Intervention de Brice Hortefeux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 décembre 2010 : 1ère réunion
Immigration intégration et nationalité — Audition de M. Brice Hortefeux ministre de l'intérieur de l'outre-mer des collectivités territoriales et de l'immigration

Brice Hortefeux, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration :

ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - Avant tout, je tiens à saluer le travail de M. Eric Besson qui a élaboré ce projet de loi et l'a défendu devant l'Assemblée nationale. Les principes de la politique du Gouvernement en matière d'immigration sont simples, clairs et justes : la France a le droit de choisir qui elle veut ou peut accueillir sur son sol ; tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, sauf circonstances exceptionnelles d'ordre humanitaire, sanitaire, social, politique ou religieux ; enfin les étrangers accueillis légalement sur notre territoire bénéficient pour l'essentiel des mêmes droits économiques et sociaux que les Français.

Ces principes sont partagés et mis en oeuvre par tous les pays européens. J'en veux pour preuve le pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté à l'unanimité des pays membres de l'Union, quelle que soit la couleur politique de leur gouvernement, des communistes chypriotes au parti de M. Berlusconi. Les Vingt-sept se sont mis d'accord, lors d'une réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » en février 2010, pour protéger leurs frontières extérieures et lutter contre l'immigration clandestine. Cette coopération se poursuivra au premier semestre 2011 : je souhaite que se réunissent les ministres en charge de l'immigration des cinq pays qui concentrent 80 % des flux migratoires - la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne - et les responsables des pays de transit, Malte, Chypre et la Grèce.

Notre politique porte ses fruits. L'immigration clandestine est en recul : depuis 2007, près de 106 000 personnes en situation irrégulière ont été reconduites à la frontière. Dans la lutte contre les filières d'immigration clandestine, même si beaucoup reste à faire, nous avons marqué des points : 156 filières ont été démantelées depuis le début de l'année, et 2 843 personnes ont été mises en cause en 2009 pour l'emploi de clandestins.

Nous sommes parvenus à rééquilibrer l'immigration professionnelle et l'immigration familiale : la première représente aujourd'hui 23 % du total au lieu de 12 % naguère ; cette évolution a toutefois été freinée par la crise économique.

Nos engagements en faveur du développement solidaire ont été tenus : 15 accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires, comportant à la fois des mesures pour réguler les migrations et des concours matériels pour des projets ciblés, ont été signés avec le Bénin, le Brésil, le Burkina-Faso, le Cameroun, le Cap-Vert, la République du Congo, le Gabon, le Liban, la Macédoine, le Monténégro, le Sénégal, l'île Maurice, la Russie, la Serbie et la Tunisie. J'étais au Burkina hier : nos interlocuteurs ne comprennent pas pourquoi il faut tant de temps pour ratifier l'accord. Il ne sera transmis au Sénat que demain !

Nous nous efforçons aussi de promouvoir l'intégration et d'entraver le communautarisme. Depuis 2003, 500 000 personnes ont conclu un contrat d'accueil et d'intégration, s'engageant ainsi à respecter les principes de la République et à apprendre notre langue. Pas moins de 100 000 personnes ont obtenu en 2009 le diplôme initial de langue française, 115 000 en 2010.

Le contexte est pourtant difficile. Comme beaucoup de nos voisins, particulièrement l'Allemagne et la Belgique, nous sommes confrontés à une hausse rapide du nombre des demandes d'asile : 20 % de plus en 2009, 8 % pendant les premiers mois de 2010. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a dû examiner 47 686 demandes en 2009, contre 35 520 en 2005. En conséquence, le délai d'examen des dossiers atteint aujourd'hui 19 mois. Une partie des personnes déboutées viennent grossir les rangs de l'immigration clandestine. La procédure d'asile est dévoyée : n'est-il pas paradoxal que le nombre de demandes d'asile augmente, alors que les dictatures sont de plus en plus rares ? Il est injuste de faire attendre 19 mois les demandeurs de bonne foi.

Pour réduire ce délai, il faut renforcer les moyens de l'Ofpra et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), mais aussi revoir la liste des pays d'origine sûrs. Le Kosovo, par exemple, est aujourd'hui un pays démocratique, sur lequel veille l'ONU.

Le présent projet de loi a trois principaux objets. En premier lieu, il vise à moderniser les conditions de l'accès à la nationalité et de l'intégration, en créant tout d'abord une procédure de naturalisation accélérée pour les étrangers exemplairement intégrés, qui se distinguent au plan civique, scientifique, culturel, économique ou sportif : la durée de résidence requise sera de deux ans au lieu de cinq.

Pour mieux vérifier que les demandeurs sont convenablement intégrés dans la société française, le texte prévoit une charte des droits et des devoirs et une évaluation des compétences linguistiques selon des critères européens plus objectifs.

La déchéance de nationalité fait débat, mais elle existe depuis longtemps dans notre droit. Jusqu'en 1998, elle pouvait être prononcée contre les personnes reconnues coupables d'un crime et condamnées à une peine d'au moins cinq ans de prison. Le projet de loi ne revient pas à cet état du droit : ne pourraient être déchues de leur nationalité que les criminels ayant attenté à la vie de personnes dépositaires de l'autorité publique, car ces dernières symbolisent l'Etat et la nation. Je voulais aller plus loin, en m'inspirant du cas nantais, mais cela posait des problèmes constitutionnels.

En second lieu, le projet de loi conforte la politique européenne de l'immigration en transposant trois directives : la directive « carte bleue », tout d'abord, qui favorise l'immigration professionnelle de haut niveau. La « carte bleue » prendra le relais, au niveau européen, de la carte « compétence et talents ». La directive « retour » de 2008 concerne les conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière : le départ volontaire demeure la règle, et la durée maximale de rétention est fixée à six mois par la directive. La France a d'ailleurs la durée maximale la plus courte. L'éloignement est assorti de l'interdiction de retour sur le territoire européen. Il s'agit aussi de mettre fin à la superposition de l'obligation de quitter le territoire français et de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. La directive « sanctions » de 2009 a pour double objet de punir les employeurs d'immigrés clandestins et de protéger les travailleurs concernés. Les donneurs d'ordres doivent assumer leurs responsabilités. La présomption d'une relation de travail d'au moins trois mois obligera l'employeur à indemniser son salarié.

En troisième lieu, ce texte vise à renforcer l'efficacité des procédures d'éloignement. Des événements récents ont montré que nous ne pouvons pas faire face à l'arrivée à la frontière d'un groupe important d'immigrants hors des points de passage répertoriés : je vous rappelle les perturbations causées en janvier dernier par le débarquement de 123 Kurdes sur une plage de Corse du Sud. Nous voulons donc donner un cadre juridique à ces situations exceptionnelles, en autorisant la création d'une zone d'attente sur le lieu d'arrivée. Les migrants y auront les mêmes droits que dans les zones d'attente portuaires ou aéroportuaires.

Le projet de loi porte la durée de rétention administrative de 32 à 45 jours. Quand j'étais ministre de l'immigration, je m'étais déclaré favorable au statu quo. Mais les choses ont changé. Les accords de réadmission, négociés au niveau communautaire, ne peuvent souvent être conclus compte tenu de la brièveté de la durée maximale de rétention en France. La non-délivrance du laissez-passer consulaire est responsable de 34 % des échecs de procédures d'éloignement ; or 10 % des laissez-passer sont délivrés entre le 32e et le 45e jour ! Le délai moyen est de 35 jours pour la Chine, de 38 jours pour le Mali. La France restera d'ailleurs le pays d'Europe où la durée de rétention est la plus courte : le gouvernement de M. Zapatero vient de la porter de 40 à 60 jours.

Nous avons aussi voulu réorganiser le contentieux des mesures d'éloignement : il était étrange que le juge judiciaire pût prolonger une rétention provisoire sur le fondement d'une décision susceptible d'être annulée par le juge administratif... A la suite des préconisations du rapport Mazeaud, je propose d'instituer un délai de 48 heures pour saisir le juge administratif, qui devra se prononcer avant 72 heures, le juge des libertés et de la détention devant intervenir au cinquième jour de rétention. Certains contestent la constitutionnalité d'un tel dispositif, mais il répond à l'objectif d'une bonne administration de la justice et garantit l'indépendance du juge administratif. Le Conseil d'Etat ne l'a d'ailleurs pas contesté.

Pour achever la transposition de la directive sur la libre circulation des ressortissants de l'Union européenne, comme nous en avons pris l'engagement envers la Commission de Bruxelles, je proposerai de préciser les conditions dans lesquelles un ressortissant européen peut être éloigné s'il représente une menace pour l'ordre public : ce ne sera possible que si le comportement personnel de l'intéressé présente une menace réelle et actuelle pour un intérêt fondamental de l'Etat, et dans le respect du principe de proportionnalité, qui impose que soient prises en compte sa durée de séjour et sa situation personnelle. Nous appliquions déjà ces règles qui découlent des principes généraux de notre droit, mais elles figureront désormais dans le droit positif.

Enfin, je proposerai un régime spécial de rétention administrative pour les terroristes qui ne peuvent être éloignés alors qu'ils ont été interdits du territoire : l'empêchement tient souvent à des raisons procédurales, notamment à la non-délivrance du laissez-passer consulaire. Actuellement, il n'y a pas d'autre solution que d'assigner la personne à résidence, généralement à l'hôtel, ce qui ne suffit pas à garantir la sécurité publique. Le Conseil d'Etat a été saisi d'une demande d'avis à ce sujet : nous aurons sa réponse pendant la première quinzaine de janvier. Il s'agit d'autoriser le placement en rétention de l'intéressé pendant le temps nécessaire pour l'éloigner, et au maximum pendant six mois, peut-être plus dans des cas exceptionnels, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. La menace terroriste justifie cette précaution.

Voici donc un texte utile, concret et opérationnel, qui traduit nos engagements européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion