Intervention de Guy Carcassonne

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 février 2010 : 1ère réunion
Réforme des collectivités territoriales — Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de M. Guy Carcassonne professeur de droit public à l'université de paris ouest - nanterre

Guy Carcassonne :

a indiqué qu'il était fortement tenté de répondre négativement à la première question pour plusieurs raisons.

Il s'est tout d'abord demandé dans quelle mesure le principe même de la création des conseillers territoriaux était admissible au regard des dispositions de l'article 72 de la Constitution qui prévoit que les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus, dès lors que les départements et les régions ne disposeraient plus d'élus qui leur soient propres. Il a jugé discutable la « schizophrénie » dont seraient menacés des conseillers territoriaux qui devraient tantôt défendre les intérêts du département et tantôt ceux de la région. Il a estimé que cette situation ne saurait se réduire aux formes actuelles, au demeurant critiquables, de cumul des mandats car celles-ci résultent du choix de l'électeur alors que le cumul des fonctions chez les conseillers territoriaux serait institué par les dispositions mêmes de la loi.

Evoquant ensuite le mode de scrutin retenu, il a estimé que sa « mixité », qui aboutira à l'élection d'une partie des conseillers territoriaux au scrutin uninominal et de l'autre au scrutin de liste proportionnel, ne soulevait en elle-même aucune difficulté, relevant au passage que l'élection des sénateurs faisait elle-même appel à deux modes de scrutin distincts. En revanche, il s'est déclaré très dubitatif sur la conformité à la Constitution du scrutin majoritaire à un tour, qu'il a jugé contraire à un principe fondamental de la République. Il a relevé que celui-ci n'avait jamais été utilisé dans l'histoire de France et que, lorsque le parlement avait débattu à deux reprises du scrutin majoritaire sous la IIIème République, les travaux préparatoires montraient l'hostilité des parlementaires à un mode de scrutin qui autorise des élections « minoritaires », autrement dit, qui peut aboutir à l'élection d'un candidat qui n'aurait recueilli qu'une proportion minoritaire des suffrages.

Il a jugé raisonnable, dans ces conditions, de considérer qu'il existait un principe fondamental de la République imposant deux tours pour le scrutin majoritaire.

Evoquant le recours au mode de scrutin à un tour au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il a rappelé que celui-ci s'inscrivait dans un contexte historique où il avait modelé une vie politique bipartisane, et relevé qu'il faisait aujourd'hui, dans ces deux pays, l'objet d'un vif débat.

Il a abordé ensuite la question de la conformité du mode de scrutin avec l'article premier de la Constitution qui dispose que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Tout en estimant que le mode de scrutin ne favoriserait pas, dans les faits, cet égal accès, il a jugé que ce constat ne débouchait pas nécessairement sur une conclusion d'inconstitutionnalité.

Commentant la décision rendue par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la loi de 2003 qui avait relevé le seuil à partir duquel l'élection des sénateurs s'effectuait au scrutin de liste et à la proportionnelle, il a souligné que cette réforme ne concernait qu'un nombre limité de sièges et qu'elle se limitait à faire basculer un petit nombre de départements d'un régime électoral existant vers un autre régime électoral existant, au contraire de l'élection des conseillers territoriaux, où le nouveau mode de scrutin concernait la totalité des départements et des régions. Dans ces conditions, le raisonnement du Conseil constitutionnel ne lui a paru que difficilement transposable.

Il a cependant reconnu que le Conseil constitutionnel pourrait aussi être tenté de considérer que le moindre accès des femmes aux mandats électoraux locaux ne résulterait pas des dispositions et de la loi elle-même, mais plutôt de l'attitude des partis politiques qui sélectionnent les candidats et les candidates.

Il a estimé que toute la difficulté tenait à l'interprétation que le Conseil constitutionnel donnerait au verbe « favoriser ».

Il a rappelé que le Doyen Vedel avait relevé, au moment de l'adoption de la disposition constitutionnelle relative à l'égal accès des femmes et des hommes, la diversité des sens que pouvait prendre ce verbe : donner des atouts, encourager, voire réaliser l'égal accès... En l'absence de décisions antérieures, il était difficile de savoir celles que privilégierait le Conseil Constitutionnel.

Le professeur Guy Carcassonne a ensuite évoqué les déséquilibres démographiques auxquels risquait d'aboutir le mode de scrutin dans certaines régions comme par exemple la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où la volonté de maintenir un nombre minimal de cantons dans un département peu peuplé comme les Alpes de Haute-Provence conduirait, si l'on veut respecter l'égalité démographique, à multiplier le nombre de cantons dans un département très peuplé comme les Bouches-du-Rhône.

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