Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 octobre 2006 : 1ère réunion
Prélèvements obligatoires — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu, tout d'abord, une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé l'intérêt du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, qui permettait une approche consolidée des finances publiques. Il a souligné la nécessité de cette vision consolidée, relevant que, au regard des critères communautaires, le déficit public englobait le déficit du budget de l'Etat et celui des comptes sociaux, et que le taux d'endettement s'appréciait globalement, tant pour la dette de l'Etat que pour celles des organismes de sécurité sociale.

Il a indiqué que, pour la première fois, les prélèvements affectés à la sécurité sociale représentaient plus de la moitié des prélèvements obligatoires et a noté que la Commission européenne, dans une étude récente, avait mis en évidence la contrainte pesant sur les finances publiques qui résultait du vieillissement de la population. Il a précisé que, selon la Commission européenne et en dehors de toute mesure correctrice, le ratio moyen de la dette par rapport au PIB dans l'Union européenne passerait de 63 % actuellement à près de 200 % en 2050. Il a observé que cette étude faisait apparaître des perspectives contrastées, puisque le ratio d'endettement de la France exploserait pour atteindre 239 % du PIB, comme celui du Royaume-Uni, alors que la Belgique verrait son ratio d'endettement ramené à 83 %. Il a jugé que cette étude, qui dressait un « scénario catastrophe », avait une vocation pédagogique et était destinée à amener les gouvernements à réagir.

a ensuite mis en perspective la notion de prélèvements obligatoires.

Il a relevé que les prélèvements obligatoires étaient passés de 37,4 points de PIB en 1978 à 44 points de PIB en 2005, soit une augmentation de 6,6 points de PIB. Il a précisé que, sur cette période, la part dans le PIB des prélèvements obligatoires affectés à l'Etat et aux institutions communautaires avait diminué, alors que celle des prélèvements obligatoires affectés aux organismes divers d'administration centrale (ODAC), aux collectivités territoriales et, surtout, aux administrations de sécurité sociale avait augmenté. Il a précisé que les 5,2 points de PIB d'augmentation des prélèvements obligatoires perçus par les administrations de sécurité sociale se décomposaient en 4,7 points d'augmentation des impôts ou taxes (en particulier de la contribution sociale généralisée - CSG) et 0,5 point d'augmentation des cotisations sociales.

Puis il a mis en évidence les limites de la notion de prélèvements obligatoires, en faisant tout d'abord valoir qu'ils étaient « trop étroits », parce qu'ils ne prenaient pas en compte certaines recettes publiques économiquement comparables. Il a, notamment, relevé qu'en Allemagne, les 10 % des ménages les plus aisés pouvaient s'affilier volontairement à des systèmes d'assurance maladie en lieu et place d'une affiliation obligatoire au système général, ce qui conduisait à une minoration des prélèvements obligatoires. Puis il a mis en parallèle l'évolution du taux de prélèvements obligatoires et celle du taux des recettes publiques.

Il a ensuite jugé que la notion de prélèvements obligatoires était également « trop large », parce qu'elle dépendait du périmètre des administrations publiques, en particulier s'agissant des assurances sociales. Il a observé, notamment, que la France comptabilisait comme prélèvements obligatoires la totalité des cotisations sociales versées aux administrations publiques, même pour la partie des cotisations de retraite complémentaires excédant le minimum légal.

Enfin, il a également souligné que les fluctuations conjoncturelles du taux de prélèvements obligatoires étaient souvent trompeuses. Il a ainsi noté que la pression fiscale et sociale semblait, en apparence, s'être accrue au cours de la législature actuelle, le taux de prélèvements obligatoires devant passer de 42,8 % du PIB en 2003 à 44 % du PIB en 2006 et à 43,7 % du PIB en 2007, alors que la réalité était inverse, puisque, sur la période 2004-2008, les allégements de prélèvements obligatoires approcheraient 15 milliards d'euros, soit près de 1 point de PIB. Il a précisé que, sur cette période, les allégements des prélèvements obligatoires d'Etat (22,4 milliards d'euros) auront été compensés à concurrence du tiers par l'augmentation des prélèvements obligatoires des administrations de sécurité sociale (7,75 milliards d'euros).

Il a expliqué que ce paradoxe résultait de l'« élasticité » des prélèvements obligatoires au PIB, celle-ci étant aujourd'hui supérieure à l'unité. Il a ainsi rappelé que l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB avait été de 1,1 en 2004 et 1,4 en 2005, et qu'elle serait de 1,2 en 2006 et 1,1 en 2007.

Il a relevé que l'augmentation conjoncturelle du taux de prélèvements obligatoires sur la période 2004-2008 ne devait pas dissimuler le fait que, de manière structurelle, l'évolution du taux de prélèvements obligatoires devrait avoir été sensiblement infléchie par rapport à sa tendance spontanée.

Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, a abordé la question de la clarification des liens entre l'Etat et la sécurité sociale.

Il a relevé la place croissante des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale, en indiquant que la part des cotisations sociales dans le total des ressources de la sécurité sociale était passée de 90 % en 1987 à 60 % aujourd'hui. A l'inverse, les impôts et taxes affectés représenteraient 28 % des ressources du régime général en 2007, contre 5 % en 1991 et 3 % en 1978.

Il a souligné que le poids des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale s'était sensiblement accru au cours des années récentes en raison, d'une part, de l'accroissement de certaines recettes comme la CSG, qui avait notamment vu son assiette élargie par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie et, d'autre part, de transferts de recettes de l'Etat vers la sécurité sociale, notamment à l'occasion de la réforme du mode de financement des allègements généraux de cotisations sociales patronales intervenue dans la loi de finances pour 2006. Il a noté que plusieurs organismes « périphériques » recevaient également des recettes fiscales, comme la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Il a noté que plusieurs impôts et taxes étaient éclatés entre différentes branches (comme la CSG) ou entre l'Etat et la sécurité sociale, ce qui ne mettait pas en évidence les logiques sous-tendant l'action des différentes branches et ne contribuait pas à la responsabilisation des acteurs. Il a indiqué que les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale restaient complexes. Il a notamment relevé l'existence de dispositions figurant parallèlement dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, la contribution de l'Etat à l'amélioration des comptes sociaux pour un montant de 1,3 milliard d'euros en 2007, ainsi que l'existence de dettes de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale, pour un montant supérieur à 5 milliards d'euros au 30 juin 2006.

Il a jugé que ces relations financières complexes, voire illisibles, ne faisaient que souligner la nécessité d'une approche consolidée des finances publiques, ce qui impliquait, d'une part, un budget unique de la Nation intégrant l'ensemble des ressources et charges de l'Etat et des organismes de sécurité sociale financés essentiellement par l'impôt, d'autre part, une gestion unifiée de la dette publique, qui aurait pour conséquence la suppression de la CADES et la reprise par l'Etat de la dette sociale.

Après avoir rappelé les origines historiques et les fondements théoriques des modèles bismarckien et beveridgien de sécurité sociale, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué que l'on observait, dans la majorité des pays de l'OCDE, une convergence de l'évolution des systèmes de protection sociale, caractérisée par :

- une croissance des dépenses de santé plus rapide que celle du PIB ;

- une augmentation de la part des financements publics, qui couvraient, en moyenne, en 2004, 73 % des dépenses de santé des pays de l'OCDE, et un recours croissant à la fiscalité comme source de financement ;

- l'accent mis sur la responsabilisation des acteurs du système de santé.

Il a souligné que la modification de la structure de financement des systèmes de protection sociale induisait une modification de la philosophie même de ces systèmes, qui s'universalisaient de plus en plus, en étant de moins en moins liés à l'emploi salarié et de plus en plus financés par l'impôt. Il a jugé que cette universalisation des systèmes plaidait pour une « reprise en main », par l'Etat, de la définition des grands axes de la politique de sécurité sociale. Il a également observé qu'avec un ratio de plus de 15 %, la France conservait un montant de cotisations sociales rapporté au PIB supérieur à la plupart de ses partenaires internationaux.

a ensuite fait le point sur ses réflexions concernant les modalités de financement de la protection sociale en France et sur les réformes de gouvernance qui en découlaient.

Il a tout d'abord rappelé le contenu des travaux menés à la suite de l'annonce faite par le Président de la République, en janvier 2006, d'un projet de réforme de l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale. Il a jugé que les analyses menées par différents groupes de travail et conseils soulevaient globalement plus de questions qu'elles n'apportaient de réponses. Il a toutefois relevé que, même si elles conduisaient à rejeter la piste d'une cotisation assise sur la valeur ajoutée, on pouvait estimer que la piste de la TVA sociale en sortait renforcée. Il a fait valoir que toute réforme majeure du mode de financement devait reposer sur une analyse structurelle du système de protection sociale, intégrer une dimension comparative et porter une attention particulière aux effets de long terme.

a mis en relief la structure progressive des cotisations sociales patronales aujourd'hui, compte tenu des allègements généraux de charges. Il a estimé que l'intégration des allègements généraux de charges au sein du barème des cotisations sociales permettait d'afficher clairement cette situation, une telle évolution devant intervenir après un ajustement de ces allègements, en fonction de leur efficacité. Il a noté que les niches sociales, dont le coût actuel s'élevait à 20 milliards d'euros, devraient également faire l'objet d'un examen critique.

Il a ensuite plaidé pour la mise en valeur des logiques qui sous-tendent les différentes branches de sécurité sociale, en observant, suivant les termes de MM. Christian de Boissieu et Roger Guesnerie, qui avaient été auditionnés à cette fin par la commission en juillet 2005, que « la différence des fonctions est susceptible de justifier des modes de prélèvement différents ».

Il a rappelé qu'une évolution du mode de financement de la protection sociale s'était opérée de manière implicite au cours des dernières années, contribuant à distinguer les logiques d'assurance (en matière de chômage et de retraite par exemple) et de solidarité (branches maladie et famille). Après avoir commenté la structure actuelle de financement des différentes branches du régime général de sécurité sociale, il a considéré qu'il conviendrait, à l'avenir, de distinguer explicitement ce qui relevait de l'assurance de ce qui relevait de la solidarité, et d'adapter en conséquence les modalités de financement pour :

- fiscaliser complètement, ou très majoritairement, les ressources des branches maladie et famille, en conjuguant cette réforme avec la mise en oeuvre de la TVA sociale ;

- faire apparaître des blocs cohérents de recettes afin de mieux responsabiliser les gestionnaires et de clarifier les flux financiers actuels.

Il a précisé que ces blocs de ressources devraient connaître une évolution des produits conforme à la tendance de progression naturelle des dépenses en cause.

a indiqué qu'une telle évolution impliquait de réformer la gouvernance du système de protection sociale. A cet égard, il a jugé qu'il fallait intégrer au budget de l'Etat les branches maladie et famille. Il a proposé que cette évolution s'opère par une transformation des caisses nationales d'assurance maladie et d'allocations familiales en opérateurs de l'Etat, tout en conservant la présence des partenaires sociaux. Il a précisé que cette notion d'opérateur de l'Etat supposait une activité de service public, un financement assuré majoritairement par l'Etat, directement ou indirectement, et un contrôle direct par l'Etat, qui ne se limitait pas à un contrôle économique ou financier mais devait relever de l'exercice d'une tutelle ayant la capacité d'orienter les décisions stratégiques.

A l'inverse, il a proposé d'affirmer l'autonomie des branches vieillesse et accidents du travail, relevant d'une logique assurantielle et contributive, en estimant que celles-ci devaient être gérées par les partenaires sociaux sans intervention disproportionnée de l'Etat.

Il a relevé que les études comparées des procédures d'adoption du « budget social » en Europe montraient que la France faisait figure d'exception, la grande majorité des Etats intégrant les ressources et charges de la sécurité sociale dans leurs lois de finances votées annuellement par le Parlement. Il a alors détaillé les procédures appliquées dans les principaux Etats européens.

En conclusion, M. Philippe Marini, rapporteur général, a noté que le compromis de 1996, marqué par l'institution des lois de financement de la sécurité sociale, avait constitué une étape importante dans la revalorisation du rôle du Parlement en matière de finances sociales, mais qu'il devait maintenant être revu afin de permettre une maîtrise globale des finances publiques. Il a ainsi plaidé pour un nouveau « compromis social ».

Puis un large débat s'est instauré.

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