Avec ses cinq programmes au poids budgétaire très inégal, cette mission est, à mon sens, assez hétéroclite. Les crédits pour 2012, d'un montant de 12,75 milliards d'euros, sont globalement en hausse de 3,14 % par rapport à l'an passé, mais cette évolution favorable ne se retrouve pas dans tous les programmes. En réalité, seul le programme « Handicap et dépendance » voit ses crédits progresser, tandis que les autres révèlent un désengagement de l'Etat en matière de politique sociale.
Le programme « Handicap et dépendance », qui concentre à lui seul un peu plus de 80 % du budget total de la mission, est doté de près de 10,5 milliards d'euros pour 2012 (+ 6 %), majoritairement destinés à l'achèvement du plan de revalorisation de 25 % de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) entre 2008 et 2012, conformément aux engagements pris par le Président de la République. A l'issue de ce plan, l'AAH atteindra 776,59 euros par mois et bénéficiera à près de 950 000 personnes. Cet effort financier ne doit cependant pas nous aveugler car, au moment même où le Gouvernement revalorise le montant de l'AAH, il en restreint les conditions d'octroi, sous prétexte de clarification et d'harmonisation.
Alors que jusqu'à présent, compte tenu de l'imprécision des textes, chaque maison du handicap (MDPH) disposait d'une certaine marge de manoeuvre pour accorder l'AAH et pour apprécier la « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi » des personnes présentant un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %, un décret et une circulaire, publiés cet été, prévoient que l'on ne prendrait plus en compte que l'aspect médical du handicap et non, par exemple, l'environnement économique et social du demandeur. Ce « filtre » diminuera le nombre d'allocataires, le Gouvernement en attend d'ailleurs une économie de 74 millions d'euros. Il a aussi décidé de ramener de cinq à deux ans le délai de réexamen de la situation des bénéficiaires de l'AAH présentant un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79 %, mesure irréaliste quand on sait qu'il faut plus de huit mois pour traiter un dossier.
Le programme finance également, à hauteur de 2,6 milliards d'euros, le fonctionnement des établissements et services d'aide par le travail (Esat) et le plan pluriannuel de créations de places dans ces structures (mille places supplémentaires en 2012). Là encore, l'effort budgétaire est affecté par les effets de la convergence tarifaire. Non seulement les tarifs plafonds appliqués depuis 2009 risquent d'exclure les personnes les plus lourdement handicapées, mais leur non-revalorisation depuis trois ans, infondée et injuste, met sérieusement en danger le fonctionnement des établissements.
Enfin, 57,1 millions d'euros sont consacrés au fonctionnement des MDPH, dont le cadre juridique a été réformé, à l'initiative de notre commission, par la loi « Paul Blanc » du 28 juillet dernier.
Le programme « Lutte contre la pauvreté » regroupe quant à lui les crédits destinés au financement du « RSA activité », ou « RSA chapeau », et de l'économie sociale et solidaire. Or, ce programme phare de la mission accuse un recul spectaculaire, ses crédits étant ramenés de 692 millions d'euros en 2011 à 535 millions en 2012, soit une baisse de 22,7 %. Alors que les départements financent le « RSA socle », l'Etat prend en charge le « RSA activité » via le fonds national des solidarités actives (FNSA), alimenté par une recette fiscale qui lui est intégralement affectée, la contribution additionnelle de 1 % sur les revenus de placement et du patrimoine, et par une subvention d'équilibre de l'Etat, retracée dans le présent programme.
Depuis sa création en 2009, la programmation budgétaire du FNSA s'est révélée particulièrement défaillante en raison d'une mauvaise anticipation de la montée en charge du « RSA activité ». Alors que les besoins sont généralement sous-estimés ; là, ils ont été sur-calibrés. Le faible accès du dispositif s'explique notamment par un certain manque d'information à destination de son public et au fait que le RSA peut apparaître, aux yeux de certaines personnes, comme « socialement disqualifiant ».
En conséquence, le FNSA a constitué d'importants excédents de trésorerie sur les trois dernières années. Au lieu d'améliorer l'information et l'accompagnement, le Gouvernement les a mobilisés pour financer la prime de Noël ou pour soutenir la trésorerie de l'Acoss. Plus grave encore, il devrait opérer en 2012 une ponction de 211 millions sur les réserves de trésorerie du fonds pour gager la baisse de 23 % de sa propre contribution au « RSA activité » ! En effet, celle-ci passera de 700 millions d'euros en 2011 à 528 millions en 2012. Le FNSA est donc devenu une cagnotte utilisée pour financer les diverses promesses du Gouvernement et pour compenser son propre désengagement de la politique d'insertion. Dernier exemple : lors des débats à l'Assemblée nationale, la ministre du budget a fait adopter un article 61 bis rattaché, accordant une aide exceptionnelle de 50 millions d'euros sur deux ans aux services d'aide à domicile, qui sera à nouveau prélevée sur le FNSA.
Alors qu'en 2008, le Gouvernement se félicitait d'avoir le courage de fixer l'objectif de réduction de la pauvreté d'un tiers au cours du mandat présidentiel actuel, celui-ci a totalement disparu du projet annuel de performance 2012. Voilà un renoncement très regrettable à l'effort de solidarité envers les plus démunis.
Le RSA a été étendu aux jeunes de moins de vingt-cinq ans depuis le 1er septembre 2010, à condition qu'ils aient travaillé deux ans à temps complet dans les trois ans qui précèdent la demande. Les périodes de chômage ne comptent pas. Les premiers résultats sont sans appel : le « RSA jeunes » est un échec. A ce jour, un peu plus de 10 000 personnes seulement en bénéficient. Il faudrait y remédier sans attendre.
Tout d'abord, l'exigence d'un nombre d'heures travaillées est inadaptée à la réalité de la jeunesse française : alors que le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans s'élève à plus de 20 %, et bien plus encore dans certaines villes, comment demander à un jeune de justifier de deux années de travail à temps complet ? Ensuite, reconstituer les heures travaillées sur une période de trois ans n'est pas chose aisée pour ces jeunes qui enchaînent souvent des contrats précaires. Lorsque l'article 61 viendra en séance, je ne manquerai pas d'interpeller le Gouvernement sur cette ineptie.
S'agissant du financement de l'économie sociale et solidaire, l'augmentation de 23 % des crédits est trompeuse : elle ne recèle aucun « coup de pouce » en faveur des associations comme les régies de quartier et les associations intermédiaires, qui accomplissent sur le terrain un travail remarquable d'insertion sociale et professionnelle. Leurs représentants sont inquiets : non seulement les subventions qu'ils perçoivent sont en baisse mais de plus, leurs critères d'attribution ne sont pas satisfaisants. En réalité, la hausse des crédits viendra alimenter le fonds interministériel de prévention de la délinquance ! L'irruption, dans un programme consacré à la lutte contre la pauvreté, de crédits relatifs à la délinquance en dit long sur l'amalgame pratiqué par le Gouvernement.
Enfin, deux programmes subiront des coupes budgétaires inédites. Le premier, qui est le plus petit de tous les programmes budgétaires, sert à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle, politique et sociale - il y a fort à faire - et à lutter contre les violences sexistes. Il est doté pour 2012 d'environ 20 millions d'euros de crédits, en baisse de 5 %. Est-il légitime d'arguer de la rigueur pour couper les vivres aux associations ? Par exemple, la dotation aux centres d'information départementaux sur les droits des femmes et des familles diminuera de près de 151 000 euros l'an prochain. Je trouve choquant que les inégalités entre les hommes et les femmes, toujours considérables, restent un sujet mineur.
Le programme consacré aux familles vulnérables enregistre lui aussi une baisse sans précédent, de l'ordre de 4 %. Premières touchées : les actions d'accompagnement des familles dans leur rôle de parents. Là encore, ce seront les associations intervenant en faveur des familles et de l'enfance - points info familles, planning familial, réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents - qui en feront les frais. C'est également sur ces crédits que l'Etat participe au financement de la carte « enfant famille », grâce à laquelle les familles modestes ayant un ou deux enfants bénéficient de réductions SNCF.
La protection de l'enfance sera aussi pénalisée. Ni le projet de loi de finances, ni le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ne financent le fonds national de protection de l'enfance (FNPE), créé par la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance. Or, l'aide sociale à l'enfance coûte un peu plus de 6 milliards d'euros par an aux conseils généraux. L'Etat faisant défaut, c'est la branche famille de la sécurité sociale, pourtant déficitaire, qui devra abonder le fonds en majeure partie.
Au final, ce projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux qui se posent en termes de solidarité, d'insertion et d'égalité des chances, surtout au regard de la crise que nous traversons. Un mot caractérise, à mes yeux, les crédits 2012 de la mission : désengagement. On fait des économies sur les pauvres ! Je vous propose donc de donner un avis défavorable à leur adoption.
J'en viens aux articles rattachés. L'article 61 prolonge la dérogation en vertu de laquelle le « RSA jeunes » est financé intégralement par le FNSA, et non pas, comme le RSA normal, par les départements pour la partie socle et par l'Etat pour la partie activité : la lente montée en puissance du « RSA jeunes » ne permet pas de déterminer leurs parts respectives en régime de croisière. Aussi insatisfaisante que soit cette situation, je suis favorable à l'adoption de l'article. Même chose pour l'article 61 bis, qui accorde, je l'ai dit, une aide exceptionnelle de 50 millions d'euros en deux ans aux services d'aide à domicile, en ouvrant la possibilité d'expérimenter de nouvelles modalités de tarification de ces services. Je trouve très regrettable que les dépenses supplémentaires sur une politique soient assurées par une économie sur une autre, en l'occurrence sur le secteur de l'insertion. Mais les services d'aide à domicile ne doivent pas être privés de cette aide exceptionnelle.