J'ai aujourd'hui l'honneur d'être le co-rapporteur pour avis de la mission « Politique des territoires » et c'est évidemment pour moi une première. Mon analyse débutera par un questionnement : comment, pour reprendre un terme entendu lors des auditions, « l'errance administrative » subie par l'aménagement du territoire au cours des dernières années pourrait-elle ne pas nuire à l'efficacité des politiques menées ? Au gré de la formation des gouvernements successifs depuis 15 ans, cette politique s'est trouvée rattachée à une grande diversité de ministères. Certaines options pouvaient se défendre, comme le rattachement au ministère de l'Intérieur ou à celui en charge du Développement durable, d'autres ont été plus surprenantes, comme par exemple le rattachement au ministère de la Fonction publique. La situation actuelle ne me paraît pas satisfaisante : la création en 2009 d'un ministère de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, qui s'est trouvé fondu en 2010 dans un grand ministère de l'Agriculture, aboutit à tirer de fait la politique des territoires dans l'orbite principal de la ruralité. Il ne s'agit pas de nier qu'il y a un enjeu spécifique d'aménagement du territoire en zone rurale et, sur ce point, un certain succès des pôles d'excellence rurale (PER) est incontestable, mais il en résulte, me semble-t-il, un affaiblissement de la conduite politique et de la vision globale de l'aménagement du territoire. De fait, il apparaît bien qu'au vu de l'importance des enjeux agricoles en période de réforme de la PAC, l'aménagement du territoire a été considéré comme un enjeu plus secondaire, ce qui a d'ailleurs été illustré par les propos du ministre lors de son audition devant notre commission. Ayant interrogé M. Bruno Le Maire sur la pertinence du rattachement de l'aménagement du territoire à l'agriculture. Il m'a répondu qu'il ne verrait que des avantages à ce qu'un « puissant secrétaire d'État » soit placé à ses côtés pour s'en occuper, car la charge de travail afférente est lourde. Cette réponse spontanée se passe de commentaires.
Cette « ruralisation » de la politique des territoires ne me paraît pas répondre à la totalité des enjeux actuels. Nous sommes dans une nouvelle problématique de dialogue entre quatre types d'espaces : l'espace urbain, le périurbain influencé directement par le premier, les villes moyennes au rôle structurant majeur et l'espace rural proprement dit. Sans politique d'aménagement du territoire volontariste, nous assistons impuissants à l'étalement urbain, à la consommation de ressources foncières, à la dévitalisation des pôles urbains secondaires, et à un déséquilibre général du territoire avec d'un côté une grande région d'Île-de-France et des régions littorales en développement, notamment sur la façade atlantique, mais de l'autre côté, toujours autant de déserts français et de territoires en souffrance. Il faudrait aujourd'hui davantage de dialogues entre territoires, de vision partagée, et probablement définir de nouveaux outils de planification. C'est un enjeu majeur en période de crise. Or, à travers cette politique des territoires, l'État ne l'affirme ni politiquement, ni budgétairement.
Initialement, on pouvait observer dans le projet de loi de finances pour 2012 une certaine stabilité des crédits de la mission « Politique des territoires » : moins en autorisations d'engagement, qui diminuent de 4,6 % pour s'établir à 334 millions d'euros, mais plus en crédits de paiement, qui augmentent de 5,9 % pour atteindre 340,8 millions d'euros, ce qui correspondait à un rééquilibrage par rapport aux années précédentes. Mais un amendement adopté par l'Assemblée nationale a réduit les crédits de la mission de 3 millions, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, cette réduction s'imputant sur les moyens consacrés aux pôles de compétitivité et aux grappes d'entreprises. Il paraît pour le moins discutable, en période de crise, d'affaiblir d'abord notre capacité de réponse industrielle pour demain.
Cette absence d'ambition se confirme à propos des moyens de fonctionnement de la DATAR, dont je tiens à souligner l'importance en tant qu'administration de réflexion et de coordination. Il s'agit d'un organisme stratégique, et ce n'est donc pas là où l'on devrait prioritairement chercher à faire des économies. Or, la DATAR subit une diminution de 5 emplois pour 2012, qui s'ajoute à celle de 7 emplois cette année. Ses effectifs se trouvent ainsi ramenés à 136 équivalents temps plein, soit une baisse d'effectifs de 8 % en 2 ans. Permettez-moi de qualifier cette évolution de non-sens stratégique. Avec des moyens en diminution, la DATAR s'efforce néanmoins d'assumer son rôle de réflexion. C'est ainsi qu'elle a engagé depuis un an une mission de prospective baptisée « territoires 2040 », qui devrait déboucher en 2012. La première étape de cette démarche a consisté à problématiser sept systèmes spatiaux caractérisant la France. Nous sommes actuellement dans la deuxième phase, qui consiste à confronter les hypothèses dégagées avec les acteurs de terrain, sous l'égide des secrétaires généraux aux affaires régionales. Je serai particulièrement attentif aux propositions qui seront avancées dans le rapport final. Parmi les avancées conceptuelles justement imaginées par la DATAR, notons la mise en place des pôles métropolitains. Défendue par les associations d'élus et reprise par un amendement consensuel dans la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, cette notion de pôle métropolitain commence à trouver des concrétisations sur le terrain. Par exemple, la mise en réseau d'Angers, Brest, Nantes et Rennes au sein du pôle métropolitain Loire-Bretagne vient d'être votée dans les collectivités concernées. Je m'inquiète donc d'un certain affaiblissement de l'action de la DATAR au cours de l'année écoulée. Ainsi, aucun comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), dont la DATAR assure le secrétariat, n'a été réuni depuis celui du 11 mai 2010. De même, je regrette qu'aucun lien organique n'ait été établi entre la DATAR et le Commissariat général aux investissements, directement rattaché au Premier ministre.
L'aménagement du territoire fait l'objet d'un document de politique transversale, qui rappelle que les crédits mobilisés vont bien au-delà de ceux de la seule mission « Politique des territoires ». En tout, c'est un montant de plus de 5 milliards d'euros en autorisations d'engagement qui est inscrit pour 2012 dans 34 programmes relevant de 16 missions budgétaires différentes. Les blocs les plus importants, en volumes de crédits, sont ceux relatifs à l'agriculture, à l'accompagnement des mutations économiques et au développement de l'emploi, à la formation supérieure et à la recherche universitaire, aux conditions de vie et à l'emploi outre-mer, aux concours financiers de l'État aux communes, et à la politique de la ville. La tendance générale est une forte baisse : le total des autorisations d'engagement est passé de 5,870 milliards d'euros en 2010 à 5,373 milliards d'euros pour 2012, soit une diminution de 8,5 % en trois ans. J'ai essayé d'identifier les baisses de crédits les plus marquées, même s'il n'était pas possible de reprendre toutes les lignes dans le détail. Je regrette, notamment, que le document de politique transversale, qui est censé nous éclairer, ne donne en fait guère d'explications aux baisses, parfois très sensibles, enregistrées pour certaines lignes. Elle est par exemple de l'ordre de 15 % pour le développement des entreprises et de l'emploi, et de 30 % pour les formations supérieures et la recherche universitaire. J'attire aussi l'attention, même si les volumes financiers sont plus faibles, sur l'effondrement des crédits alloués à la culture. Pour prendre un seul exemple, l'action 4 du programme 224, qui correspond à l'aide au développement culturel des territoires les moins favorisés (bibliothèque, résidences d'artistes), voit ses crédits s'effondrer de 50 % en autorisations d'engagement et de 74 % en crédits de paiement. Parallèlement, les crédits consacrés à la culture dans les contrats de programme État - régions CPER sont aussi en chute libre. Quand on connaît l'enjeu que représente la culture pour la cohésion sociale et l'attractivité des territoires les moins développés ou en mutation, il y a de quoi être inquiets, et nous attendons sur ce point les explications de la part du ministère de la Culture qui ne se trouvent pas dans le document de politique transversale.
Je souhaite aussi souligner la faiblesse de la réflexion sur les leviers fiscaux de l'aménagement du territoire, alors que nous devrions examiner les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle. Nous pouvons penser, notamment, que l'une des conséquences de cette réforme sera de pénaliser les territoires en situation de rattrapage économique. Alors que certains d'entre eux, après des années 80 et 90 très difficiles, engrangeaient des recettes croissantes de taxe professionnelle, ils se verront désormais figés au niveau atteint en 2009, et ne pourront donc poursuivre leur rattrapage. Il est regrettable que la DATAR n'ait engagé aucun programme d'étude pour mesurer les conséquences de cette réforme, qui n'est pas d'intérêt secondaire.
Au sein de la mission « Politique des territoires », je me suis attaché à analyser plus particulièrement le programme 162, consacré aux « interventions territoriales de l'État », ou PITE. Le PITE a été créé à titre expérimental en 2006, pour regrouper un certain nombre d'actions qui présentaient un caractère interministériel marqué et avaient une dimension territoriale. Par exception aux principes de la LOLF, les règles de gestion du PITE sont fondées sur la fongibilité des crédits entre ses différentes composantes. C'est un programme qui présente donc une certaine souplesse, liée à un volontarisme affiché de l'État pour des actions ancrées sur des territoires spécifiques, avec souvent des enjeux environnementaux importants. Avant de détailler ces actions, je voudrais souligner, comme l'a aussi fait la rapporteure spéciale de la commission des Finances, Frédérique Espagnac, la faiblesse des indicateurs choisis, qui sont conçus davantage pour mesurer l'engagement des crédits que pour vérifier l'efficacité de l'action engagée. Il serait souhaitable et logique de déterminer d'autres critères d'évaluation à l'avenir, portant par exemple sur la mesure des améliorations environnementales.
L'action la plus importante du PITE, soit 28,6 millions d'euros en autorisations d'engagement, est constituée par le Programme Exceptionnel d'Investissement pour la Corse. D'un montant total d'un milliard d'euros sur la période 2007-2013, le PEI, qui est aussi abondé par d'autres crédits d'État, avance au rythme prévu, avec un taux de programmation de 46 % au 1er juillet 2011, et les échanges que j'ai pu avoir avec mes interlocuteurs corses comme avec les services du ministère de l'Intérieur confirment un assez bon déroulement de ce programme. Après avoir d'abord porté surtout sur les infrastructures de transport, l'effort est aujourd'hui accentué sur la distribution de l'eau et l'assainissement. Notons cependant que les petites collectivités territoriales de Corse ont du mal à fournir leur quote-part du financement des projets et qu'il y aura sans nul doute une réflexion complémentaire à mener quant à leurs ressources et à leurs moyens d'ingénierie.
La deuxième action du PITE est la reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne, à laquelle sont consacrés 10,7 millions d'euros. D'un point de vue formel, les objectifs ont été atteints pour les 9 points de captage hors normes au regard de la concentration en nitrates, qui avaient entraîné une condamnation de la France par la Commission européenne : 5 d'entre eux ont été mis aux normes et les 4 autres fermés. Mais ces résultats immédiats ont été atteints principalement par une reconfiguration des réseaux de distribution et non par la reconquête de la qualité de l'eau. L'action a donc d'abord consisté à faire disparaître les atteintes environnementales les plus visibles. Maintenant étendu au plan de lutte contre les algues vertes, le PITE finance notamment les frais de ramassage des algues, pour un montant atteignant 700 000 euros pour 2012, correspondant à la part de 50 % de l'État, les 50 % restant étant à la charge des communes. Ce ramassage se heurte à des difficultés de stockage des algues, comme cela a été le cas à Fouesnant il y a quelques jours. Le plan de reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne repose sur la mise en place de bassins d'action, définis par une contractualisation avec les acteurs. Deux projets ont été signés en 2011 pour la baie de Lannion, à la fin du mois de juin, et la baie de Saint-Brieuc, au mois d'octobre. Les contrats concernant les six autres baies devraient être signés en 2012. En tant que rapporteur pour avis, je m'interroge sur les indicateurs de performance qui seront demain adossés à cette action : taux de nitrates et de phosphore dans l'eau, quantités d'algues vertes ramassées... Nous devrons être vigilants quant à l'évaluation d'un plan mobilisant de la part de l'État, des collectivités territoriales, des agences de l'eau et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) un montant total de 134 millions d'euros sur cinq ans.
La troisième action du PITE est constituée par le plan de sauvegarde du Marais Poitevin, auquel sont consacrés 4,8 millions d'euros. Cette politique engagée en 2002 avec un plan décennal pour le Marais Poitevin qui avait pour objet d'éviter une nouvelle condamnation de la France par la Commission européenne, à la suite de la condamnation intervenue en 1999 pour manquement aux directives Oiseaux et Natura 2000, est désormais institutionnalisée, avec la création de l'établissement public pour la gestion de l'eau et de la biodiversité du Marais Poitevin, créé par la loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II et constitué par décret le 29 juillet dernier. Il est doté de ressources propres par l'article 51 du projet de loi de finances. A terme, l'établissement public aura évidemment vocation à se substituer au PITE dans la conduite financière des opérations. Pour l'heure, j'ai toutefois le regret de constater que cette action du PITE, par la priorité qu'elle donne notamment à la construction de nouvelles « retenues de substitution », ne soutient guère l'opportunité d'une reconversion de l'agriculture vers des pratiques différentes : 1,6 million d'euros sont prévus en autorisations d'engagement pour les bassins, contre seulement 200 000 euros pour l'accompagnement des exploitants souhaitant limiter leurs prélèvements en eau. Autre exemple, la très faible progression de l'indicateur relatif à la « surface des prairies dans la zone du Marais Poitevin », qui passe de 35 250 ha en 2010 à 36 100 ha en 2012, montre les limites de l'action développée aujourd'hui.
La quatrième action du PITE est constituée par la mise en oeuvre du plan chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, à laquelle sont consacrés 2,9 millions d'euros. Cette politique se trouve encore dans la première phase de constitution de la connaissance scientifique sur cette grave pollution des sols et des eaux par un pesticide très persistant. Elle a été étendue récemment à la surveillance des ressources halieutiques, également contaminées. Les chiffres fournis dans l'évaluation 2011 sont à ce titre très inquiétants avec des taux de non-conformité des analyses effectuées de près de 8 % pour les denrées animales d'origine terrestre et de près de 25 % pour la production halieutique Nous sommes donc en présence d'un enjeu central de santé publique, qui nécessite un suivi étroit de la contamination des populations, et un suivi prioritaire des travailleurs agricoles qui ont été exposés au chlordécone. La réponse à apporter à des populations pauvres se nourrissant dans leurs propres jardins familiaux, aujourd'hui contaminés, est un enjeu social très important, qui nécessitera l'engagement de l'État. Les associations locales font aujourd'hui de nombreuses prospectives de phytoextraction des sols pollués.
Enfin, je voudrais pour conclure évoquer la réforme prochaine de la politique européenne de cohésion. La Commission européenne a proposé de lui consacrer 336 milliards d'euros pour la période 2014-2020, soit 36 % du budget de l'Union européenne. Dans ses propositions législatives présentées le 5 octobre dernier, la Commission confirme sa proposition de créer une catégorie de régions en transition, dont le PIB par habitant serait compris entre 75 % et 90 % de la moyenne communautaire. Cette proposition est a priori intéressante pour la France, dont 9 régions seraient concernées. Mais l'accueil qui lui est fait par le Gouvernement français est mitigé car, tout en étant d'abord soucieux de contenir la progression du budget européen, il privilégie le maintien du budget de la PAC. Il me semble que l'on ne peut pas se satisfaire d'une approche aussi défensive. Nous analyserons avec attention les réponses de l'État aux nouvelles propositions formulées par la Commission européenne. Dans le contexte actuel, il est important de se demander en quoi la politique de cohésion peut participer à la résolution de la crise économique européenne. Les interventions des fonds structurels doivent être utilisées au service de l'efficience et de la modernisation des services publics de certains États, dont on voit à quel point leur faiblesse d'organisation peut avoir de très graves conséquences, par exemple dans la collecte de l'impôt. Il ne s'agit pas de s'inscrire dans des logiques purement punitives et de conditionnalités d'octroi des aides européennes, mais bien d'avoir une stratégie forte d'utilisation des fonds structurels pour participer à la résolution de la crise actuelle. C'est un enjeu majeur, et le fait que le Gouvernement ait donné la priorité à la défense du budget de la PAC n'est pas satisfaisant. Nous retrouvons justement, sur ce point, la difficulté découlant du fait d'adosser l'aménagement du territoire à l'agriculture, évoquée au début de mon propos.
Afin de marquer notre désaccord avec ce manque d'ambition et de cohérence du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire, je vous propose, chers collègues, d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Politique des territoires ».