Les crédits du programme « Politique de la Ville et Grand Paris » diminuent de 13 %. Rien d'étonnant pour un programme qui, à géométrie constante, a perdu, en trois ans, le tiers de ses crédits ! Cette baisse est insupportable quand les crédits de droit commun sont notoirement insuffisants dans des territoires réputés difficiles dont le sort est loin de s'améliorer... Un euphémisme au regard du constat dressé par le dernier rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).
Mes prédécesseurs le soulignaient déjà, le programme 147 représente, au mieux, le quart des dépenses publiques en direction de ces territoires. La politique de la ville ne mérite pas les reproches qu'on lui adresse. Malgré les milliards investis, la situation se dégrade, entend-on dire, ce qui serait la preuve de son inefficacité... Faux ! On ne s'est jamais donné les moyens de régler les problèmes de nos concitoyens qui vivent dans ces quartiers.
Depuis trente ans, un « plan banlieues » en chasse en autre : il fallait « en finir avec les grands ensembles » dans les années 1980, « casser le ghetto » disait M. Jean-Louis Borloo en lançant le Programme national de rénovation urbaine (PNRU) en 2003. L'imagination et le volontarisme n'ont pas manqué, non plus que la communication autour de ces « plans Marshall » censés résoudre des problèmes toujours plus importants, ceux d'une société qui s'enrichit mais où les pauvres sont plus nombreux et où la cohésion nationale est mise à mal par des mécanismes de ségrégation sociale et urbaine.
Plutôt que des effets d'annonce, les problèmes posés par les territoires pauvres appellent une politique publique pérenne, et d'abord un redéploiement efficace des politiques de droit commun et une plus forte péréquation financière, des axes qui ne relèvent pas du programme 147. Non seulement les dotations de péréquation ne corrigent pas les écarts de richesse, mais aussi, comme le souligne le rapport de nos collègues députés François Pupponi et François Goulard de l'an dernier, l'éclatement des lignes budgétaires en faveur des quartiers empêche leur évaluation, tant quantitative que qualitative. Nous avons, d'un côté, les dotations de péréquation et les moyens que les politiques publiques mobilisent dans les quartiers prioritaires qui sont les principaux leviers de leur transformation, mais représentent une « boîte noire ». De l'autre, le programme 147, beaucoup plus transparent puisqu'on y justifie à l'euro près le lien entre la dépense et le problème à régler territorialement, est bien trop modeste au regard des objectifs fixés ailleurs. Pour preuve, les différents contrats urbains de cohésion sociale peinent à mobiliser les administrations compétentes.
Dans ces conditions, la politique de la ville consiste pour un élu local - mais aussi, je crois, pour un préfet - à passer beaucoup de temps à tenter de résoudre l'équation impossible entre la réalité des territoires et des dispositifs inadaptés. Pour la réussite scolaire, mais aussi pour la tranquillité publique, ou encore pour la formation et l'emploi, les habitants attendent bien davantage des institutions classiques - de l'école, de la police, des organismes de logement social, du service public de l'emploi - que des équipes spécifiquement mises en place pour les quartiers. Quand les moyens spécifiques de la politique de la ville se substituent aux moyens ordinaires, comment parler d'un quelconque « rattrapage » ?
Le programme 147, encore en baisse cette année, aura été réduit d'un tiers en trois ans. Le Gouvernement dira qu'il est parvenu à « limiter la casse », que les réductions budgétaires toucheront surtout les échelons régionaux et nationaux. Cette présentation des choses ne fait que confirmer son manque d'ambition. En 2003, M. Jean-Louis Borloo lançait une politique volontariste de rénovation urbaine, avec le PNRU. En 2008, le président de la République annonçait une « nouvelle politique pour les banlieues », qui pour l'essentiel a consisté à poursuivre le PNRU et à rhabiller des mesures diverses avec le costume neuf du plan « Espoir banlieues »... Malgré ces effets d'annonce, l'État s'est totalement désengagé du financement du PNRU, et nul ne sait comment sera financé le PNRU II, pourtant nécessaire.
La politique de la ville est en panne : non seulement on ne reconduit pas les actions passées, mais on les réduit, et l'on replie les troupes de l'État, amaigries par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), en attendant les réformes à venir après l'élection présidentielle... Chacune des cinq actions du programme est en baisse, alors que l'Observatoire national des zones urbaines sensibles vient juste de constater que la situation sociale se dégrade dans les territoires prioritaires. Le ministre du budget nous expliquera que les temps obligent à faire toujours mieux avec moins, le ministre de la ville nous dira tout le bien qu'il pense des associations, et se félicitera d'avoir obtenu que les subventions leur soient versées dès le premier trimestre de l'année au lieu du quatrième - c'est un réel progrès. Mais les chiffres sont là : en deux ans, les crédits consacrés au volet « lien social, citoyenneté et participation à la vie publique » auront diminué de 20 % ! En pleine crise, le Gouvernement retire un cinquième de leurs subventions aux associations et aux centres sociaux de terrain, dont personne ne met en doute l'utilité, en particulier pour l'accès aux droits.
Selon une récente enquête de l'Institut national des études démographiques, 60 % des habitants des zones urbaines sensibles (ZUS) sont des immigrés ou enfants d'immigrés ; et parmi les enfants d'immigrés, qui se sentent eux-mêmes Français à 90 %, ceux qui vivent en ZUS ont nettement moins l'impression que les autres d'être « regardés comme des Français ». Pour la première fois, un institut national a examiné de près la question des origines, le lien à la citoyenneté selon le lieu où l'on habite. Dans Banlieue de la République, un livre publié avec le soutien de l'Institut Montaigne, Gilles Kepel vient de montrer qu'à quelques kilomètres du centre de Paris, on peut aujourd'hui cultiver des valeurs bien éloignées de celles, devenues abstraites, qui ont longtemps fait le creuset républicain. Et pourtant, le Gouvernement réduit de 22 % les crédits alloués, dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, à l'accès au droit et à la prévention des discriminations ! Vous comprendrez que je vous propose de donner un avis défavorable à ces crédits.
Une seule bonne nouvelle : les zones franches urbaines (ZFU) devaient être supprimées à la fin de l'année et, l'article 64 du projet de loi de finances pour 2012 les proroge jusque fin 2014, en apportant cependant quelques aménagements : pour bénéficier des exonérations fiscales et sociales, les entreprises nouvellement implantées devront employer pour moitié, et non plus pour un tiers, des résidents de ZUS ; en outre, l'exonération fiscale est subordonnée au bénéfice de l'exonération sociale, et seuls seront comptabilisés les salariés touchant moins de deux SMIC. Les ZFU ont permis d'attirer des activités et donc de renforcer la diversité fonctionnelle de ces territoires, sans toutefois augmenter le taux d'emploi de leurs habitants. Veillons à ce que le relèvement de la clause d'emploi ne réduise pas à néant l'efficacité du dispositif. On peut aussi se demander si le délai accordé est assez long pour que des aménagements nécessaires à ces zones soient réalisés et que des entreprises viennent s'y installer. Je défendrai une prorogation de cinq ans au lieu de trois, comme François Pupponi à l'Assemblée nationale : son amendement, d'abord adopté, a été rejeté en seconde délibération à la demande du Gouvernement.