Intervention de Gilles Briatta

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 4 mars 2009 : 1ère réunion
Diversité linguistique — Audition de M. Gilles Briatta secrétaire général aux affaires européennes

Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes :

a souligné, en préambule, l'extrême sensibilité politique de la question des langues dans l'Union européenne. En témoignent le principe d'égalité entre les langues officielles de la Communauté posé sans ambiguïté par le règlement n° 1/1958 du 15 avril 1958 portant fixation du régime linguistique de l'Union européenne, ou encore la consécration du respect de la « diversité culturelle, religieuse et linguistique » comme principe essentiel dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Il s'est attaché, ensuite, à dresser un bilan de la pratique du multilinguisme, tant à l'écrit qu'à l'oral, dans le fonctionnement des différentes institutions communautaires.

En ce qui concerne les pratiques linguistiques à l'écrit, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a rappelé qu'à la Commission européenne tout document juridiquement contraignant est impérativement traduit dans les vingt-trois langues officielles de l'Union. Ce principe vaut pour tout document adopté par le collège des commissaires.

Néanmoins, s'agissant des documents intermédiaires, la Commission fonctionne selon un système de trois langues de travail (anglais, français et allemand) dans lesquelles sont traduits tous les documents préparatoires soumis au collège. Cette pratique continuant d'être fortement contestée par certains États membres tels que l'Espagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas ou la Pologne, la Commission se montre réticente à généraliser l'usage de ces trois langues de travail.

En outre, les documents provisoires faisant l'objet de négociations entre les services de la Commission sont très majoritairement produits en anglais pour des raisons essentiellement pratiques tenant au nombre croissant de responsables hiérarchiques maîtrisant mieux l'anglais que le français, en particulier depuis l'élargissement de 1995 et avec une situation aggravée avec l'arrivée de dix puis douze nouveaux Etats membres. En effet, l'anglais est de rigueur dès lors qu'un document est destiné à un directeur général de la Commission ou à un commissaire non francophone.

Se pose ainsi l'enjeu fondamental de la formation au français des fonctionnaires et responsables européens. À cet égard, l'action conjointe de la France et de l'Allemagne en faveur de l'introduction de l'exigence de maîtrise d'une deuxième langue étrangère pour l'accès aux postes de responsabilité a constitué une avancée majeure.

Par ailleurs, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a reconnu que la Commission européenne n'était pas exempte d'un certain nombre de mauvaises habitudes de fonctionnement en matière de respect de la diversité linguistique européenne, par exemple au niveau de sa direction générale de l'élargissement. Si les documents stratégiques relatifs à l'élargissement sont naturellement traduits dans toutes les langues officielles, il est regrettable, en revanche, que les négociations d'adhésion se déroulent presque exclusivement en anglais. Même si l'on peut comprendre que l'usage d'une seule langue de négociation soit souvent inévitable et que le recours très majoritaire à l'anglais dans ce domaine s'explique par le fait que la plupart des fonctionnaires des nouveaux États membres avaient une meilleure connaissance de cette langue, le recours systématique à l'anglais ne se justifie pas. Il était incompréhensible, notamment, lors de la négociation d'adhésion de la Roumanie.

Le retard pris dans la traduction de certains documents préparatoires comme les avant-projets budgétaires ou le document consacré aux agences communautaires visé dans la proposition de résolution européenne, constitue une fâcheuse tendance qui pénalise les parlements nationaux dans l'exercice effectif de leur mission de contrôle des affaires européennes.

Les entorses au multilinguisme institutionnel concernent également la publication par la Commission d'appels d'offre dans la seule langue anglaise, qui vont même jusqu'à requérir une réponse dans cette langue. Face à ces pratiques inacceptables, la vigilance tant des pouvoirs publics français que des nombreuses associations de défense du plurilinguisme est indispensable.

a indiqué que la situation du multilinguisme à l'écrit était comparable au Conseil. La place du français y dépend en grande partie de la langue de travail choisie par la présidence.

Les documents relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune et aux questions de défense, dits documents « COREU-PESC », et les simples déclarations européennes dans ces matières obéissent à un régime bilingue dérogatoire anglais/français ; en revanche, chaque décision juridique adoptée par le Conseil, et notamment ses conclusions, font l'objet d'une traduction systématique dans toutes les langues officielles.

L'enjeu du respect du multilinguisme porte principalement sur les documents préparatoires transmis par la présidence et le secrétariat général du Conseil, qui servent de base de travail aux différents groupes de travail. Ces documents sont très majoritairement produits en anglais, mais le français est, par ailleurs, clairement la seconde langue qui compte.

a relevé que, dans la pratique, un mélange des deux langues, anglais et français, était envisageable comme l'ont démontré très récemment les négociations sur le paquet énergie-climat : à partir d'un texte de base préparé en anglais sous présidence slovène a pu être dégagé un compromis final mêlant parfois anglais et français à l'issue de négociations menées sous présidence française.

En ce qui concerne le Parlement européen, tous les documents utilisés en session plénière sont traduits dans les vingt-trois langues officielles. Cependant, une approche plus pragmatique est privilégiée dans le cas des réunions préparatoires, notamment les réunions de commissions et de groupes politiques, en se fondant sur des besoins de traduction communiqués à l'avance. Le fonctionnement multilingue original du Parlement européen capte jusqu'à 33 % du budget de l'institution.

En ce qui concerne les pratiques linguistiques à l'oral, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a indiqué que les réunions de travail de la Commission européenne se déroulaient très majoritairement en anglais, pour les mêmes raisons hiérarchiques évoquées précédemment, à l'exception des réunions du collège des commissaires qui, elles, font l'objet d'un recours à l'interprétation dans les trois langues de travail de la Commission. La présence d'interlocuteurs non francophones au sein des réunions de travail pénalise très fortement l'usage du français, alors même que la connaissance passive de notre langue reste assez bonne chez beaucoup d'agents publics communautaires.

Au Conseil, les réunions ministérielles bénéficient d'un système d'interprétation intégrale qui s'appuie sur le travail remarquable du Service commun interprétation-conférences (SCIC). Le SCIC doit à tout moment être en mesure d'interpréter les négociations susceptibles d'avoir des effets juridiques pour l'Union européenne. Le passage de onze à vingt-trois langues officielles et l'impossibilité technique d'assurer certaines combinaisons linguistiques bilatérales ont conduit à l'utilisation d'interprètes extérieurs au SCIC et au recours à plusieurs langues pivots, entraînant ainsi un risque de déperdition de l'information.

Le Comité des représentants permanents des États membres auprès de l'Union européenne (COREPER) obéit à un régime linguistique original, fondé sur trois langues de travail (anglais, français et allemand), en vertu d'un usage consacré par un arrangement agréé en décembre 2003.

Enfin, en ce qui concerne les réunions des groupes de travail du Conseil, celles portant sur des sujets techniques font en général l'objet d'une interprétation intégrale alors que les autres fonctionnent selon un système d'interprétation à la demande.

a insisté sur le fait que nombreux sont les délégués des États membres maîtrisant le français mais réticents à s'exprimer dans cette langue car ils ont parfois l'impression que les Français refusent à Bruxelles de s'intéresser à toute autre langue que le français. Il est néanmoins désormais reconnu que la France s'investit beaucoup en faveur de la diversité linguistique au bénéfice de toutes les langues officielles dans le fonctionnement des institutions de l'Union européenne.

Il a indiqué qu'il reviendrait à la présidence espagnole du Conseil au premier semestre 2010 de se pencher sur la révision du régime linguistique des enceintes préparatoires du Conseil.

S'agissant du régime linguistique en vigueur à la Cour de justice des Communautés européennes, le principe d'égalité entre les langues officielles est rigoureusement appliqué dès lors que la langue de procédure est déterminée par la langue du plaignant. En revanche, la Cour nécessitant une langue commune pour délibérer, cette langue est traditionnellement, mais non statutairement, le français.

Enfin, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a rappelé que c'est essentiellement depuis l'élargissement intervenu en 1995 que le français a commencé à accuser un recul significatif dans le fonctionnement des institutions communautaires. À la suite de cet élargissement, l'anglais s'est rapidement imposé comme le plus petit dénominateur linguistique commun et ses positions n'ont eu de cesse de se renforcer à la suite de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale.

Il convient, néanmoins, de ne pas noircir excessivement le tableau, en gardant à l'esprit que le français demeure la seule langue, certes loin derrière l'anglais, à constituer une langue véhiculaire au sein du Conseil. Il importe d'investir massivement dans l'offre de formation au français en direction des fonctionnaires des différents États membres et des institutions. La France le fait déjà beaucoup en abondant, plus que ses partenaires européens francophones, le plan pluriannuel pour le français dans les institutions européennes que coordonne l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), plan qui a été un très grand succès. Mais il serait souhaitable de renforcer notre coopération bilatérale en augmentant fortement notre offre linguistique. D'autres stratégies peuvent également être mises en place : l'accord de coopération administrative que le SGAE va signer avec la Roumanie en est un exemple. Par ailleurs il faut être conscient que, au-delà de la formation linguistique, la France doit être attractive sur le fond. Rien ne remplacera en effet l'attractivité et l'influence de la politique européenne de la France comme motivation pour l'apprentissage et l'usage du français. Le succès indiscuté de la Présidence française de l'UE a été à cet égard un élément qui peut compter pour la suite.

Un large débat s'est ensuite engagé.

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