mesure où les achats sur les marchés représentent désormais près de 90 % du programme, celui-ci a perdu tout lien avec la politique agricole commune et relève désormais de politiques sociales nationales.

Aujourd'hui doté de 500 millions d'euros, le budget du programme européen d'aide alimentaire aurait été divisé quasiment par cinq en 2012 sans l'accord trouvé le 14 novembre dernier entre la France et l'Allemagne. Ce dernier ne constitue toutefois qu'une réponse à court terme puisqu'il ne couvre que les années 2012 et 2013. Certes, l'Union européenne se construit par des crises, mais il est regrettable que les intérêts nationaux l'emportent lorsqu'il s'agit de mettre des moyens financiers substantiels en face de l'objectif ambitieux retenu en 2010 d'une réduction de 25 % du taux de pauvreté dans le cadre de la stratégie Europe 2020. J'en ai pourtant la conviction, une des réponses à la crise économique et sociale que nous traversons passe par la mise en oeuvre de solidarités accrues entre les Etats européens.

Premier article rattaché à la mission, l'article 64 proroge jusqu'en 2014 les exonérations fiscales et sociales dans les zones franches urbaines (ZFU), tout en portant à 50 % la clause d'emploi local. Je vous propose d'y donner un avis favorable.

L'article 64 bis, inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, proroge, jusqu'au 31 décembre 2014, le reversement à l'Union d'économie sociale du logement des deux tiers des montants collectés par les organismes HLM et les sociétés d'économie mixte (Sem) de logement social au titre de la participation des employeurs à l'effort de construction. Ce reversement, mis en place à titre temporaire en 2006 pour financer le plan de cohésion sociale, avait été prorogé une première fois par la loi de finances pour 2010. On peut estimer qu'il représenterait environ 6 millions d'euros, ce qui est peu rapporté aux ressources totales d'« Action logement », mais constitue néanmoins un effort non négligeable pour les organismes concernés.

Pourtant, le Gouvernement ne nous fournit aucune indication sur l'impact de cette mesure. Par cohérence avec la position du rapporteur pour avis de notre commission de l'économie, Thierry Repentin, et afin de clairement signifier notre opposition à la politique menée en direction d'« Action logement », je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption de cet article.

Je vous invite également à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission, surtout après le nouveau tour de vis annoncé par le Gouvernement, qui diminue de 37,3 millions d'euros les crédits de l'ensemble de la mission et minore de 88 millions le montant des aides au logement du fait de la revalorisation forfaitaire de 1 %.

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