Depuis la fin des années 1990, la France « partage » une partie de son réseau diplomatique, consulaire ou culturel avec certains partenaires, en particulier l'Allemagne. Ce « partage » prend des formes diverses, parfois modestes, quand il s'agit d'accueillir un diplomate du pays partenaire dans les locaux d'une ambassade, parfois plus ambitieuses quand deux pays ouvrent ensemble leur ambassade dans un même bâtiment.
Un peu plus de dix ans après les premiers essais, il nous a paru opportun, à Adrien Gouteyron et à moi-même, de faire le point sur cette politique, sous un angle intéressant chacune de nos deux commissions. Nous nous sommes posé les questions suivantes : Où en sommes-nous en termes de nombre d'implantations communes ? Y a-t-il une stratégie guidant les ouvertures de telles implantations ? Quel bilan peut-on en tirer d'un point de vue diplomatique ? Y a-t-il là un gisement d'économies potentielles à l'heure où le réseau est en cours de redéfinition dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Pour répondre à ces questions, nous avons mené des entretiens à divers niveaux de l'administration du ministère des affaires étrangères et européennes (MAEE), ainsi qu'avec des membres du cabinet du ministre. Nous avons également effectué une visite au Grand-duché de Luxembourg afin d'étudier sur place le fonctionnement d'un centre culturel commun à la France, à l'Allemagne et au Luxembourg.
La question des implantations communes d'une partie de notre réseau diplomatique au sens large, c'est-à-dire englobant les ambassades, consulats et centres culturels, avec certains de nos partenaires européens, en particulier l'Allemagne, revient régulièrement dans le débat public. Ainsi plusieurs rapports portant sur l'organisation du réseau français ont recommandé de développer de telles implantations. Je citerai, par exemple, les conclusions du rapport confié au préfet Raymond Le Bris par le Premier ministre de l'époque, M. Jean-Pierre Raffarin, sur « l'organisation et le fonctionnement des services de l'Etat à l'étranger », rendu public en juillet 2005. Celui-ci estimait que la fermeture de certaines de nos petites ambassades induirait des coûts en matière d'image largement supérieurs aux économies escomptées, et recommandait plutôt de réduire les financements affectés à ces implantations en favorisant le regroupement des services français à l'étranger, à la fois entre eux et avec des partenaires européens. Par la suite, le comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger (CIMEE), réuni en juillet 2006, a repris cette partie des recommandations du rapport Le Bris. Enfin le « livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France », remis en juillet 2008 au ministre par MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer, préconisait de « Développer la co-localisation ou au moins la juxtaposition de nos implantations diplomatiques avec nos partenaires européens ». Ce rapport relevait certes, des obstacles de nature juridique à la mise en place d'ambassadeurs communs, mais soulignait que la proximité au quotidien contribuerait déjà à un rapprochement des perceptions et des réflexes. Le cadre franco-allemand constitue un terrain de mise en oeuvre naturel - mais non exclusif - de cette démarche. A côté des ambassades proprement dites, la fonction consulaire représente un domaine où la France doit inciter ses partenaires de l'Union européenne (UE) à une coopération beaucoup plus volontariste.
Où en sommes-nous ? A ce jour, les réalisations demeurent modestes dans les domaines diplomatique et culturel. Ainsi, s'agissant de la diplomatie (domaine le plus sensible car très lié à la souveraineté des Etats), seuls existent un bureau d'ambassade franco-allemand à Banja Luka, en république serbe de Bosnie-Herzégovine, et l'hébergement d'un chargé d'affaires français dans les locaux de l'ambassade d'Allemagne à Lilongwe au Malawi.
Des projets plus ambitieux existent cependant, à Dacca (Bangladesh) et Koweït-City. En revanche, le projet d'ambassade commune à Maputo (Mozambique) est pour l'instant suspendu. Dans le domaine culturel, les véritables co-localisations de centres culturels français et de locaux de l'Institut Goethe se trouvent à Palerme, Luxembourg et Ramallah. D'autres implantations communes, treize en tout, existent entre Alliances françaises et Instituts Goethe ou d'autres associations allemandes.
La politique est plus avancée dans le domaine consulaire puisque on relève vingt-six collaborations, neuf centres communs de réception de visas, trois centres administratifs communs et que trois projets sont en cours.
On constate que l'Allemagne est le partenaire quasi exclusif de la France en matière de co-localisations diplomatiques et culturelles. Elle est aussi souvent présente dans le domaine consulaire, même si d'autres partenaires peuvent coopérer car l'espace Schengen crée une solidarité de fait, en particulier pour ce qui concerne les visas.
La France et l'Allemagne ont formalisé leurs relations dans un accord cadre relatif aux implantations communes de missions diplomatiques et de postes consulaires, signé à Paris le 12 octobre 2006 et approuvé par le Parlement en 2007 (M. del Picchia étant rapporteur pour le Sénat). Cet accord, très concert, vise à régler aussi bien le partage des frais des locaux communs (comme dans une copropriété) que l'affichage symbolique (plaques, drapeaux, etc.). Il est bien clair que chaque pays conserve sa souveraineté et sa propre représentation.