Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion d'exprimer mon point de vue au sujet de Pôle emploi.
Je vous propose tout d'abord de replacer la création de cette institution dans une perspective historique. En 1958, l'assurance chômage a été créée, avec le réseau des Assedic et l'Unedic pour piloter l'ensemble. En 1967, l'ANPE voit le jour. A la différence d'autres pays, la France comporte donc, dès l'origine, deux institutions de nature différente, relevant de droits différents. En 2007, les pouvoirs publics décident du principe de leur fusion. La loi du 13 février 2008 organise la création de Pôle emploi. La mise en place de cette nouvelle institution débute, en mai 2008, par la création d'une instance nationale provisoire qui préfigure le conseil d'administration de Pôle emploi. Parallèlement, les deux institutions continuent à fonctionner. La création effective de Pôle emploi a lieu à la fin de l'année 2008. Bizarrement, la convention tripartite régissant les rapports entre Pôle emploi, l'Unedic et l'Etat est signée postérieurement, le 2 avril 2009. Elle a, en tout cas, été négociée avant la crise.
Cette fusion ayant eu lieu, une question se pose. Aurait-on pu agir différemment ? La réponse est probablement positive. Le statu quo aurait pu être conservé et la séparation entre le réseau des Assedic et celui de l'ANPE aurait pu perdurer.
Cependant, d'ores et déjà, des rapprochements avaient été opérés. Dans les années 1990, l'inscription des demandeurs d'emploi (IDE) a été transférée de l'ANPE au réseau des Assedic. La logique d'un tel transfert paraissait claire, puisque la première préoccupation d'une personne ayant perdu son emploi est de connaître le montant de son allocation. La frontière est devenue plus poreuse quand l'Unedic et les Assedic ont commencé à s'occuper, même de façon marginale, de placement. Des réseaux privés se sont vus confier ce type de mission, à titre expérimental.
La confusion a été portée à son comble quand le réseau des Assedic s'est mis à effectuer du profilage, c'est-à-dire à évaluer la difficulté, pour un chômeur, de retrouver un emploi. Il n'était pas rare, quand un demandeur d'emploi allait s'inscrire et effectuer ses démarches d'indemnisation à l'Assedic, que ce profilage lui soit proposé. Or l'opération recommençait à l'ANPE. Une clarification est apparue nécessaire pour éviter ces redondances.
Une autre attitude, plus « libérale », aurait pu consister à confier au réseau des Assedic l'inscription et l'indemnisation et à déléguer le placement à un opérateur public ou à des opérateurs privés, selon le choix des intéressés. Ce système existe dans d'autres Etats : en Californie, les demandeurs d'emploi effectuent eux-mêmes des démarches auprès d'un organisme privé ou semi-étatique, avant d'en rendre compte à l'organisme chargé de leur indemnisation. Cette option n'a pas été retenue, en France.
L'unification des réseaux, au sein d'une institution qui emploie 50 000 personnes, est loin d'être simple. Il faut constituer l'organigramme, bâtir le premier budget alors que chaque institution, jusqu'à présent, bâtissait son budget de manière différente. En outre, il convient d'uniformiser des réseaux informatiques particulièrement lourds. Il faut également négocier le statut des personnels. Les anciens agents de l'ANPE se sont vus proposer le choix entre le maintien de leur statut public et l'adoption d'un statut de droit privé inspiré de celui appliqué aux Assedic. Les anciens agents des Assedic sont couverts par la nouvelle convention collective qui a été négociée, de même que les nouveaux embauchés. Au total, un nombre très important d'agents de l'ex-ANPE ont opté pour la convention collective.
Par ailleurs, le conseil d'administration s'est mis en place : il rassemble des représentants de l'Etat, du patronat, des syndicats, un représentant des collectivités territoriales et deux personnalités qualifiées, dont je fais partie.
Dans chaque région, une instance paritaire réunit les partenaires sociaux. Elle favorise les échanges sur la situation régionale de l'emploi. Elle permet aussi de porter une appréciation sur le fonctionnement local de Pôle emploi et de traiter les dossiers contentieux qui ne sont pas gérés par les directions de Pôle emploi, par exemple des admissions en non-valeur ou le règlement des indus. La mise en place de ces instances paritaires régionales s'est avérée complexe. Les difficultés ont essentiellement résulté des débats internes au monde patronal. Une organisation patronale ayant considéré que j'avais agi brutalement, l'affaire a même été portée devant le Conseil d'Etat. Mon souci était cependant de mettre en place ces instances, dont la création avait été décidée par le législateur, et de faire en sorte que les dossiers contentieux soient traités.
Par ailleurs, il a été procédé à une simplification de l'accès aux services. Des numéros d'appel uniques, tant pour les demandeurs d'emploi que pour les employeurs, ont été institués. Tous les mois, les taux de réponse et les délais de réponse font l'objet d'un suivi.
Pour des raisons immobilières, il n'a pas été facile de regrouper les personnels au sein de sites uniques. Proposer des locaux centralisés, y compris au sein d'une même ville, est une affaire complexe. Cependant, dans la plupart des cas, le demandeur d'emploi ou l'employeur disposent d'un point d'accueil unique, même si certains usagers doivent encore se rendre en deux sites différents. A ce titre, en octobre 2010, les pouvoirs publics ont réalisé une enquête auprès de 100 000 personnes, notamment auprès de demandeurs d'emploi qui avaient déjà été au chômage auparavant. Selon cette enquête, les deux tiers des personnes interrogées considèrent que le traitement de l'ensemble des formalités en un seul lieu constitue une avancée sensible.
L'amplitude des horaires de travail a fait l'objet d'une uniformisation. Désormais, l'ensemble des bureaux sont ouverts au public trente-cinq heures par semaine. Par ailleurs, les entretiens redondants ont été supprimés, pour éviter aux demandeurs d'emploi d'avoir à répondre aux mêmes questions ou à effectuer plusieurs fois les mêmes formalités.
S'agissant de l'offre de services, l'amélioration a consisté à définir trois niveaux de suivi : un parcours d'appui est proposé aux demandeurs d'emploi les plus autonomes ; un accompagnement, à ceux qui sont plus éloignés de l'emploi ; enfin, certains demandeurs d'emploi se lancent dans l'aventure de la création d'entreprise.
Désormais, tous les demandeurs d'emploi, quelle que soit leur indemnisation, sont reçus de la même façon. Aucun service privilégié n'est réservé à un demandeur d'emploi au motif que son indemnisation est supérieure. Cette évolution constitue, depuis la création de Pôle emploi, une avancée essentielle.
Néanmoins, la création de Pôle emploi s'est élaborée dans un contexte de fortes contraintes, à la fois conjoncturelles et structurelles. Alors que cette institution a été officiellement créée au début de l'année 2009, elle a dû accueillir, chaque jour, dès le mois de janvier, 3 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. Il est devenu plus difficile, en pleine crise, de leur proposer des débouchés : les employeurs se montraient plus préoccupés de sauver leur entreprise que de créer des emplois. L'orientation que le conseil d'administration a donnée à la direction générale a consisté à concentrer les missions de Pôle emploi sur les tâches d'inscription et d'indemnisation. Ayant vécu la crise de 1992-1994, à la tête de l'Unedic, je gardais le souvenir des difficultés rencontrées par les demandeurs d'emploi lorsque l'indemnisation leur parvenait tardivement dans le mois. Pôle emploi a fait le nécessaire : les retards de paiement sont restés très limités et le nombre de dossiers en instance n'a jamais représenté plus de deux jours de traitement.
Cependant, l'image de Pôle emploi a pâti de ce contexte de crise. Lorsque les offres d'emplois sont rares et que les personnes inscrites affluent aux guichets, ces personnes repartent persuadées que Pôle emploi ne propose aucun débouché. En outre, lorsque les personnels consacrent tous leurs efforts à l'inscription et à l'indemnisation, qui constituent deux missions fondamentales, le temps manque pour prospecter les entreprises et trouver des offres d'emploi.
Dans le cadre du plan de relance lancé par le pouvoir exécutif, des aides variées ont été mises en place, ajoutant au travail quotidien des agents. Cette situation n'a d'ailleurs pas changé, alors même qu'une sortie de crise s'amorce. Les pouvoirs publics se préoccupent, à juste titre, du chômage de longue durée. En effet, comme au début des années 1990, la reprise bénéficie d'abord aux jeunes et aux personnes qui ont perdu leur emploi récemment. Pour les autres publics, le chômage de longue durée risque de perdurer, accentuant les situations d'exclusion. Lorsque les pouvoirs publics mettent l'accent sur l'accueil de quelque 800 000 personnes, le rythme habituel du travail des agents s'en trouve bouleversé.
D'autres contraintes, récurrentes, portent sur les moyens dont Pôle emploi dispose. Les représentants du personnel, bien légitimement, insistent sur cette question. Il convient de trouver un équilibre entre les contraintes budgétaires de l'Etat et le point de vue des partenaires sociaux. Il convient également, lorsque l'on assume les responsabilités de président du conseil d'administration, de favoriser les gains d'efficacité en supprimant les redondances et en revisitant les procédures : l'objectif consiste à dégager, à moyens constants, des possibilités opérationnelles plus importantes. Or l'Etat annonce parfois les réductions budgétaires de façon inopinée, ce qui, au sein d'un conseil d'administration, soulève de l'irritation.
D'autres contraintes sont liées aux métiers. Nous avions pensé, peut-être benoîtement, que le mariage des métiers au sein de Pôle emploi serait facile. Or, nous constatons que l'inscription et l'indemnisation d'un côté, et le placement de l'autre, restent deux métiers de nature différente. Certains agents peuvent se montrer polyvalents mais d'autres n'y parviennent pas. Il est donc préférable que les personnes travaillent en binôme, plutôt que de les contraindre à exercer ces deux métiers.
Pôle emploi doit désormais travailler sur plusieurs objectifs.
Premièrement, l'offre de services doit tenir compte non du niveau de l'indemnisation du demandeur d'emploi mais de sa distance à l'emploi, qui peut nécessiter un accompagnement renforcé. Une segmentation des services doit être recherchée en fonction des différents publics.
Deuxièmement, Pôle emploi doit retravailler ses relations avec les autres acteurs de l'emploi. Lors de la fusion entre les deux institutions, une phase de forte centralisation s'est avérée inévitable. Cependant, Pôle emploi n'a pas de vocation « impérialiste », d'autant que cette conception serait particulièrement inefficace. Sur le terrain, il existe une multiplicité d'acteurs dans les domaines de la formation, du placement, ou encore de l'orientation des jeunes. Le rapport présenté au conseil d'administration par Mme Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, insiste sur ce point.
Troisièmement, en termes de gouvernance, il conviendra de retravailler la place respective des partenaires sociaux et de l'Etat. Dans les prochains jours, je présenterai des propositions aux ministres du travail et du budget.
En conclusion, Pôle emploi est une institution qui a fortement souffert. Comment en serait-il autrement, alors que sa mise en place s'est effectuée dans le contexte d'une crise survenue avec une telle rapidité ? Certes, la destruction des emplois, proportionnellement à l'emploi salarié global, s'est avérée moindre que lors des crises précédentes. Néanmoins, elle s'est manifestée de façon particulièrement violente, touchant des populations déjà fragilisées, essentiellement les intérimaires et les titulaires de CDD. L'institution en a supporté le contrecoup, en tentant de remplir au mieux ses obligations.
L'emploi constitue une problématique de terrain. Dans le cadre de la décentralisation, il existe des spécificités propres aux régions, de la Franche-Comté à la Bretagne ou au Nord-Pas-de Calais. Pôle emploi doit donc s'attacher maintenant à travailler de manière beaucoup plus décentralisée.