Intervention de Anne Levade

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 février 2010 : 1ère réunion
Réforme des collectivités territoriales — Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de Mme Anne Levade professeur de droit public à l'université paris est - créteil val-de-marne

Anne Levade :

a indiqué qu'elle adopterait une démarche opérationnelle pour examiner les dispositions du projet de loi, souhaitant apporter des propositions utiles aux membres de la délégation.

Après avoir rappelé les deux principaux titres du projet de réforme, elle a souhaité concentrer ses propositions sur le titre I relatif à la réforme du mode de scrutin des conseillers territoriaux.

Rappelant que, en France, le scrutin proportionnel était mécaniquement mieux à même que le scrutin majoritaire de favoriser la parité, tant pour des raisons pratiques qu'en raison de l'échec des dispositifs incitatifs prévus dans le cadre du scrutin majoritaire, elle a estimé qu'on pouvait parler de régression puisque, tel que présenté dans le projet de réforme, le mode de scrutin des conseillers territoriaux était susceptible de faire passer la proportion de femmes élues de 22 % à l'heure actuelle (conseillers généraux et régionaux cumulés) à 18 % (conseillers territoriaux).

Toutefois, elle a estimé ne pas devoir en déduire le caractère inconstitutionnel du projet de réforme.

a donc proposé d'exposer son argumentation en deux temps : après avoir examiné la constitutionnalité du mode de scrutin des conseillers territoriaux à l'aune de l'objectif de parité, elle a proposé aux membres de la délégation d'envisager des solutions de nature à corriger ou améliorer la mise en oeuvre de cet objectif, dans le cadre du projet de réforme existant.

Concernant la compatibilité du dispositif proposé avec l'objectif de parité, elle a indiqué qu'elle développerait une argumentation en trois points permettant de conclure à l'absence d'inconstitutionnalité du dispositif au regard de l'article premier de la Constitution.

Elle a, tout d'abord, rappelé que la conception française du principe d'égalité, tel que rappelé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision « Quotas par sexe », du 18 novembre 1982, avait rendu nécessaire l'intervention du pouvoir constituant en 1999 puis en 2008 afin de permettre au législateur de « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes, objectif a priori incompatible avec le principe d'égalité.

Elle a ensuite insisté sur le fait qu'il s'agissait par là de formuler une « norme d'habilitation » en faveur du législateur, à qui il était « loisible », pour reprendre les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de décider de poursuivre l'objectif constitutionnel ainsi énoncé, sans qu'il lui soit fait obligation de le garantir ou de l'imposer.

Elle a toutefois nuancé ce propos en rappelant qu'une violation flagrante de la parité serait, en toute hypothèse, inconstitutionnelle, car contraire au principe d'égalité.

Elle a rappelé, ensuite, que la poursuite par le législateur de l'objectif de parité devait, en tout état de cause, être conciliée avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, si bien qu'il ne pourrait être exclu que la poursuite d'autres objectifs ou la mise en oeuvre de règles ou principes de valeur constitutionnelle aboutisse à amoindrir l'exigence de parité, sans être pour autant contraire à la Constitution.

a, par ailleurs, écarté deux arguments dont elle a estimé la portée douteuse. D'une part, elle a estimé qu'il ne serait pas recevable de considérer que la régression de la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux serait compensée par sa progression du fait de la réforme du mode de scrutin des conseils municipaux. D'autre part, elle a rejeté l'analyse qui consisterait à examiner le mode de scrutin des conseillers territoriaux, au regard de l'objectif de parité, à l'aune de celui des actuels conseillers régionaux, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel indique que le législateur peut toujours modifier ou abroger des textes antérieurs et peut, en particulier, définir des règles nouvelles en supprimant des dispositions qui ne lui paraissent plus utiles.

Elle a considéré, pour résumer son propos, que l'objet principal du projet examiné n'étant pas de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au mandat électif et que la conciliation opérée n'apparaissant pas porter à cet objectif une atteinte manifeste ou disproportionnée, le mode de scrutin des conseillers territoriaux n'était pas inconstitutionnel au regard de l'article premier, alinéa 2 de la Constitution.

Cette considération étant posée, Mme Anne Levade a estimé que le législateur pourrait utilement proposer d'amender le texte afin d'en corriger les effets au regard de l'exigence de parité et qu'il convenait, alors, d'envisager les solutions visant à favoriser, par voie législative, la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux.

Parmi les trois pistes qu'elle s'est proposé d'examiner, elle a tout d'abord souhaité écarter la voie de la généralisation du scrutin de liste, solution de l'apparente facilité, mais dont elle a estimé qu'elle ne pourrait être raisonnablement soutenue, le constituant, en vertu de l'article 4, alinéa 3, n'ayant pas entendu imposer un scrutin proportionnel de liste pour toutes les élections.

Elle a ensuite examiné les possibilités de préserver l'acquis de dispositifs résultant, notamment, de la loi du 31 janvier 2007 qui étend aux exécutifs régionaux l'obligation de parité. Dès lors que le dispositif nouveau serait susceptible de faire obstacle à leur application, elle a recommandé d'insérer dans le projet de loi des garanties identiques ou équivalentes afin que les dispositifs antérieurs ne se trouvent pas implicitement abrogés, par l'effet de la succession des lois dans le temps.

Parmi les nombreuses pistes envisageables, elle a proposé aux membres de la délégation d'en retenir deux, applicables, pour les premières, au scrutin lui-même et, pour les secondes, aux partis politiques.

Abordant tout d'abord les propositions relatives au scrutin, elle a considéré dans un premier temps qu'il ne serait pas déraisonnable de demander le relèvement du seuil des 20 % dans une proportion à déterminer.

Elle a ensuite insisté sur le fait que le système du vote unique était de nature à défavoriser plus encore la parité. A cet égard, elle a estimé que le modèle allemand combinant le double vote, d'une part, et une proportion 50/50 entre les élus uninominaux et les élus au scrutin de liste, d'autre part, pourrait être un bon référent, et qu'il permettait, en outre, une plus grande lisibilité de nature à mieux favoriser la parité.

a ensuite évoqué la solution consistant à présenter une candidature en « tandem » par canton, en incitant fortement à ce que les deux candidats soient de sexe différent. Elle a cependant jugé que les obstacles tenant à l'obligation de redécouper les cantons, au caractère purement incitatif du dispositif et à la difficulté pour les partis politiques de coordonner les candidatures, faisaient apparaître cette solution comme peu raisonnable.

Elle a finalement estimé que deux propositions pouvaient raisonnablement être retenues, consistant à relever la part d'élus à la proportionnelle de liste et à inscrire des garde-fous adaptés de nature à favoriser, en tenant compte des spécificités de la mixité, la parité.

Elle a ensuite présenter ses propositions relatives aux partis politiques.

Elle a rappelé que les dispositifs existants pour les scrutins de liste apparaissaient satisfaisants au regard de l'exigence de parité, estimant que ce constat justifiait que ne soient pas recherchées de solutions spécifiques pour les 20 % de conseillers territoriaux élus suivant ce mode de scrutin. Elle a estimé, en revanche, que la solution retenue pour les 80 % de conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire étant peu satisfaisante, c'était en ce domaine qu'il convenait de chercher des propositions nouvelles.

a rappelé que deux types de solutions existaient déjà pour ce mode de scrutin afin de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes : l'exigence de parité du binôme candidat/suppléant, et les sanctions financières infligées aux partis ne respectant pas l'égal accès des hommes et des femmes à la candidature.

Sur le premier point, elle a estimé possible d'envisager l'exigence d'une double parité consistant à maintenir la parité candidat / suppléant combinée à l'échelle du territoire national, à une parité des types de binômes, ceci afin de ne pas cantonner systématiquement la candidature féminine au rôle de suppléante.

Sur le second point, elle a considéré qu'il était temps de passer de la punition à l'incitation, en reprenant, notamment, la proposition de M. Guy Carcassonne consistant à redistribuer le crédit des pénalités financières payées par les contrevenants entre les partis qui ont respecté la parité. Elle a également proposé que les sanctions puissent prendre en compte le nombre de femmes élues et non plus seulement candidates.

Elle a enfin envisagé qu'une part du financement public ne soit versée que sous condition de parité.

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