Il a paru utile que nos deux commissions se penchent sur la politique immobilière du ministère de la défense. Celui-ci est le premier détenteur du patrimoine immobilier de l'Etat. La gestion de ce patrimoine représente donc un enjeu très important. D'autre part, la politique immobilière était appelée à jouer un rôle inédit dans le financement de notre politique de défense, grâce à une amplification et une accélération des ventes immobilières.
Quelques chiffres donnent l'importance du patrimoine immobilier de la défense. Il occupe 330 000 hectares et sa valeur est estimée à 16 milliards d'euros pour la défense au sens strict, et à 21 milliards si l'on ajoute la gendarmerie. Cela représente 33 % de la valeur du patrimoine immobilier de l'Etat et 43 % si l'on inclut la gendarmerie.
Ce patrimoine est très hétérogène. Il comprend des logements individuels ou collectifs, des bases aériennes et navales et des camps d'exercice, des casernes, des immeubles de bureaux.
La politique immobilière représente en moyenne 1,2 milliard d'euros par an, soit plus de 4 % du budget de la défense hors pensions. Il y a, dans cet ensemble, des programmes d'infrastructure très liés à la capacité opérationnelle, par exemple pour l'accueil de nouveaux matériels (Rafale, Tigre, missile M51), des dépenses de construction et d'entretien plus classiques, 140 millions d'euros de loyers budgétaires et 80 millions d'euros pour le logement familial, avec 12 000 logements domaniaux et 43 000 logements réservés auprès d'opérateurs.
Enfin, ce patrimoine est appelé à évoluer du fait des restructurations dans lesquelles le ministère de la défense est engagé depuis vingt ans, avec le plan « Armée 2000 » dès 1989, puis la professionnalisation et enfin le nouveau plan de stationnement arrêté en 2008. Plus de 1 000 mesures de fermeture, transfert, réorganisation sont intervenues depuis 1997. Plus d'une centaine sont prévues dans les années à venir. Des emprises et des immeubles sont devenus inutiles. D'autres ont du faire l'objet d'adaptations ou de remaniements.
La restructuration des armées a permis de vendre des terrains et immeubles libérés, mais pas dans une proportion équivalente à celle de la libération de nouveaux biens devenus ainsi disponibles. Le montant des ventes est assez modeste : de l'ordre de 50 millions d'euros par an au début des années 2000 et entre 60 et 80 millions d'euros annuels pour la période 2007-2009.
Pourquoi ce montant relativement faible ? Beaucoup de biens immobiliers de la défense présentent une forte spécificité. Le marché est relativement étroit et ils sont difficiles à négocier. L'obligation de dépollution préalable - notamment la dépollution pyrotechnique - constitue un frein important à la cession.
Depuis 2003, plusieurs mesures ont été prises pour assouplir cette obligation de dépollution. Les exigences ont été adaptées en fonction de la destination future du bien. L'Etat a été autorisé à confier les opérations à des entreprises privées. Récemment, la possibilité a été prévue que l'acquéreur prenne en charge les opérations de dépollution, moyennant une imputation sur le prix de vente. Il est également envisagé de modifier la réglementation pour la limiter aux cas dans lesquels une présomption de pollution est sérieusement établie, à la suite de recherches historiques.
Aujourd'hui, plus de 600 emprises sont immédiatement disponibles à la vente. Près de 500 autres pourraient l'être soit après relogement, soit après dépollution. Leur valeur globale est estimée par France Domaine à 1,3 milliard d'euros. Si l'on y ajoute les emprises actuellement occupées par le ministère à Paris et qui seront libérées lors du déménagement à Balard, le montant potentiel des cessions dépasse 2 milliards d'euros.
Toutefois, dans le même temps, le remaniement de la carte militaire génère des coûts d'infrastructure. Ils avaient été estimés à 1,2 milliard d'euros lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire 2009-2014 et sont maintenant réévalués à 1,5 milliard d'euros. En effet, certains coûts n'ont pu être réellement étudiés qu'une fois le nouveau plan de stationnement connu avec certitude, c'est-à-dire après les arbitrages sur la loi de programmation. Par ailleurs, les dépenses sont concentrées sur les trois années 2009-2011, l'armée de terre ayant notamment plaidé pour ne pas étaler excessivement sa reconfiguration.
Au cours des dernières années, la conduite de la politique immobilière du ministère a été rationalisée. Elle relève du secrétaire général pour l'administration et de la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA). Une avancée importante a été réalisée avec la création en 2005 du service d'infrastructure de la défense (SID) qui s'est substitué aux trois services d'armée.
On doit porter une appréciation positive sur la création du SID. Chargé de mettre en oeuvre la politique immobilière, il a permis d'optimiser les ressources humaines et les financements et de mieux coordonner l'avancement des opérations.
S'agissant des cessions immobilières, trois entités peuvent intervenir. Le ministère dispose d'une structure spécialisée : la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI). La MRAI est l'interlocuteur privilégié des collectivités locales. Elle effectue un travail d'étude préalable sur des projets de reconversion de sites. Pour les sites particulièrement difficiles à reconvertir, il est prévu que le ministère fasse appel à la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), société d'Etat qui avait été créée pour écouler le patrimoine immobilier de Réseau ferré de France (RFF). La SOVAFIM vient de racheter une partie des terrains du 2ème régiment de hussards à Sourdun (Seine-et-Marne) pour y développer un projet de ferme photovoltaïque. Enfin, les immeubles courants sont remis par le ministère à France Domaine qui procède à la vente par appel d'offres.
La LOLF a également profondément transformé le pilotage financier de la fonction « immobilier », jusqu'alors éclatée entre chaque « gouverneur de crédits », c'est-à-dire les trois armées, la direction générale de l'armement (DGA) et l'administration centrale.
La quasi-totalité des crédits sont désormais regroupés au sein du programme 212, piloté par le secrétariat général pour l'administration (SGA). Les armées ne gèrent plus que quelques crédits pour les travaux courants au sein des unités. Les crédits d'infrastructure de la gendarmerie sont cependant rattachés à la mission « sécurité ».
Sur 2009 et 2010, le suivi budgétaire de la politique immobilière a toutefois perdu en lisibilité. Certaines dépenses ont été basculées sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » qui, finalement, n'a pas été alimenté au niveau voulu.
Le ministère de la défense s'est également efforcé de mettre en place une stratégie pour l'évolution de son patrimoine immobilier avec deux instruments : des schémas pluriannuels de stratégie immobilière, dont le premier, concernant l'Île de France, a été adopté en 2006 ; des schémas directeurs immobiliers dans les principales agglomérations.
Ce travail a toutefois été bouleversé par la révision de la carte militaire décidée en 2008, ainsi que par le projet de regroupement de l'administration centrale à Balard. Le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) d'Île-de-France a été révisé en 2008. Pour la province, le ministère élabore désormais un schéma directeur par base de défense.
La mise en place d'une stratégie de réorganisation immobilière trouve donc ses limites dans les décisions exogènes telles que celles qui viennent d'être prises en matière de réorganisation des forces armées.
Avec la nouvelle loi de programmation militaire, la politique immobilière du ministère de la défense s'est vu assigner une mission nouvelle.
Il ne s'agit plus seulement de rationaliser les implantations, pour réduire les coûts de fonctionnement. A travers les cessions, la politique immobilière doit également apporter rapidement à la défense un complément de financement très significatif pour faire face aux besoins de paiement à court terme.
L'élément central de cette stratégie réside dans une vente anticipée des immeubles occupés par le ministère à Paris, plusieurs années avant le déménagement à Balard. Il s'agit également de réaliser un volume important de ventes sur les emprises libérées en province.
Un an et demi après le démarrage de la loi de programmation, ce schéma initial doit être complètement révisé. Les montages envisagés n'ont pu se concrétiser.
Comme vous le savez, la loi de programmation militaire 2009-2014 a intégré 3,6 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, dont près de 3,4 milliards d'euros sur les trois années 2009, 2010 et 2011, pour faire face à la « bosse » des dépenses d'équipement. La vente de fréquences hertziennes était attendue pour environ 1,5 milliard d'euros. L'immobilier représente quant à lui 2 milliards d'euros concentrés sur ces trois premières années. Cet objectif peut être considéré comme extrêmement ambitieux. Il s'agissait de multiplier par cinq le rendement des cessions immobilières, par rapport à la loi de programmation militaire 2003-2008.
Le montant des cessions doit être crédité au compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ». Au sein de celui-ci, un budget opérationnel de programme (BOP) spécifique est géré par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) qui pilote ainsi l'ensemble des crédits de politique immobilière, qu'ils soient en zone budgétaire ou sur le compte d'affectation spéciale.
Sur la gestion de ce compte d'affectation spéciale, deux particularités sont à signaler. D'une part, le ministère de la défense bénéficie de 100 % des produits de cessions, au lieu de 85 % pour les autres ministères, 15 % allant au désendettement de l'Etat ; d'autre part, les règles habituelles ont été assouplies. Ont ainsi été transférés sur ce compte 224 millions d'euros constituant la soulte versée par la Société nationale immobilière (SNI). Il ne s'agit pas de produit de cessions, mais d'un paiement d'avance de dix années de loyers que la SNI perçoit, pour le compte du ministère de la défense, sur les logements domaniaux dont il lui confie la gestion.
L'objectif fixé en matière de cessions repose à 60 % sur la vente de l'immobilier parisien. Le restant représente les ventes en province, ainsi que l'avance sur loyers versée par la SNI.
Le principe retenu pour Paris est qu'à l'échéance 2014, le ministère de la défense aura quitté toutes ses implantations actuelles à l'exception de l'hôtel de Brienne, des Invalides et de l'Ecole militaire, qu'il n'occupe que très partiellement, du Val-de-Grâce et du boulevard Mortier. Les entités correspondantes ont vocation à rejoindre Balard, la proche banlieue ou la province.
La particularité du dispositif imaginé était de tabler sur des recettes immédiates, grâce à la vente des immeubles occupés à une société de portage censée les revendre ultérieurement, mais également sur des dépenses différées, la réalisation des nouvelles installations de Balard étant confiée à un opérateur privé, avec paiement d'un loyer de l'ordre de 100 millions d'euros par an à compter de 2014 et durant trente ans.
Pour être précis, sur les treize emprises parisiennes que le ministère de la défense doit quitter d'ici 2014, trois cas de figure étaient envisagés :
- quatre « petits » immeubles devaient être vendus selon la procédure de droit commun, c'est-à-dire un appel d'offres lancé par France Domaine ;
- l'hôtel de la Marine devait faire l'objet d'une opération particulière ; l'Etat conserverait la nue-propriété mais cèderait l'usufruit, sous réserve du respect par le preneur du caractère des lieux ;
- enfin, huit immeubles devaient être achetés « en bloc », en site occupé, par une société de portage qui devait être créée pour la circonstance entre la Caisse des dépôts et consignations et la SOVAFIM ; cette société se serait chargée de la valorisation ultérieure de ces immeubles ; l'îlot Saint-Germain, siège principal de l'administration centrale, représentait à peu près la moitié de ce portefeuille immobilier.
Depuis l'automne 2008, la constitution de la société de portage et la conclusion de la vente en bloc des huit emprises principales nous ont régulièrement été présentées comme « imminentes » ; ce fut le cas lors du vote du budget 2009, qui prévoyait cette recette, puis en novembre dernier, lors de l'examen du budget 2010, sur laquelle ladite recette avait été reportée.
Après plusieurs mois de discussions, le projet a finalement été abandonné en mars dernier. Cela nous a été officiellement confirmé le 7 avril, lors de la réunion sur le contrôle trimestriel du budget de la défense à laquelle les rapporteurs de nos deux commissions participent.
Se fondant sur la dernière évaluation de France Domaine, le ministère de la défense réclamait 744 millions d'euros pour les huit immeubles. La SOVAFIM et la Caisse des dépôts ont proposé 520 millions d'euros seulement, soit 30 % de moins qu'espéré par l'Etat.
On doit donc revenir à un processus de cession classique, par appel d'offres, avec un calendrier lié à celui de libération des emprises : deux doivent être libérées en 2012 et les quatre autres en 2014, lors de l'installation à Balard.
En fin de compte, il faut renoncer à des recettes immédiates sur l'immobilier parisien et l'on voit qu'en tout état de cause, il existe un risque de sous-réalisation par rapport au produit escompté.
A cette première difficulté s'en ajoutent deux autres.
L'hôtel de la Marine va lui aussi être libéré en 2014, mais sa valorisation anticipée était escomptée sur la période de programmation. Officiellement, le projet de location de longue durée reste d'actualité. Un cahier des charges précisant les obligations du preneur en matière de protection du patrimoine doit être rédigé ; le ministère de la Culture est associé à ce processus. La commission nationale des monuments historiques a rendu un avis assez contraignant.
Pour l'instant, seul un projet combinant hôtellerie de luxe et dimension culturelle a été évoqué dans la presse. Mais on constate une contradiction fondamentale entre les exigences indispensables en matière de protection du patrimoine et la valorisation économique du bien auprès d'un opérateur privé. L'intérêt même de cette opération pour l'Etat peut être mis en doute.
Seconde difficulté : le volume des recettes liées aux ventes en province avait été établi avant l'adoption du dispositif des cessions à l'euro symbolique. A supposer que la totalité des emprises libérées à l'occasion des restructurations soient cédées, près de la moitié ne donneront lieu à aucune recette pour l'Etat.
Au bilan, on peut dire que les recettes immobilières n'arriveront ni au moment voulu, ni au niveau attendu. J'ajoute - même si ce n'est pas le sujet du rapport - que la concrétisation des ventes de fréquences est, elle aussi, repoussée à 2011, voire 2012.
A court terme, le déficit en ressources a été compensé par des mesures de trésorerie : l'autorisation de consommer des crédits de report disponibles. La moindre inflation aurait également diminué les besoins de paiements de la défense. Au chapitre immobilier, il semble néanmoins qu'une centaine de millions d'euros ait fait défaut en 2009, imposant le report d'opérations d'entretien courant des immeubles.
On constate que les valeurs sur lesquelles ont été établies les prévisions de la loi de programmation sont assez éloignées des perspectives concrètes de valorisation pour ces biens très particuliers et atypiques sur le marché immobilier.
Globalement, le ministère de la défense espère qu'en repoussant de quelques années la vente de l'immobilier parisien, il limitera la moins-value, par rapport à ses estimations initiales, à une centaine de millions d'euros. Cela suppose toutefois de négocier dans de bonnes conditions un immeuble aussi particulier que celui de l'îlot Saint-Germain.
Pour les ventes en province, le déficit sur la loi de programmation militaire pourrait être de 250 millions d'euros.
Nous sommes donc face à un déficit minimal de 350 millions d'euros, que l'on peut ramener à 200 millions d'euros si l'on intègre le solde positif du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » début 2009, soit 140 millions d'euros.
Enfin, la plus grande incertitude règne sur l'hôtel de la Marine. S'il fallait renoncer à ce projet, les recettes s'en trouveraient un peu plus diminuées.
Au-delà de la nécessité de compenser le manque à gagner, la question du devenir de l'îlot Saint-Germain et de la rue Royale se pose avec beaucoup d'acuité. En effet, le projet Balard est lancé. Le ministère de la défense quittera ces deux grands immeubles en 2014. Il faudra alors trouver une solution qui préserve les intérêts financiers de l'Etat et elle n'est pas acquise aujourd'hui.