Intervention de Adrien Gouteyron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 mai 2010 : 2ème réunion
Contrôle budgétaire des implantations communes du réseau diplomatique gérées avec d'autres pays de l'union européenne — Communication

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances :

Les constats principaux que vos rapporteurs tirent de leurs travaux sont les suivants : tout d'abord, les implantations communes peuvent présenter des avantages à la fois symboliques et pratiques : symboliques car les lieux uniques sur lesquels flottent les drapeaux français et allemands, et le drapeau de l'Union, incarnent l'étroitesse des liens entre nos deux pays. De ce point de vue, le bureau d'ambassade commun de Banja Luka est un signe politique fort. De plus, au-delà du symbole, la présence en un même immeuble des personnels diplomatiques leur permet de se rapprocher, de mieux se connaître et d'échanger sur leurs méthodes de travail. Enfin, dans une perspective de maintien, autant que faire se peut, d'une universalité de la présence française à moindre coût, la solution retenue à Lilongwe - hébergement du chargé d'affaires français dans les locaux de l'ambassade allemande - est optimale. En effet, il est difficile de maintenir une ambassade au sens strict du mot, à moins de sept ou huit équivalents temps pleins travaillés (ETPT) ; c'est d'ailleurs le format des plus petites ambassades dans le nouveau schéma diplomatique.

Toutefois, le rapporteur de la commission des finances ne peut que constater la grande faiblesse des enjeux budgétaires liés aux co-localisations, contrairement à une croyance répandue. Par exemple, les frais de fonctionnement des postes de Banja Luka et de Lilongwe ne s'élèvent qu'à 65 000 euros. Et l'ensemble des projets dans le domaine diplomatique ne représentent qu'un peu moins de 1,2 million d'euros de dépenses de fonctionnement, soit à peine plus de 1 % de ce type de dépenses. Il s'agit donc d'un mouvement à encourager, sans économie significative à attendre.

Hormis des cas comme celui du Malawi que je viens d'évoquer avec la présence d'un Français dans une ambassade allemande, la partie mutualisable est très faible, la souveraineté des États demeurant une réalité. Chacun travaille de son côté, avec simplement la possibilité de disposer de contrats communs pour des prestations comme le nettoyage ou la surveillance.

Même en consulaire, la seule fonction justifiant un rapprochement est le traitement des visas. Mais là encore, si nous avons des règles communes avec les pays de la « zone Schengen », chaque État reste responsable de la délivrance des titres. Le seul avantage de la mutualisation est, dans certains cas, l'atteinte de la « masse critique » de dossiers (environ 15 000) permettant de négocier des prix intéressants dans l'externalisation de la réception des demandes de visas. Les agents peuvent alors se concentrer sur leur coeur de métier (le traitement des dossiers), ce qui améliore le service aux demandeurs. Ainsi, à Moscou, le délai de réponse serait passé de trois semaines à trois jours depuis la mise en place d'un centre commun externalisé de réception des visas.

Cependant, d'une manière générale, non seulement la souveraineté ne se partage pas, mais, dans de nombreux pays, nos partenaires européens peuvent aussi être nos concurrents. Cela est particulièrement vrai sur les sujets économiques et culturels. C'est ce qui explique que les implantations communes existantes se situent souvent dans des pays à « faible enjeu ». Il sera intéressant d'analyser, le moment venu, le succès ou l'échec du projet de centre culturel commun avec l'Allemagne à Moscou, dont l'ouverture était prévue en 2011, mais semble prendre du retard.

Pour l'heure, le seul exemple de centre culturel véritablement commun, allant au-delà d'un simple partage de locaux, est assez éclairant. Il s'agit de l'Institut culturel franco-germano-luxembourgeois Pierre Werner (IPW), situé dans les locaux de l'ancienne abbaye de Neumünster, à Luxembourg.

L'institut a été inauguré en 2003 par Dominique de Villepin, alors au Quai d'Orsay, Joschka Fischer, son homologue allemand, et par Mme Erna Hennicot-Schoepges, ministre luxembourgeoise de la culture. Il devait alors promouvoir simultanément l'intégration européenne, la diversité culturelle et la culture des trois pays, ce qui constituait un noble et ambitieux objectif.

Mais, deux ans plus tard, devant un relatif échec, les trois parties ont revu l'organisation de l'institut doté d'un directeur unique et les statuts du centre. L'institut Pierre Werner doit désormais promouvoir la réflexion et la coopération culturelle européenne ; il peut d'ailleurs s'ouvrir à d'autres partenaires. A titre d'exemple, l'IPW a accueilli, en mars 2009, une exposition sur « l'évolution du paysage urbain et de l'espace public en Europe centrale et orientale » qui n'est directement relié à aucun des trois partenaires, ce qui montre bien que son objet dépasse la promotion culturelle des Etats fondateurs.

Cela explique d'ailleurs qu'à côté de sa participation à l'IPW, la France a conservé son centre culturel à Luxembourg, qui poursuit ses propres missions. S'il ne s'agit donc pas de remettre en cause l'intérêt d'un tel centre, il ne faut pas l'aborder sous l'angle des économies qui pourraient être envisagées.

En conclusion, le rapporteur de la commission des finances que je suis a pu conforter le pressentiment qu'il avait exprimé dans son rapport budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2008 : « Il convient de ne pas surestimer l'intérêt, sinon sur le plan politique, du moins sur le plan budgétaire, d'implantations communes, franco-allemandes, ou européennes, qui peuvent conduire à une complexification de la gestion des postes à l'étranger, les différents réseaux européens ayant souvent des cultures de fonctionnement très différentes, y compris dans les consulats. »

Le véritable enjeu se situe sur d'autres plans, intéressant davantage la commission des affaires étrangères : le symbole politique que constitue le rapprochement de deux drapeaux ; le rapprochement des personnels et des « cultures » des réseaux ; et, dans le domaine des visas, la qualité du service rendu aux usagers.

Dans tous les cas, pour que l'initiative soit un succès, elle doit venir du terrain et ne pas être imposée « d'en haut », même si cela limite le nombre de projets. En effet, les affinités entre chefs de missions diplomatiques comptent. De même, la perception de tels projets par les autorités du pays hôte est essentielle. Le regroupement de locaux ne doit pas être perçu comme un abandon larvé.

On espérait plus de ce rapport que ce qu'il nous a donné. La réalité conduit à une approche modeste et progressive. L'impulsion ne peut jamais venir d'en haut pour que de tels projets aboutissent, mais uniquement des partenaires sur le terrain.

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