Intervention de Christine Lagarde

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 janvier 2011 : 2ème réunion
Crise financière en europe mise en oeuvre du mécanisme européen de stabilisation et livret a — Audition de Mme Christine Lagarde ministre de l'économie des finances et de l'industrie

Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

A mon tour de vous souhaiter une bonne année et une bonne santé : nous en aurons besoin, ainsi que de courage et d'audace pour faire en sorte que notre économie soit compétitive et que nos entreprises créent de la valeur et de l'emploi.

J'ai toujours plaisir à venir devant votre commission. Vous m'auditionnez avant l'Assemblée nationale sur ce sujet, et quelques jours avant la première émission du Fonds européen de stabilité financière (FESF) institué en 2010. Ce fonds, largement doté, s'est vu attribuer la note « triple A » par les trois grandes agences de notation et l'une d'entre elles a également attribué ce « triple A » à l'émission en question.

Pour la suite, je suis optimiste mais, en même temps, je nous souhaite d'avoir du courage et de l'audace. Je suis optimiste parce que l'endettement intérieur total de la zone euro ne s'élève qu'à 224 % de notre PIB, contre 241 % aux États-Unis et 364 % au Japon. Il faut avoir ces chiffres en tête lorsqu'on s'afflige de l'endettement de la zone euro. Cependant, du fait des attaques de certains investisseurs, nous nous sommes engagés dans un processus de consolidation budgétaire visant à diminuer nos déficits publics et à inverser la trajectoire de notre dette.

Je suis également optimiste parce que, depuis 2007, l'aggravation de l'endettement a été moindre en zone euro qu'aux États-Unis, la dégradation n'étant que de 21 points de PIB contre 37. Pendant la même période, le déficit public ne se serait creusé que de 4,5 points de PIB en zone euro contre 7 points aux États-Unis. Et ces derniers n'ont pas encore engagé de politique de consolidation budgétaire, ce qui leur a valu d'être rappelés à l'ordre par certaines agences de notation : le fait de disposer d'une monnaie, le dollar - « notre monnaie, votre problème » - ne suffit pas à mériter le « triple A » ...

Compte tenu des épisodes grec et irlandais, et plus généralement des suspicions qui pèsent sur le groupe dit « GIPSY » (en anglais Greece, Ireland, Portugal, Spain, ItalY - Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie), les États de la zone euro se sont engagés dans une démarche de consolidation budgétaire. Nous devons en effet afficher notre détermination à défendre la stabilité de la zone euro, notre solidarité vis-à-vis de ses États les plus faibles et, donc, poursuivre dans la voie de la consolidation budgétaire, indispensable pour être crédible sur les marchés.

En 2010 nous avons mis en oeuvre certaines mesures en faveur de la Grèce, qui bénéficie donc d'une aide de la zone euro à hauteur de 80 milliards d'euros, dont 16,8 milliards en provenance de la France, couplée à une aide de 30 milliards du FMI. Ces aides sont assorties de conditionnalités, c'est-à-dire de l'engagement du gouvernement grec - vis-à-vis des partenaires de la zone euro, du FMI, de la BCE et de la Commission - d'améliorer la situation de ses finances publiques. La situation continuant à se dégrader, nous avons mis en place, les 9 et 10 mai 2010, à la demande du Conseil européen, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) - qui concerne la seule zone euro -, doté d'une capacité d'emprunt de 440 milliards d'euros sur trois ans, et auxquels on doit ajouter les 60 milliards d'euros d'un instrument communautaire, le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), ainsi qu'une participation de 50 % du FMI. La mise en oeuvre de ce dispositif a fait l'objet des lois de finances rectificatives du printemps dernier. Pour que le FESF obtienne la notation « triple A », nous avons dû accorder certaines contreparties, notamment des « coussins de garantie », qui font que sa capacité d'emprunt de 440 milliards d'euros ne correspond qu'à une capacité de prêt de l'ordre de 250 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent la part du mécanisme communautaire et celle du FMI. Ce Fonds, dans la mesure où il vient au secours d'un pays qui n'a plus accès au marché, est en lui-même une « transgression » des traités européens ; s'agit-il là de bail out ou non ? Le traité révisé prévoit bien que l'on n'ira pas au secours d'un Etat en faillite, mais le FESF se substitue de fait aux pays défaillants.

Ensuite, en novembre, est intervenu l'épisode irlandais. Ce pays a connu une crise de liquidité causée par la défaillance de trois de ses principaux établissements bancaires. L'État irlandais a volé à leur secours, les recapitalisant et les nationalisant quasiment. Son déficit public est monté à 32 % du PIB et sa dette publique est passée de 64 % à 90 % du PIB. Cela a bien entendu pesé sur les conditions de financement et de refinancement de l'Irlande.

Le 28 novembre, l'Europe et le FMI ont agréé un plan d'aide à ce pays de 85 milliards d'euros : 22,5 milliards du MESF, 17,7 milliards du FESF, 4,8 milliards de prêts bilatéraux - 3,8 milliards du Royaume Uni, 0,6 milliard de la Suède et 0,4 milliard du Danemark - 22,5 milliards du FMI et 17,5 milliards de l'État irlandais, notamment sur l'équivalent de notre Fonds de réserve des retraites.

De tels moyens nous permettraient d'intervenir si un pays du groupe « GIPSY » se trouvait en difficulté du fait de la perte de confiance des investisseurs ou d'attaques spéculatives. Et nos débats au sein du Conseil Ecofin visent à ce que la solidarité européenne soit dotée de moyens suffisants.

La Grèce et l'Irlande ont pris l'engagement d'assainir leurs politiques budgétaires et de restructurer leurs systèmes bancaires. La Grèce, qui a bénéficié d'un premier décaissement, a déjà subi deux vérifications, d'où il ressort que ses engagements sont tenus avec courage, compte tenu de ses anciennes habitudes de sous-déclaration fiscale et d'un certain laxisme.

Les travaux sont en cours au sein de la zone euro. Ce qui conduit les investisseurs à s'interroger sur la qualité d'emprunter de tel ou tel pays, ce sont les écarts de compétitivité et l'absence de gouvernance ou d'intégration économiques communes au sein d'une zone monétaire unique. Nous soumettrons donc au Conseil européen la question d'une plus grande intégration économique. Le Président de la République a toujours souhaité aller vers un gouvernement économique européen, mais nous avons du mal à convaincre les Allemands de son utilité. Malgré tout, nous progressons en ce sens. Ainsi, six textes sur la gouvernance économique sont en cours d'élaboration et seront débattus en 2011. Ils reprennent notamment les conclusions du groupe de travail d'Herman Van Rompuy, président du Conseil européen. Ces textes invitent à élargir le Pacte de stabilité et de croissance à la compétitivité et à la trajectoire de dette, ainsi qu'à davantage responsabiliser les États défaillants. Nous avons eu de longs débats, cet été, sur la nécessité du caractère automatique ou quasi-automatique des sanctions. La France plaide pour leur quasi-automaticité, où la « mise sous séquestre » des sommes n'est pas applicable de plein droit, mais est cependant effective dans des délais brefs, ce qui laisse aux États défaillants le temps de réagir. C'est à la majorité qualifiée inversée que ces sanctions s'appliqueraient. Cela signifie que la décision de sanction s'appliquerait sauf si une majorité qualifiée d'Etats membres rejetait la décision de sanction applicable de plein droit. Nous avons aussi défini une procédure de sanctions plus efficace. A cela s'ajoute la mise en place du « semestre européen », qui impose aux États membres de soumettre les grandes lignes de leur projet de budget national au Conseil européen avant de le présenter à leur Parlement. Car si nous avons la même monnaie, la cohérence de nos politiques économiques est indispensable.

Nous discutons aussi d'un mécanisme permanent de résolution de crise qui serait pérenne à partir de 2013 et remplacerait alors le FESF, dont la durée de vie a été fixée, lors des accords de mai 2010, à trois ans, selon le souhait de l'Allemagne. Il reprendrait les principes de ce Fonds : conditionnalités strictes imposées à l'Etat bénéficiaire, participation du FMI, contrôle trimestriel des engagements pris et de leurs résultats, participation du secteur privé, au cas par cas et selon les principes habituellement respectés par le FMI.

Au 1er janvier dernier est entré en vigueur un ensemble de réformes sur la supervision financière, et trois organismes de supervision européens ont été mis en place : un pour les banques, un pour les marchés et un pour les assurances. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, est en train de sélectionner les responsables de ces organismes.

En parallèle, l'accord de Bâle III - qui renforce les capitaux des banques et exige d'elles un minimum de liquidités - sera transcrit et entrera en vigueur en 2013, avec un échelonnement jusqu'en 2018. Cela suscite l'inquiétude des banques françaises car certains critères retenus par le Comité de Bâle les obligent à se recapitaliser fortement. Elles auront d'autant plus de mal à financer l'économie et les entreprises françaises.

Pour déterminer si les banques doivent se recapitaliser, des tests de résistance des appareils bancaires européens vont être pratiqués, vérifiant la solidité des bilans bancaires en cas de détérioration de la situation économique et de défaillance d'entreprises.

Nous avons engagé avec l'Allemagne un effort de convergence fiscale et, pour ce faire, notre Cour des comptes et son homologue d'outre-Rhin ont travaillé sur nos situations fiscales. Le Président de la République a souhaité que je travaille à d'autres rapprochements afin de mieux faire converger les niveaux de compétitivité dans l'eurozone, l'objectif étant que cette zone monétaire soit aussi une zone économique ne présentant pas de trop grands écarts de compétitivité. On constate en effet une nette corrélation entre le coût du travail dans les différents États et les taux d'intérêt de refinancement.

Je vous ai adressé aujourd'hui un courrier pour vous avertir que la première tranche d'émission du FESF pour l'Irlande aura lieu dans quelques jours, cette émission, comme le Fonds lui-même, bénéficiant d'un « triple A ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion