Intervention de Alain Milon

Commission mixte paritaire — Réunion du 15 juin 2011 : 1ère réunion
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo de Alain MilonAlain Milon, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

Mon propos introductif se bornera à vous faire part, en quelques mots, de notre position à l'issue de l'examen du projet de loi en deuxième lecture et de l'état d'esprit dans lequel nous avons abordé l'examen de ce texte au Sénat.

L'Assemblée nationale nous a transmis cinquante-six articles. Nous en avons adopté vingt et un conformes, supprimé deux, modifié dix-huit ; nous avons également rétabli les quinze articles de la proposition de loi « recherches sur la personne » dans la rédaction adoptée par le Sénat le 20 décembre dernier ; nous avons, enfin, adopté un nouvel article.

Quel bilan peut-on dresser, sur les points principaux, des travaux du Sénat ?

S'agissant tout d'abord du don d'organes, le Sénat a confirmé le fait que le don de cellules hématopoïétiques du sang devra être autorisé par un juge. Sur ce point nous avons suivi l'Assemblée nationale afin de garantir une meilleure protection des donneurs.

En revanche, sur le don de cellules hématopoïétiques du sang de cordon, le Sénat a rétabli le texte adopté en première lecture, sous réserve d'une modification rédactionnelle.

Sur le diagnostic prénatal (DPN), le Sénat a adopté un amendement, présenté par Anne-Marie Payet, qui précise que chaque femme enceinte reçoit, sur ces examens, une information non seulement claire et loyale mais également « adaptée à sa situation ».

Sur l'anonymat du don de gamètes, nous avons adopté un amendement de Marie-Thérèse Hermange afin de supprimer le renvoi à un décret pour la définition des modalités du contrôle de la Cnil sur les Cecos, considérant que ces dispositions peuvent s'appliquer directement sans nécessiter des mesures d'application particulières.

Sur l'assistance médicale à la procréation (AMP), le Sénat a confirmé l'impossibilité pour les majeurs n'ayant pas procréé de faire un don de gamètes et de se voir proposer, à cette occasion, leur autoconservation. Cet ajout de l'Assemblée nationale ouvre, selon nous, la voie à l'AMP de commodité, et ce alors même que le bénéfice attendu d'une telle mesure en termes de don est des plus incertains.

A l'inverse le Sénat a supprimé - hélas contre l'avis du rapporteur - la possibilité pour les cliniques privées de recueillir les dons de gamètes.

Le Sénat a confirmé sa position de première lecture selon laquelle la responsabilité que prend le législateur en autorisant une technique médicale doit être la plus encadrée possible. Il a donc rétabli son texte concernant la vitrification ovocytaire et la définition de l'AMP.

Sur l'application et l'évaluation de la loi, le Sénat a réinscrit une clause de révision de la loi au bout de cinq ans ; notre assemblée a même émis un vote à la quasi-unanimité sur ce point.

Nous avons également rétabli l'obligation de déclaration des liens d'intérêts des experts et membres du conseil d'orientation de l'agence de la biomédecine.

Enfin, s'agissant de la recherche sur l'embryon, le Sénat a adopté conforme le texte de l'Assemblée nationale.

Vous le savez, ce n'était ni la position du Sénat en première lecture, ni la position de la commission des affaires sociales, en première comme en deuxième lectures. Quelles étaient nos convictions ? Nous n'étions tout simplement pas d'accord avec l'idée selon laquelle, pour encadrer la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, il faudrait une interdiction de principe assortie de dérogations permanentes, en raison de la nécessité supposée d'un « interdit symbolique fort ».

Cette formule est celle du Conseil d'État, qui en a évoqué la possibilité pour mieux l'écarter. Et comme le Conseil d'État, l'Académie de médecine et l'Opecst, je pense, et avec moi de nombreux collègues, que c'est là préférer l'ambiguïté et la peur à la clarté et à la responsabilité.

Sur le plan juridique, l'interdiction de principe n'ajoute rien à la protection de l'embryon. C'est l'article 16 du code civil qui garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. Cette garantie ne réside pas, comme on le prétend parfois, dans l'interdiction de la recherche sur l'embryon mais dans la mise en place d'un ensemble de règles cumulatives, éthiques, scientifiques et procédurales, auxquelles doivent se conformer les chercheurs pour pouvoir pratiquer des recherches destinées à apporter des progrès médicaux majeurs. C'est l'encadrement spécifique de la recherche sur l'embryon, encadrement plus contraignant que pour n'importe quel autre type de recherche, qui garantit le respect de la vie, pas l'interdiction assortie de dérogations.

A cette question de droit s'ajoute une question de fond. On entend que notre société serait inquiète des recherches sur l'embryon et qu'il faudrait donc que celles-ci soient présentées comme exceptionnelles, dérogatoires. Pareille assertion aurait un sens si les dérogations prévues par le texte étaient limitées dans le temps, comme en 2004, ou restreintes à un objet spécifique. Mais telle n'était ni l'intention du Gouvernement, ni celle de l'Assemblée nationale. Or une interdiction de principe qui masque des dérogations larges et pérennes n'a d'autre fonction que d'induire nos concitoyens en erreur.

Ce que demandent les Français, dans tous les domaines, c'est la transparence des décisions publiques et la responsabilité de ceux qui les prennent. En adoptant une interdiction de principe, nous ne respectons ni l'une, ni l'autre. Plutôt que d'expliquer pourquoi les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires doivent pouvoir être envisagées par les scientifiques, plutôt que de faire comprendre l'intérêt de l'encadrement mis en place en 2004, nous éludons ce travail de pédagogie pour nous cacher derrière l'argument que ces recherches seraient exceptionnelles. Je ne pense pas que ce soit là assumer nos responsabilités de représentants de la Nation : je crains que cela ne revienne à faire peu de cas de l'intelligence des Français.

En cette matière, il faut soit interdire complètement, et je reconnais la logique de cette position même si je ne la partage pas, soit autoriser de manière encadrée. Interdire avec dérogation ne constitue pas un compromis. Cela revient à faire prévaloir l'exception sur la règle, ce qui n'est pas conforme aux principes qui sous-tendent notre démocratie.

Au total, sur ce texte, la commission des affaires sociales du Sénat a cherché à mettre en place un régime de clarté et de responsabilité. Il nous a paru essentiel que nos choix soient assumés et lisibles, comme le réclament, il me semble, nos concitoyens.

Je voterai probablement le texte issu des travaux de cette CMP mais, en tant que sénateur, je ne voterai pas en séance publique l'ensemble du projet de loi.

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