Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque — Réunion du 12 janvier 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Roselyne Bachelot-narquin ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale :

En ce début d'année, je vous adresse mes voeux les plus chaleureux. Que cette année soit l'occasion d'un dialogue fructueux entre nous !

Le Sénat a depuis longtemps pris la mesure de l'enjeu que représente la perte d'autonomie des personnes âgées. En témoigne la création de votre mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque -chaque mot de cet intitulé compte. Je salue la pertinence et la profondeur de vos travaux.

La dépendance, j'en ai moi aussi pleinement conscience, est un défi : un défi humain, un défi de société, un défi financier aussi, car elle est, par nature, un appel à l'autre auquel nous devons apporter une réponse aussi bien individuelle que collective. De fait, l'une ne nous épargne pas l'autre ! L'allongement de l'espérance de vie, dont nous devons nous réjouir, s'accompagne du spectre de l'accroissement du nombre des personnes âgées dépendantes et des maladies associées au grand âge. Dans son rapport d'étape, M. Vasselle rappelait d'ailleurs que, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, les plus de soixante-quinze ans doubleront quasiment d'ici 2050 pour représenter 15,6 % de la population française, contre 8 % aujourd'hui. Nous avons donc, a affirmé le Président de la République, un devoir d'anticipation. Pour autant, la dépendance est aussi un défi pour aujourd'hui. Chacun sait les bouleversements affectifs et les difficultés matérielles et pratiques qu'entraîne la dépendance. Les problèmes sont également financiers. Le reste à charge peut être important pour les familles quand le tarif moyen en établissement est de 1 800 euros par mois contre une pension de retraite mensuelle de 1 400 euros par mois et de 800 euros pour les femmes, qui sont les trois quarts des résidents. Les difficultés sont, enfin, psychologiques : il faut, en quelque sorte, devenir le parent de ses parents. Plus que le reste à charge, ce sujet est d'ailleurs la première préoccupation des Français lorsqu'on les interroge sur la dépendance.

Autre question bien connue, les charges financières de plus en plus lourdes qu'assument les départements, et les inégalités entre ces derniers au détriment des zones rurales. La Creuse, exemple le plus frappant, cumule le taux le plus élevé de personnes âgées de plus de 75 ans - 15 %, contre 9 % en moyenne - et le plus faible taux de personnes payant l'impôt sur le revenu - 43 %, contre 53 % en moyenne -, sans parler du facteur géographique. Dans les régions où l'habitat est disséminé, il est plus difficile de bâtir un système de prise en charge.

Face à ces difficultés, quelle place pour les personnes âgées dans notre société ? Quelle offre de soins et de structures bâtir ? Doit-on privilégier la solidarité ou la prévoyance ? En un mot, quel modèle de société promouvoir ? Autant de questions qui appellent une solution globale. Pour y parvenir, le Président de la République m'a chargée de lancer un grand débat national. Mais, dans cette réflexion, nous ne partons pas de rien. Tout d'abord, notre pays ne consacre pas moins de 22 milliards d'euros à la dépendance des personnes âgées, dont 17 milliards par l'Etat et l'assurance maladie ; l'Apa bénéficie à 1,2 million de personnes sans parler de la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ensuite, nous pouvons nous appuyer sur les rapports. Le vôtre formule des propositions étayées, astucieuses et innovantes, parmi lesquelles le relèvement ciblé des plafonds d'aide pour les personnes isolées et les patients atteints de maladies neurodégénératives, ou encore l'établissement d'une échelle dégressive de versement de l'Apa en établissement. Le débat national nous dira si elles seront retenues. En tout cas, elles rejoignent les priorités du Gouvernement, entre autres, l'attachement au libre choix et à la réduction des restes à charge.

Depuis, et en partie grâce à votre rapport, nous avons connu des évolutions importantes : la convergence tarifaire pour une dépense plus efficiente dans les Ehpad ; la reconversion de lits de court séjour en lits d'Ehpad ; et, avec la loi HPST, la création des agences régionales de santé (les ARS), dont les directeurs généraux assument désormais la responsabilité de la planification en matière sociale et médico-sociale, et l'institution d'un mécanisme de fongibilité asymétrique. Malgré la crise, les moyens consacrés au secteur médico-social n'ont cessé de croître : 6,3 %, dont 8,3 % pour l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) personnes âgées en 2009 ; 5,8 %, dont 10,9 % pour l'Ondam personnes âgées en 2010 ; et 3,8 %, dont 4,4 % pour l'Ondam personnes âgées en 2011. En loi de finances rectificative, nous avons créé un fonds d'urgence de 150 millions d'euros pour aider les départements en difficulté en attendant la réforme. Depuis 2006, 1,4 milliard d'euros ont été alloués aux établissements médico-sociaux dans le cadre du plan d'aide à l'investissement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), dont 480 millions en 2009 et 2010. Ces moyens ont permis de contenir les restes à charge des personnes hébergées. L'effort sera poursuivi l'an prochain avec 9 millions d'euros, conformément à l'amendement de Mme Desmarescaux en loi de financement.

Cet effort nous autorise à aborder sereinement le débat. Comment celui-ci se déroulera-t-il ? J'ai déjà installé quatre groupes de travail thématiques, qui associeront élus nationaux et locaux, partenaires sociaux, associations, professionnels, médecins ou usagers. J'ai demandé au Président Larcher que soient désignés deux sénateurs par groupe politique, soit huit au total. Huit députés participeront également à ces groupes. Le premier, « Société et vieillissement », présidé par Annick Morel, devra apprécier l'état de l'opinion sur la dépendance et le regard porté sur le vieillissement. Le deuxième, « Enjeux démographiques et financiers », sous l'égide de Jean-Michel Charpin, évaluera la réalité et l'ampleur du phénomène de la dépendance et en estimera le coût macro-économique. Le but est, en effet, de bâtir un modèle pour les trente années à venir, même si des solutions d'urgence s'imposent. Le troisième groupe, « Accueil et accompagnement des personnes âgées », sous la coordination d'Evelyne Ratte, devra repenser la cohérence et l'accessibilité de l'offre de services, en établissements et à domicile, en fonction de l'évolution des besoins des personnes dépendantes. Enfin, le dernier groupe, présidé par Bertrand Fragonard, intitulé « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées », consacrera ses travaux à la gouvernance ; question qui, je le regrette, a le plus agité les esprits. Il établira un état des lieux de la prise en charge de la dépendance avant de proposer des évolutions possibles de la répartition de la charge financière. Je compte sur le Sénat pour être force de proposition. Cette réforme ne se fera pas sans vous.

Parallèlement, préfets de région et directeurs généraux des ARS organiseront des débats à la suite desquels se tiendront quatre colloques régionaux ou interrégionaux thématiques, précédés de la mise en place de groupes de parole de citoyens sur le modèle que nous avions adopté pour la bioéthique. Attachée à la concertation, je tiens à élargir la discussion au plus grand nombre. Un site Internet dédié au débat national, en cours de création, recueillera les contributions citoyennes. Enfin, signe de la mobilisation du Gouvernement et de toutes les administrations, un comité interministériel sur la dépendance des personnes âgées, placé sous l'autorité du Premier ministre, a été créé par décret le 30 décembre dernier.

A l'orée de ce débat, il me sera difficile de dire quelle sera la piste retenue demain.

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