Intervention de Sylvie Cadolle

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mars 2006 : 1ère réunion
Famille — Droit de la famille - Audition de Mme Sylvie Cadolle sociologue

Sylvie Cadolle, sociologue :

a relevé que la filiation conférait à la personne son identité et sa place au sein de l'ordre généalogique de succession des générations. Elle a ajouté que notre système de filiation reposait historiquement sur un modèle d'exclusivité, selon lequel chaque individu était issu de deux autres, d'une génération ascendante et de sexes différents.

a observé que la conquête par les femmes de l'égalité des droits avait bouleversé le fondement de la filiation, qui reposait sur la présomption de paternité du mariage et la domination du mari. Elle a indiqué que la fragilisation de la relation conjugale avait également eu des conséquences sur la paternité, en précisant que le nombre de divorces était passé de 30.000 au milieu des années 1960 à plus de 125.000 en 2003, soit un taux de divortialité de 42,5 %.

Elle a rappelé que la loi du 3 juillet 1972, puis l'ordonnance du 4 juillet 2005, avaient supprimé les inégalités de filiations entre enfants « légitimes et naturels » afin de tirer les conséquences de la désinstitutionnalisation des relations d'alliance et de préserver l'intérêt des enfants et l'égalité de leurs droits.

a souligné les difficultés à promouvoir la pluriparentalité et à donner une place au beau-parent en raison de la persistance de la norme traditionnelle d'exclusivité de la filiation, alors même que de nombreux enfants ne réunissaient pas les dimensions biologiques, sociales et électives de la filiation. Elle a précisé que 45 % des premières naissances intervenaient hors mariage, contre 6 % en 1972, et que 18,6 % des familles avec enfant constituaient des familles monoparentales (2,7 millions d'enfants vivant dans un foyer monoparental). Mme Sylvie Cadolle a ajouté que, seuls, 9 % des enfants de parents séparés vivaient avec leur père, même si ces données évoluaient du fait de la progression de la résidence alternée, et qu'un enfant sur trois résidant avec sa mère n'avait plus de contact avec son père. Elle a relevé que l'effacement des pères était souvent rendu responsable de difficultés sociales et du mal-être des enfants.

Elle a souligné que l'indissolubilité du lien de filiation s'était substituée à l'indissolubilité du couple, la société posant pour principe que l'enfant avait besoin de ses deux parents et que le couple parental devait survivre au couple conjugal. Elle a rappelé que la loi de mars 2002 avait ainsi cherché à conforter la coparentalité et consacré la possibilité de résidence alternée. Elle a toutefois précisé que ce dispositif, exigeant sur le plan psychique et financier, n'était viable qu'à la condition que les parents acceptent de demeurer un couple parental. Elle a en outre observé que les enfants de parents séparés qui avaient gardé contact avec leur père avaient aujourd'hui davantage de contact avec lui qu'il y a 20 ans, et que cette situation était désormais souhaitée par une majorité de femmes.

s'est alors interrogée sur le rôle que les beaux-parents étaient appelés à jouer. Elle a noté que si 8,6 % des enfants entre 15 et 19 ans résidaient avec un beau-parent, il n'existait aujourd'hui aucune obligation juridique du beau-parent à l'égard de son bel-enfant, même s'il était marié avec le parent et devait donc participer aux charges du ménage.

Elle a estimé néanmoins que l'institution d'un statut de beau-parent apparaîtrait paradoxale dès lors que l'évolution du droit de la famille tendait à protéger les droits du parent extérieur au foyer où résidait habituellement l'enfant. Elle a relevé le risque que ce parent -le père le plus souvent- se sentant supplanté par le beau-parent, n'assume plus ses responsabilités éducatives et financières à l'égard de ses enfants. Par ailleurs, elle a souligné qu'il n'existait pas, dans certains cas, de réel lien affectif entre l'enfant et le beau-parent et que compte tenu de la recomposition fréquente des couples, il convenait de s'interroger sur la pérennité des droits et des devoirs qui seraient institués entre l'enfant et le beau-parent. Cependant, elle a admis que dans une minorité de foyers recomposés, notamment les plus modestes, où l'enfant avait perdu le contact avec le parent extérieur, le beau-père subvenait aux besoins de ses beaux-enfants et acquérait à leurs yeux une réelle légitimité.

Elle a toutefois considéré que le modèle de substitution était en déclin et que l'idéal de pérennité du couple parental avait affaibli la position du beau-parent, celui-ci se trouvant cantonné dans un rôle plus conjugal et les mères exerçant une sorte de monoparentalité éducative.

a rappelé que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint avait été interdite par la loi du 8 janvier 1993 et que seule subsistait l'adoption simple, qui préservait les droits et les devoirs par rapport à la famille d'origine, tout en créant des obligations alimentaires et des prohibitions à mariage entre l'adoptant et l'adopté. Elle a relevé que cette formule était utilisée dans la perspective de transmission de biens, au terme d'une longue histoire partagée, et lorsque le bel-enfant était devenu majeur. Elle a cependant rappelé que cette adoption nécessitait l'accord des deux parents et appelait un changement de nom, ce qui pouvait susciter un certain malaise de la part des enfants, dès lors que le nom constitue un élément fondamental de la construction identitaire. Elle a finalement considéré que la solidarité entre le beau-parent et le bel-enfant était un choix individuel.

Par ailleurs, Mme Sylvie Cadolle a estimé que la perception de la filiation était partagée entre, d'une part, une représentation naturaliste fondée sur l'engendrement et le lien du sang et, d'autre part, une valorisation des liens librement choisis. Elle a indiqué que la dimension biologique, affermie par la loi de 1972 qui facilite la recherche de la paternité naturelle, avait été remise en cause par les pratiques d'insémination artificielle avec donneur, qui requièrent l'anonymat du donneur, et le maintien de l'adoption plénière et de l'accouchement sous X. Elle a souligné que la filiation constituait non pas une donnée biologique, mais une institution sociale fondée aujourd'hui en Occident sur le principe d'exclusivité et la valorisation des liens du sang. Elle a donc préconisé d'atténuer l'anonymat du donneur et d'autoriser la connaissance des origines en cas d'adoption plénière, en s'interrogeant sur la pertinence pour la loi d'organiser le droit de priver un enfant de connaître son père ou sa mère.

Abordant alors la question de l'homoparentalité, Mme Sylvie Cadolle a observé que l'hétérosexualité des parents ne constituait pas une garantie du bien-être des enfants. Elle a constaté qu'il n'existait pas actuellement d'étude portant sur des échantillons représentatifs d'enfants élevés par des couples homosexuels, faute en particulier de connaissances sur leur nombre. Elle a estimé que la sexualité était sans lien avec les compétences éducatives et que, seule, l'homophobie de l'entourage pouvait constituer un problème pour ces enfants. Elle s'est en revanche montrée plus réservée sur la situation des couples homosexuels demandant à bénéficier d'une adoption ou d'une insémination artificielle avec donneur. Elle a observé que les revendications dans ce domaine reposaient sur une contestation de la domination hétérosexuelle et des catégories traditionnelles du masculin et du féminin, avant de souligner que ces positions remettaient totalement en cause notre système de parenté.

a conclu en observant que les attentes sociales à l'égard du droit n'avaient jamais été aussi importantes et que l'intérêt de l'enfant conduisait à fixer des normes exigeantes dans le domaine de la vie familiale. Elle a enfin souligné le contraste entre les spectaculaires progrès de la procréation médicale assistée et la difficile modification des règles concernant la filiation.

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