Je m'efforcerai d'être rapide.
Cette mission contient les crédits confiés au ministère de l'agriculture pour conduire la politique agricole nationale. L'enseignement technique agricole, l'enseignement supérieur agricole et la recherche relèvent d'autres missions interministérielles.
Avec 3, 566 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,598 milliards d'euros en crédits de paiement, en baisse respectivement de 0,6 et de 2,1 %, l'enveloppe 2012 est conforme à la tendance proposée par la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014. L'Assemblée nationale a ajouté 210 millions d'euros au programme 154 pour compenser la perte subie par la Mutualité sociale agricole avec la baisse des charges sociales dues au titre des salariés permanents.
En réalité, le budget de l'agriculture est frappé par la cure de rigueur imposée au pays, puisqu'il contribue au milliard d'économies à hauteur de 22 millions d'euros, dont 15 au détriment de l'intervention économique, 3,1 environ sur la forêt, 2,4 sur la sécurité sanitaire et 1,5 sur la conduite de la politique agricole. S'il ne baisse pas davantage, c'est à cause de l'ampleur des dépenses contraintes. En effet, l'État ne saurait se soustraire aux contreparties nationales d'aides communautaires comme l'indemnité compensatoire de handicap naturel, soit 248 millions d'euros. Dans le même esprit, la prime nationale supplémentaire à la vache allaitante représente 165 millions d'euros. Enfin, la compensation par le budget d'exonérations de charges auprès des organismes sociaux atteints 500 millions d'euros sur les 2 milliards du programme 154.
Tout comme les budgets des autres missions, celui-ci a été construit en appliquant une réduction de 7,5 % en deux exercices aux dépenses de fonctionnement de l'État et de ses opérateurs, à l'exception notable de l'Office national des forêts cette année, avec les résultats suivants :
Avec 86 % de crédits d'intervention, le programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » concentre les crédits d'intervention économique au profit du secteur agricole. Avant les 210 millions ajoutés par l'Assemblée nationale, il baissait de 1 % en autorisations d'engagement et de 2,2 % en crédits de paiement.
Le programme 149 « Forêt », que présentera Gérard César, baisse de 1,8 % en autorisations d'engagement à 353 millions d'euros, et de 2,4 % en crédits de paiement à 362 millions d'euros.
Les dotations du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » diminuent pour la troisième année consécutive, passant sous la barre des 500 millions d'euros. La réduction des crédits de paiement atteint 15 % depuis 2009.
Le programme 215, enfin, comprend les moyens du ministère, les crédits de personnel représentant 650 millions d'euros sur les 750 millions du programme.
Au-delà des crédits, le budget révèle les priorités de la politique agricole, la première priorité du Gouvernement étant la baisse des charges sur le travail agricole. Après les allègements appliqués l'an dernier au travail saisonnier, l'Assemblée nationale a introduit l'article 48 bis pour diminuer les charges sur le travail permanent. Le financement de cet allègement est curieux, puisque l'Assemblée nationale a introduit une taxe sur les boissons sucrées et une autre sur les boissons avec édulcorants. Dans les deux cas, la filière agro-alimentaire sera touchée. Notre commission des finances a proposé de supprimer ces taxes, preuve qu'il est possible de faire autrement. Cet allègement doit être en outre financé en partie par le relèvement de la taxe intérieure de consommation sur le fioul domestique utilisé comme carburant dans l'agriculture, ce qui revient à faire payer les agriculteurs pour soutenir l'agriculture ! Certes, les productions gourmandes en main d'oeuvre, notamment celle de fruits et légumes, sont concurrencées à l'intérieur même de l'Union européenne par des pays où les rémunérations sont plus faibles, mais quelle sera l'efficacité de cet allègement ? Réduire d'un euro le coût du travail ne rendra pas nos productions plus compétitives face à celle des pays pratiquant le dumping social et fiscal, à commencer par l'Allemagne. En limitant l'allègement aux bas salaires, on entretient la précarité et les faibles rémunérations. Je crains que les effets d'aubaines induits par ce dispositif ne lui fassent manquer sa cible malgré un coût considérable pour les finances publiques, puisque la prise en charge des exonérations de charges sociales excédera désormais 700 millions d'euros, soit un bon tiers des crédits du programme 154. Plutôt que de se lancer dans une course au moins-disant social perdue d'avance, mieux vaudrait avoir une stratégie d'harmonisation européenne et valoriser nos productions pour justifier les différentiels de prix : une fraise produite dans des filières de qualité est bien meilleure et coûte légitimement plus cher que celle gorgée d'eau et sans goût produite sous serre et importée à bas prix. Ne nous trompons pas de stratégie.
Deuxième remarque, la politique agricole du Gouvernement est mise en échec sur plusieurs axes majeurs et tout d'abord sur l'installation des jeunes agriculteurs : moins d'une installation est aidée pour deux départs. On dénombrait 40,5 % d'installations aidées en 2010 ; on devrait à peine atteindre 45 % cette année, alors que l'on visait 49 %.
Les assurances couvrant les aléas climatiques progressent aussi moins que prévu : le taux de couverture est de 30 % au lieu de 49 % sur les grandes cultures, de 17 % au lieu de 29 % sur la vigne, de 17 % au lieu de 27 % pour le maraîchage et à peine de 3 % en cultures fruitières. Les assureurs ont fermé les contrats lors de la sécheresse du printemps... Le financement des crises revient donc à la puissance publique.
La contractualisation progresse également très lentement. Les améliorations constatées par les éleveurs laitiers tiennent plus aux évolutions des prix du marché qu'à une meilleure entente avec les industriels. Certains contrats proposés étaient d'ailleurs scandaleux ! En outre, certains éleveurs sont contraints d'arrêter la production laitière faute de collecte maintenue par le contrat.
Le tableau n'est pas plus brillant pour les plans de développement des filières. La ligne budgétaire consacrée à la promotion et l'orientation des filières pour France Agrimer, baisse à moins de 100 millions d'euros pour 2012. Faudra-t-il bientôt privilégier certaines filières par rapport à d'autres ?
Or, le contexte actuel est lourd de menaces et d'incertitudes pour l'agriculture. La première tient à la réforme de la PAC. Dévoilé fin juin 2011, le projet de cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 est moins catastrophique que redouté, puisqu'il maintient les dépenses de la PAC à leur niveau de 2013 en prix constants, soit 371,7 milliards d'euros, dont un peu moins d'un quart sur le deuxième pilier. En septembre, la Commission de Bruxelles a dévoilé le nouveau fonctionnement de la PAC, basé sur le verdissement de 30 % des aides directes, la convergence progressive en Europe, le plafonnement des aides, mais aussi le manque d'ambition en matière de régulation et d'organisation commune de marché. La Commission européenne est sur ce point aussi timide que le récent G20 agricole a été décevant : le seul point d'accord a concerné la mise en place d'un système d'information mondial sur les stocks pour éviter la spéculation, mais rien n'a été décidé pour la combattre. Lutter contre la financiarisation de l'agriculture n'est pas à l'ordre du jour...
La deuxième incertitude porte sur la conjoncture. Portée par la demande extérieure, tirée par l'exportation et confortée par la hausse des prix des céréales, l'agriculture française connaît globalement une année 2011 favorable malgré quelques crises. La bonne tenue des prix perdurera-t-elle en 2012 ? Rien n'est certain, mais le plan d'austérité va sans aucun doute réduire la croissance. Or, la dépression de la consommation intérieure pourrait avoir des répercutions sévères pour certaines filières comme les fruits et légumes, le lait ou la viande.
A l'aune des résultats obtenus et des incertitudes sur notre avenir, j'émets donc trois observations sur le budget proposé pour 2012. La première est qu'il est vulnérable à toute nouvelle crise. Les crédits de sécurité sanitaire sont calculés au plus juste. Une nouvelle fois, le Fonds national de garantie des calamités agricoles devra être abondé par des transferts internes au programme 154. Je souhaite que la commission ait d'ailleurs une meilleure visibilité sur les mouvements parfois substantiels opérés en cours d'année entre dispositifs au sein du programme. Un seul exemple : les 25 millions d'euros du plan d'action pour la filière fruits et légumes présenté en septembre sont captés sur les enveloppes prévus par le dispositif Agriculteurs en difficulté (Agridiff), les prêts bonifiés et FranceAgrimer.
Deuxième observation, peu de crédits vont à l'action structurelle sur le monde agricole. Outre les 700 millions d'euros désormais consacrés à compenser des exonérations de charges, plusieurs dispositifs constituent essentiellement des aides au revenu, qu'il s'agisse de la prime nationale supplémentaire à la vache allaitante, de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, de la prime herbagère agro-environnementale ou de la dotation jeunes agriculteurs. Finalement, l'ajustement se fait sur les crédits d'orientation : le plan de modernisation des bâtiments d'élevage est simplement maintenu à l'étiage avec 30 millions d'euros, tandis que le plan de performance énergétique est très affaibli.
Troisième observation, la baisse des effectifs trouvera un jour ses limites. Cette année encore, les moyens de fonctionnement sont rognés avec 375 suppressions d'emplois sur le programme 215, 66 suppressions sur le programme 206 et de nouveaux efforts demandés à l'Agence de services et de paiements (ASP), à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) et même à FranceAgrimer malgré ses missions supplémentaires comme la tenue de l'Observatoire des prix et des marges.
L'essor de l'agriculture ultra-marine, enfin, constitue un axe prioritaire du Gouvernement, comme cela a été annoncé en 2009 à l'issue des états généraux de l'outre-mer. Les secteurs de la banane et de la canne à sucre prédominent dans les DOM et bénéficient d'aides importantes, critiquées en février 2011 par la Cour des comptes dans son rapport public. Le maintien des aides nationales est pertinent, car il est illusoire de compter sur leur disparition pour améliorer la performance de l'agriculture ultramarine au moment où l'accord de Genève de l'année dernière sur la banane et les accords abaissant les protections douanières entre l'Union européenne et plusieurs pays sud-américains rendent la concurrence plus sévère. Il serait cependant souhaitable que l'appui public soit renforcé pour diversifier l'agriculture outre-mer et permettre son développement endogène. Les cultures maraîchères et fruitières, l'élevage et l'aquaculture ont un potentiel important.
Malgré cette dernière note plus positive, et bien que nous soyons d'accord sur de nombreuses questions touchant l'agriculture, ce budget soutient une politique agricole qui ne satisfait pas nos attentes et n'est pas à la hauteur des enjeux actuels. J'émets donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.