Intervention de Jean-François Pestureau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 mai 2010 : 1ère réunion
Atelier de travail sur la contribution économique territoriale : le point de vue des redevables

Jean-François Pestureau, président de la commission fiscale du Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables :

A la suite de votre invitation, nous avons procédé à un sondage au sein de la totalité de la profession des experts-comptables, soit 19 851 membres. Parmi eux, nous avons obtenu 512 réponses, soit un taux de réponse de 2,6 %. Je conviens que ce taux est faible, mais il peut s'expliquer par deux raisons. D'une part, l'application de la loi est récente puisqu'elle est entrée en vigueur au 1er janvier 2010. Nous manquons, par conséquent, d'un peu de recul. D'autre part, la profession est en pleine campagne déclarative et manque donc de temps et de disponibilité intellectuelle pour se prononcer dans les délais qui étaient impartis. Dans ce contexte, le nombre de réponses témoigne néanmoins d'un effort citoyen de la part d'une profession actuellement surchargée.

La première question de notre enquête statistique portait sur les entreprises éventuellement perdantes suite à la réforme de la taxe professionnelle. Seulement un tiers des réponses indique que certaines entreprises sont « largement » perdantes. Il s'agit des entreprises de services dont la charge principale est constituée par la masse salariale, des sociétés d'assurance ou encore des entreprises implantées dans les zones d'emploi en grande difficulté qui bénéficiaient en vertu de l'ancien article 1647 C du code général des impôts d'un crédit d'impôt de 1 000 euros par salarié. En revanche, la profession estime, dans sa grande majorité, qu'il y a eu, globalement, une réelle diminution de la charge fiscale.

Sur les effets économiques de la réforme au regard de l'emploi. Une minorité de répondants, environ 14 %, estime que la CET sera nuisible à l'emploi puisque les charges liées aux salaires ne viennent pas en diminution de la valeur ajoutée alors que la part salariale de la taxe professionnelle avait été supprimée en 2003.

La quatrième question duplique la précédente au regard de l'investissement. Les réponses montrent que la réforme tend à lever une certaine réticence, voire un frein psychologique, à l'investissement. Pour autant, une telle décision se fonde essentiellement sur des motifs d'opportunité commerciale et de retour sur investissement et s'inscrit dans une stratégie plus globale que celle qui se limiterait à l'examen d'un avantage fiscal.

En ce qui concerne le « fardeau administratif », près de 54 % des répondants estiment que la réforme s'est traduite par son augmentation en raison de la multiplication des déclarations à remplir. Les acomptes se sont également multipliés. Les règlements et les soldes ne s'effectuent pas à la même date selon qu'il s'agit de la CFE ou de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). A titre d'exemple, la CFE sera soldée le 15 décembre tandis que la CVAE sera soldée en mai, en même temps que l'arrêté du bilan de l'entreprise. De même, la liasse fiscale fait double emploi avec le formulaire de déclaration de la valeur ajoutée puisqu'elle prévoit une case spécifique pour cette démarche.

De façon assez normale, nos membres rencontrent des difficultés inhérentes à l'année de transition. Elles sont dues pour l'essentiel à une information trop tardive, voire à une absence d'informations sur la mise en place des déclarations. Nous signalons d'ailleurs qu'une partie des textes d'application et des instructions administratives n'ont, à ce jour, pas été publiés.

Sur la lisibilité et la clarté de la réforme, les avis sont partagés à raison de moitié-moitié. Les répondants soulignent principalement l'absence d'information, la complexité du calcul des exonérations, plafonnements et dégrèvements et, enfin, l'opacité de la détermination de la valeur locative foncière servant de base à la CFE. Une majorité de la profession estime ne pas avoir obtenu les informations nécessaires auprès des services des impôts ou sur le site « impots.gouv.fr » avec le degré de précision et de détails qu'ils auraient souhaité. En revanche, le simulateur en ligne a été plébiscité.

Les personnes consultées estiment, par ailleurs, que pour les entreprises soumises au régime des BNC, la charge fiscale va globalement diminuer même si l'absence significative de réponses laisse transparaître une certaine perplexité.

Les modalités de liquidation et de paiement de la CET sont, pour une majorité, jugées trop lourdes. A partir de 500 000 euros de chiffre d'affaires, les entreprises ont une obligation de télédéclarer et de télépayer la CVAE. Or il est regrettable que les modalités techniques ne soient pas encore appropriées à cette exigence.

La majorité des répondants ne relève pas de complications potentielles pour l'avenir. Toutefois, il existe un risque de contentieux relatifs à la définition de la valeur ajoutée et à son calcul en cas d'exercice décalé.

La détermination du seuil et du montant du dégrèvement applicables à la CVAE ne soulèvent pas de difficultés, hormis quelques points techniques. Il en va de même pour le calcul de la valeur ajoutée.

En conclusion, on peut se demander si les objectifs affichés de la réforme sont remplis. Le premier d'entre eux consistait à assurer la stabilité et l'autonomie du financement des collectivités territoriales. Son appréciation ne relève pas des experts-comptables. En revanche, en ce qui concerne la réduction de la charge fiscale d'environ 4,8 milliards d'euros, il semblerait que les résultats aillent dans ce sens pour les petits et moyens contribuables, quoique de fortes variations puissent être constatées. Les gagnants certains à la réforme sont les grandes entreprises qui étaient plafonnées en fonction de la valeur ajoutée avant la réforme et qui ne sont pas assujetties à l'IFER. Elles bénéficient d'un effet mécanique de baisse puisque le plafonnement diminue de 3,5 % à 3 %. De même, les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 500 000 euros sont exonérées de CVAE et, à ce titre, elles sont gagnantes, de même que les professionnels non assujettis à l'impôt sur les sociétés et employant moins de cinq salariés en régime BNC pour lesquels le gain serait notable.

Le troisième objectif consistait à remédier à la complexité de la taxe professionnelle qui avait été modifiée par pas moins de soixante-huit lois depuis sa création en 1975. Il n'est pas certain, de ce point de vue, que la réforme y parvienne, du moins à l'heure actuelle.

Enfin, le quatrième et dernier objectif avait pour ambition de ne pas pénaliser l'investissement et l'emploi. La réforme est basée sur la valeur ajoutée pour éviter la volatilité inhérente à l'indicateur qu'est l'excédent brut d'exploitation. Ce dernier aurait pu être plus judicieux économiquement mais pas budgétairement.

Je tiens toutefois à souligner que les résultats de ce sondage sont à prendre avec précaution. Il s'est déroulé à un moment où nous manquons encore du recul temporel suffisant et, de surcroît, peu propice à la sérénité compte tenu de la charge de travail des experts-comptables.

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