Intervention de Edmond Hervé

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
Le bilan de la décentralisation — Examen du rapport

Photo de Edmond HervéEdmond Hervé, rapporteur :

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux procéder à des remerciements :

- à vous tout d'abord, monsieur le président, qui, non seulement, avez confirmé notre entreprise, mais l'avez favorisée y compris en nous recevant dans votre département et à Jonzac ;

- à tous nos collègues qui nous ont accompagnés et reçus, notamment Yves Détraigne et Antoine Lefèvre ici présents. Nous nous sommes rendus dans dix-sept départements ;

- à toutes les personnes auditionnées, qui ont témoigné de leur compétence et de leur disponibilité.

La présentation de notre rapport se fera en deux parties. Tout d'abord, nous ferons une synthèse du rapport proprement dit, puis, nous vous résumerons nos vingt et une propositions.

Le rapport proprement dit se divise en deux parties : la première est intitulée « la richesse des textes » et la seconde est intitulée « les évidences ».

J'ai choisi, en introduction, de montrer que la décentralisation n'était pas née au début des années 80, mais qu'il s'agit d'un long processus puisque, déjà, en 1789 un débat initié par Mirabeau avait abouti à un équilibre entre le rationalisme départementaliste et le respect des communes. C'est un élément majeur de notre culture et de notre histoire, sans oublier les avancées successives bien avant les lois Defferre : sous la IIIe République, avec la grande loi de 1884 portant charte des communes ; sous la IVe République, en particulier avec la Constitution de 1946 qui a consacré en son sein le principe de libre administration des collectivités locales ; sous la Ve République, qui a notamment vu la création des districts urbains et de la région en tant qu'établissement public, et précisé que l'échec du référendum sur la régionalisation, décidé par général de Gaulle en 1969, n'était pas vraiment dû à la décentralisation.

La première partie de mon rapport est consacrée à la richesse des textes. Pour en effectuer l'analyse, j'ai choisi de m'en tenir aux principaux documents généraux, institutionnels intéressant la métropole de 1982 à 2010. Ces documents, ce sont les textes législatifs, les débats et les rapports divers susceptibles de les éclairer. Dans un souci d'objectivité, j'ai suivi un ordre chronologique. En conclusion de cette première partie, je propose différentes classifications :

- selon une première classification, nous pouvons distinguer une période fondatrice, dans la première moitié des années quatre-vingt, puis une période de consolidation et de stabilisation et, plus récemment, une période de rupture ou d'innovation ;

- on peut aussi distinguer une période pragmatique puis une période doctrinale ;

- une autre classification nous permet de distinguer une période où la décentralisation a mis l'accent sur les élus et les citoyens puis une période, les années 2003-2010, que je qualifierai de globalité et qui a notamment été marquée par la révision de la Constitution (ce qui correspond à une approche nationale) et les réformes de la taxe professionnelle et de décembre 2010 (dans le cadre desquelles l'approche des collectivités territoriales a été mise au service d'une approche nationale, d'ordre économique, liée en particulier à la maîtrise des déficits publics).

Nous tirons un certain nombre d'enseignements de l'examen de ces textes : tout d'abord, leur grande richesse ; ensuite, les limites du droit, car il ne suffit pas de décréter des règles pour qu'elles vivent ; enfin, les périodes marquantes et qui durent sont toujours celles qui s'identifient par l'équilibre, comme sous la période révolutionnaire ou encore lors de l'élaboration des lois Defferre.

Le thème de la seconde partie de ce rapport concerne « les évidences ». Nous en avons relevé sept principales, parmi lesquelles nous opérons une distinction entre les évidences négatives et les évidences positives :

- au nombre des évidences négatives, il y a d'abord un oubli qui me paraît important : la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales est trop souvent occultée. Il y a aussi des illusions : je pense à la notion de « blocs de compétences » ; je pense aussi à la constitutionnalisation de certains principes, car il ne suffit pas, par exemple, d'inscrire dans le marbre le principe d'autonomie financière pour que celui-ci soit effectif. Enfin, nous soulignons l'absence de réforme fiscale locale, souvent réclamée mais qui n'a en réalité jamais eu lieu ;

- au nombre des évidences positives, il y a la transformation du paysage territorial avec la coopération intercommunale ou la régionalisation. Il y a aussi les chances de transformations du département. J'ajouterai également la fantastique mutation de la fonction publique territoriale, riche en personnels de qualité et qui s'est dotée de solides dispositifs de formation. Enfin, je citerai les nombreuses contributions à la formation d'un accord qui dépasse les clivages politiques, traduites dans différents rapports (Mauroy, Mercier, Belot, Balladur...) issus de différentes institutions (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique, social et environnemental...).

J'en viens à présent aux propositions du rapport :

1. Nous nous sommes dotés de principes constitutionnels : principe de décentralisation (art. 1er), principe de libre administration (art. 34), principe d'existence (art. 72), principe d'autonomie financière (art. 72-2), principe de non-tutelle (art. 72 alinéa 5), principe d'expérimentation (art. 72 alinéa 4), principe de subsidiarité (art. 72 alinéa 2), droit au pouvoir réglementaire (art. 72 alinéa 3)... Tant qu'ils demeurent, nous devons les rappeler, les faire vivre, en nous y référant et en assurant leur contenu.

A cet égard, je voudrais souligner que nous sommes dans un État unitaire et non pas dans un État fédéral : le contenu de ces principes dépend de la loi. Vouloir par exemple inscrire les compétences de l'État ou des collectivités territoriales dans la Constitution n'est pas une solution adaptée à un État unitaire. D'ailleurs, l'observation pratique montre qu'il y a de moins en moins de différences entre ces deux types d'État.

2. Il conviendrait, dans le respect de la vie associative, de mettre en oeuvre l'article 53 de la loi Administration territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992 prévoyant la création d'un institut des collectivités territoriales et des services publics locaux.

La multiplication d'organisations représentant nos collectivités territoriales ne facilite pas l'expression de l'unité dans notre pays. Il en est de même au niveau de l'État : les acteurs n'ont pas toujours les mêmes références lorsqu'ils s'intéressent aux collectivités territoriales ; par exemple, l'Observatoire des Finances locales et la Cour des comptes ne donnent pas les mêmes chiffres sur les montants des investissements des collectivités locales.

Un Institut des collectivités territoriales permettrait de disposer de données uniformes. Cela participerait du souci de favoriser la modernisation et la cohérence de la décentralisation, le bon fonctionnement des services publics locaux, de la démocratie locale, et le dialogue des collectivités territoriales entre elles et avec l'État. C'est un besoin qui a souvent été exprimé tout au long de ces trente dernières années, notamment dans des rapports signés par Claude Martinand (janvier 1986), Michel Bernard (juillet 1988), Jean-Louis Langlais (avril 1989), Humbert Battist (juillet 1983) ou moi-même (octobre 1990). Il a été proposé de créer une « agence de la décentralisation » ou un « haut conseil des territoires »... Peu importe le titre, ce sont les fonctions qui comptent. Au service de tous et notamment des associations d'élus (très nombreuses) le travail de cette organisation devrait faciliter leur coopération avec l'État et permettre de rapprocher les points de vue, sans se substituer aux parlementaires.

3. Ensuite, il faut restaurer le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Nous nous référons sur ce point au rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume. De nombreuses instances existent : la conférence nationale des exécutifs, le comité des finances locales, la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), la conférence nationale des finances publiques, le conseil d'orientation des finances publiques...

Mais il convient de s'interroger sur le nombre et la compétence de ces commissions, comités et conférences. On peut par exemple se demander si la grande réforme de la taxe professionnelle à donné lieu au sein de la Conférence nationale des exécutifs à des discussions à la hauteur de l'enjeu.

Les contraintes budgétaires et financières obligent à un dialogue, à la concertation et à la contractualisation. Dans un souci d'efficacité et de coordination, on pourrait imaginer que ces commissions deviennent des instances spécialisées du Comité des Finances locales, comme le sont la CCEN et la CCEC. Cette institution pourrait ainsi « chapeauter » ces différentes commissions.

Au niveau local, la conférence des exécutifs régionaux et départementaux doit être obligatoire et effective.

4. Il faut affirmer la priorité de la relation contractuelle, dans le cadre de la loi, entre l'État et les collectivités territoriales d'une part, et entre les collectivités territoriales et leurs établissements d'autre part.

5. Le département, s'il veut demeurer, doit aussi se moderniser. Il doit ainsi devenir le « Sénat des communautés » en réunissant des élus émanant de circonscriptions communautaires, et en assumant une double mission de solidarité sociale et territoriale.

Au titre de cette dernière, il faut tirer les conséquences de la RGPP. Le département, en tant que collectivité territoriale, doit pouvoir mettre à disposition des communes et communautés qui le souhaitent une capacité d'expertise et de conseil en lien avec l'État, les collectivités décentralisées et leurs établissements, la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et les organismes privés compétents. En tout état de cause, il y a place au niveau départemental ou régional, pour un organisme « conseil-expert-service » auprès des collectivités et de leurs établissements. Il pourrait prendre la forme d'une « agence territoriale », mais d'autres formes sont tout à fait concevables.

6. Il est absolument nécessaire ensuite de reconnaître la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales et de leurs établissements. Il ne faut pas oublier que ces dernières années, la part des collectivités territoriales dans le PIB est passée de 8 % à 11 %. Celles-ci ont donc une capacité d'entraînement notamment en matière de transport, de logement, ou encore de maîtrise de l'énergie.

7. La libre administration des collectivités territoriales suppose également qu'une partie des ressources de celles-ci repose sur le respect du principe de l'autonomie fiscale. L'abandon de ce principe constituerait une rupture car, historiquement, toutes nos collectivités territoriales, depuis le Moyen Age, se sont constituées à partir de l'affirmation d'une liberté fiscale locale.

La justice fiscale commande en outre, et en priorité, la révision des valeurs cadastrales qui doit se faire à un niveau cohérent (celui qui est le plus souvent mentionné étant le territoire intercommunal).

La taxe d'habitation devrait également avoir une assiette incluant les revenus et retrouver une progressivité tenant compte de la capacité contributive des intéressés.

8. La région doit, pour sa part, retrouver une autonomie fiscale.

En tant qu'autorité organisatrice des transports, il serait logique qu'elle puisse percevoir une part du versement transport, le montant total de celui-ci étant encadré. Dans ce même souci d'autonomie fiscale, la région pourrait percevoir une part de la TVA, sous réserve d'euro-compatibilité de la mesure.

9. Le département doit, quant à lui, être en charge d'une mission de solidarité sociale, mais le financement des allocations de solidarité individuelle définies par la loi doit bien relever de l'impôt national (avec, cependant, un « ticket modérateur » à la charge du département).

10. La crise politique et la crise fiscale étant liées, il est ensuite proposé, tout en respectant le principe de la capacité contributive des personnes, de limiter au maximum les exonérations fiscales.

Le divorce citoyen-contribuable fait en effet courir des dangers à notre société et à la démocratie. Je suis d'ailleurs très inquiet de l'évolution de la citoyenneté, notamment de la progression de l'abstentionnisme en France. C'est pourquoi je suis d'avis que toutes les personnes s'acquittent, même symboliquement, d'un impôt.

11. Nous devons créer de véritables dispositifs de péréquation.

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