Il y a bien évidemment des négociations entre l'État fédéral et les länder, notamment au Bundesrat, la chambre du Parlement allemand qui représente les länder. Mais, à mon sens, l'État fédéral a le dernier mot dans cette négociation. Le plus marquant dans cette organisation, c'est qu'elle ne correspond pas à l'image que nous nous faisons traditionnellement de l'organisation administrative allemande, qui apparaît ainsi beaucoup moins décentralisée que nous l'imaginons habituellement : il apparaît que, par des moyens indirects, le niveau fédéral contrôle les länder, et que les länder contrôlent les compétences et les ressources des districts et des communes. Par ailleurs, il apparaît que les transferts de compétences n'ont pas forcément fait l'objet de l'affectation des ressources nécessaires. Les associations de collectivités territoriales se plaignent d'ailleurs de cette situation, tandis que l'État fédéral indique que les transferts de compétences ont été compensés à l'euro près.
J'en viens maintenant à la partie de ma communication relative au Danemark. Le Danemark dispose aujourd'hui d'une organisation territoriale simple avec un niveau étatique, 98 communes (dont 32 d'une taille inférieure à 20 000 habitants et une taille médiane de 43 300 habitants) et 5 régions en survie. Le Danemark est un pays à haut niveau de décentralisation avec deux niveaux essentiels : l'État et les communes, qui fonctionnent dans une sorte de partenariat. La région est un niveau territorial dont la compétence est essentiellement la gestion du système de santé (et qui correspond par ailleurs à la circonscription territoriale de base de l'État).
Le Danemark présente une très forte décentralisation du service public. Des réformes adoptées par étapes, en 1970 puis en 2007, ont réduit les doublons entre l'administration d'État et les administrations locales. Les services municipaux font aujourd'hui fonction de services locaux de l'État, selon le principe ainsi résumé : « une seule entrée principale pour accéder au service public ». C'est notamment le cas de l'emploi, de la sécurité sociale et des services sociaux, de la santé (en particulier pour les soins post-hospitaliers), de l'environnement, de l'urbanisme, de l'état civil et des documents d'identité, des écoles primaires (les autres échelons relèvent de l'État), des crèches et des garderies.
Le service public est assuré sur l'ensemble du territoire danois par la réunion d'anciennes communes urbaines et rurales. La réforme a été très bien acceptée, même si elle réduisait le nombre des communes, parce que les nouvelles communes ont hérité de compétences supplémentaires (notamment l'ensemble du secteur social, y compris la politique de l'emploi), auparavant exercées par les 13 anciens « comtés » remplacés par les 5 régions. Cette réforme s'est également accompagnée des transferts de ressources correspondants. Les communes ont aussi hérité de 15 % des ressources des « comtés ».
Au Danemark, seul l'État et les communes peuvent lever l'impôt. Les dépenses obligatoires représentent quelque 20 %, ce qui témoigne d'une grande liberté de gestion.
Cette réforme a aussi été bien acceptée parce que le processus de fusions a été conduit par les intéressés (et non par le pouvoir central), parce qu'il n'a pas abouti à une réduction du personnel après les transferts (mais à une légère augmentation des effectifs) et parce qu'elle concernait un petit pays, peuplé de 5,4 millions d'habitants et relativement homogène. Il y a également eu une forte implication des élus et des associations de collectivités puissantes. Le cumul des mandats est juridiquement autorisé mais il est très peu pratiqué. La fonction de maire est recherchée par le personnel politique en raison des fortes compétences qui lui sont attribuées.
Le poids des impôts locaux dans la fiscalité représente plus de 30 % au Danemark, alors qu'en France il est de l'ordre de 10 % et en Allemagne encore moindre. Les ressources des communes sont essentiellement constituées des ressources fiscales, pour 75 % en provenance de l'impôt sur le revenu avec, en outre, une part de l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les propriétés. Il s'y ajoute une dotation, semblable à notre DGF, à hauteur de 20 % des recettes, venant de l'État après négociation. Vous remarquerez que les ressources des communes ne dépendent pas d'un impôt local sur les entreprises ; il n'y a donc pas de concurrence fiscale entre elles. Les régions reçoivent une dotation de l'État représentant 80 % de leurs ressources et, en complément, une dotation des communes à hauteur de 20 %. La plus grande partie de la dépense publique est assurée par les communes qui forment, en vérité, l'administration locale de l'État.
70 % de la dépense publique est assurée par les collectivités locales, soit 50 % pour les communes et 20 % pour les régions. En 2007, les dépenses publiques des communes ont représenté 27,8 milliards € (portant sur l'aide sociale sous toutes ses formes, les écoles, une partie de la santé, la politique de l'emploi, la délivrance des passeports et des permis de conduire, les routes) ; elles étaient de 17,3 milliards € pour l'État (les fonctions régaliennes, les lycées et l'enseignement supérieur, le cadre général de la politique de l'emploi et de la santé...), de 12,7 milliards € pour les régions (l'essentiel du système médical : les conventions avec les praticiens et les hôpitaux, les transports interrégionaux, l'enseignement spécialisé...) et de 402 millions € en divers.
Au Danemark, on observe un consensus qui s'explique par une procédure budgétaire largement négociée avec l'État : les communes reçoivent une dotation d'équilibre et une autorisation d'emprunt ; les propositions sont dans un premier temps validées par la commission des finances du Parlement en juin-juillet ; elles sont ensuite négociées avec l'association des communes (KL) et l'association des régions (DR) puis validées par les communes en novembre avant d'être votées dans le projet de loi de finances en décembre. L'accord avec KL n'est cependant pas juridiquement contraignant pour les communes. De fait, les objectifs fixés et négociés par l'État ne sont pas respectés et les dépenses augmentent plus que prévu. Les dépenses sociales des communes sont prises en charge à hauteur de 35% par l'État.
Ce que l'on a pu appeler le « modèle danois » est un système politico-économique très « plastique », reposant notamment sur la « fléxisécurité », c'est-à-dire la socialisation du risque entrepreneurial : les entreprises ont une liberté totale pour licencier mais, en contrepartie, les chômeurs bénéficient d'une prise en charge sociale complète financée largement par l'impôt. L'économie danoise est très ouverte sur l'extérieur et très présente dans certains secteurs (les transports maritimes, les médicaments, le secteur agroalimentaire...). Mais le Danemark constitue aussi l'arrière-cour de l'Allemagne qui lui sous-traite une part de ses commandes du fait de la qualité des prestations et surtout de la capacité à réagir rapidement à la demande. L'Allemagne est le premier client et le premier fournisseur du Danemark. Jusqu'à la crise, le système était très performant : une forte croissance a fait du Danemark l'un des pays les plus riches d'Europe avec un taux de chômage très bas (1,6 % selon le décompte officiel en 2008, soit quelque 50 000 chômeurs... même si les chômeurs dits en « réactivation » ne sont pas comptabilisés), des excédents budgétaires et des excédents commerciaux. Le Danemark est aussi doté d'un système politique démocratique et très décentralisé, un système basé sur le consensus en matière économique, sociale et politique.
Néanmoins, il convient d'observer également l'envers du décor. En effet, cette flexibilité est particulièrement sensible au retournement de conjoncture. Ainsi, le niveau de chômage, s'il reste bas par rapport à celui de la zone euro, a tout de même triplé avec la crise. Le PIB a fortement chuté : -0,9 % en 2008, -4,9 % en 2009 (retrouvant alors son niveau de 2005). La croissance, de l'ordre de 2 % en 2010, est estimée à 1,7 % pour 2011. Les déficits publics ont augmenté (2,7 % du PIB en 2009) après des années d'excédents. Les finances communales souffrent d'importants déficits. Leur équilibre a été assuré, pour 1/3 d'entre-elles, par une ponction sur leurs réserves et par l'État qui a été parfois obligé de se substituer aux communes qu'il a placé sous tutelle. Après un fort déficit de financements en 2010, il manquerait encore de environ 600 millions € non financés, pour parvenir à l'équilibre en 2011.
En outre, la « fléxisécurité » a un coût, d'où les mesures prises pour diminuer la durée de prise en charge par l'État et par les caisses de la période de chômage ; ces mesures entraînent une augmentation du coût social à la charge des communes. Le consensus a aussi un coût en conduisant à un important niveau de dépenses publiques (29 % du PIB). En fait, les communes ne respectent pas les accords passés avec le gouvernement. Les effectifs du secteur public sont déjà importants : 160 emplois pour 1 000 habitants contre 88 pour la France. Ces effectifs ont encore augmenté pendant la crise, du fait, notamment, des effets pervers de la « rationalisation » de gestion des « Job centers » (l'équivalent danois de Pôle Emploi) imposée aux communes.
Le système danois fonctionne aussi largement à l'endettement des ménages et à la spéculation immobilière. En 2004, l'endettement des ménages danois par habitant était le plus élevé d'Europe et représentait le triple de l'endettement des ménages français. En 2009, l'endettement des ménages français représentait 81 % de leur revenu disponible contre 260 % au Danemark. Par ailleurs, la chute de 20 % des prix de l'immobilier, avec la crise, a entraîné des perturbations bancaires. Le système bancaire danois est donc en crise. C'est un système très hétérogène avec nombre de petits établissements à vocation surtout locale (souvent agricole) et des grandes banques à vocation internationale (Danske Bank) qui ont largement spéculé notamment avec l'Irlande. Certaines ont fait faillite ou ont vu leur activité reprise par un organisme de « défaisance » (Finansiel Stabilitet A/S). L'État est devenu actionnaire dans 64 petites banques pour les sauver de la faillite. La garantie totale de l'État a été accordée aux dépôts au moment de la crise, puis a été plafonnée et a ensuite été en partie mise à la charge des banques. Beaucoup d'incertitudes sont liées au fort endettement du secteur agricole dont l'endettement a atteint des sommets : 47 milliards € fin 2009, soit une augmentation de 250 % entre 2000 et 2008 dont 84% à taux variables. Le niveau d'investissement est faible. Avant tout prestataires de services et d'indemnités, les communes sont naturellement peu portées à investir (4,5 milliards € en 2009). Le système d'autorisation de l'emprunt et le manque de vision programmatique de l'État sont autant d'obstacles supplémentaires. La vision ne dépasse pas l'exercice annuel et, ces trois dernières années, le Gouvernement pratiquait une politique de « Stop and Go » plutôt contre-productive dont se plaignent les communes. L'obtention d'un secteur de la santé de classe mondiale se fait attendre..., d'où la question débattue d'une suppression des régions, le système de santé continuant à ne pas donner satisfaction. La gestion des « jobcenters » par les communes n'est pas encore optimale. Il y a de vifs débats sur le thème de l'activation des chômeurs.
Voila, chers collègues, ce panorama rapide de la situation danoise telle que je l'ai moi-même constatée.