Intervention de Jean-Paul Delevoye

Mission commune d'information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux — Réunion du 1er juin 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Paul deleVoye ancien médiateur de la république président du conseil économique social et environnemental cese

Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) :

ancien Médiateur de la République, Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - Mon obsession est de voir comment restaurer l'acteur politique et l'acteur syndical pour accompagner le changement que la société française subit aujourd'hui.

Les événements que connaissent actuellement l'Espagne, la Grèce et les pays d'Afrique du Nord démontrent que, soit les sociétés sont accompagnées dans un changement souhaité et partagé, soit elles ne le sont pas et elles sont secouées par des spasmes émotionnels suicidaires pour leur avenir.

La problématique de la RGPP pose une question complexe : quelle doit être la régulation publique qui permette d'équilibrer une vision de court terme avec une vision de long terme ? Aujourd'hui, les décideurs politiques et économiques doivent faire face à des mécanismes financiers privilégiant la spéculation financière et non le financement des entreprises.

Nous sommes frappés par le constat suivant : les Français ne croient plus au destin collectif de la France mais croient en revanche à leur destin individuel. 33 % de nos concitoyens ont un rejet viscéral de l'administration, non pas parce qu'ils rejettent les fonctionnaires ou les services publics en général, mais parce qu'ils estiment que le modèle de l'ascenseur social n'a plus l'efficacité attendue. Les contraintes de services publics ne sont plus libératrices par rapport à un parcours dans lequel ils ne perçoivent plus leur avenir. C'est pourquoi la question de la régulation publique et de l'offre de services publics est majeure aujourd'hui.

Nous pilotons notre société d'aujourd'hui avec les outils d'hier. L'offre de nos services publics met l'accent sur l'échec des individus et non sur leur potentialité. Toutes nos politiques publiques sont également orientées en ce sens.

L'approche de la RGPP, qui est, ne l'oublions pas, fille de la LOLF, donne une vision purement comptable de la maîtrise des dépenses publiques, qui est aujourd'hui une nécessité. Elle fait perdre le sens de la force collective des politiques publiques, d'une vision politique de notre société. Les débats sur la réforme des retraites ou sur la sécurité sociale démontrent que les débats sont purement comptables. Faire bouger une société sur un projet alternatif doit venir de son chef, non du comptable. Le contribuable a perdu le sens de l'impôt et estime qu'il en paie trop. Le bénéficiaire des aides publiques a également perdu le sens de la solidarité et estime qu'il devrait en recevoir plus. La RGPP ne doit pas faire oublier le sens du service public. Or, aujourd'hui, cette réforme, proposée comme une alternative de qualité du service, est uniquement présentée sous son angle budgétaire. Personne ne peut nier la nécessité de réduire les déficits publics. Mais il faut un vrai débat sur la nature de la dette publique, afin d'éviter de se retrouver dans la situation actuelle de la Grèce, qui doit arbitrer entre la disparition de ses services publics ou la saisie de ses avions. En d'autres termes, le débat public que nous devons avoir est aujourd'hui de savoir comment réduire la dette publique tout en augmentant nos recettes. C'est pourquoi il faudrait s'interroger sur une éventuelle évolution de la LOLF, pour l'adapter à ce nouveau défi. En effet, aujourd'hui, au niveau de la dette publique, il est difficile de distinguer ce qui relève de la dette active, laquelle finance les investissements productifs qui s'accompagnent de retours sur investissements (tels que le grand emprunt), de ce qui relève de la dette passive, laquelle finance les dépenses courantes.

Je ne crois pas au capitalisme d'État mais à l'État capitaliste. Nous devons réfléchir à l'optimisation du patrimoine public, des services publics. Nous devons nous interroger sur la gratuité des services, sur l'optimisation des ressources, par rapport à un projet politique. Quelle devra être la place du service public demain, son périmètre, ses compétences ?

Si la guerre ne se gagne pas avec les généraux, elle se perd avec l'intendance. On ne peut pas demander à des fonctionnaires moins nombreux d'assumer plus de missions, comme c'est le cas actuellement dans le monde judiciaire. Si on décide de réduire la voilure du service public, peut-être faut-il également s'interroger sur la réduction de ses missions. C'est pourquoi j'estime que le contrôle parlementaire sur la capacité des services publics à assumer leur mission devrait être au coeur de la RGPP.

Nous assistons aujourd'hui à une amélioration du service public, en raison de l'accroissement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, en matière fiscale ou avec la SNCF. Toutefois, il faut distinguer le traitement de masse, qui est satisfaisant, du traitement individuel. Beaucoup de concitoyens sont en attente d'un traitement humain de leurs dossiers. L'aveuglement informatique et l'absence de lieux d'écoute créent un traumatisme social. Nous sommes dans un système informatique qui ne permet pas d'accompagner la mobilité géographique, professionnelle, conjugale des individus. Certaines réformes peuvent être complètement remises en cause par ce défaut d'écoute et d'accompagnement. Nous avons ainsi constaté que la Charte Marianne a été mise à mal par la RGPP car la qualité minimale du service à rendre n'était pas atteinte.

Nous avons constaté des améliorations dans certains domaines et une aggravation dans d'autres. Nous avons attiré l'attention sur l'augmentation des délais d'attente pour les étrangers, liée à la diminution des effectifs dans certaines préfectures. Les préfets sont parfois amenés à prendre certaines décisions pour y faire face comme, par exemple, fermer certains après-midi les services préfectoraux. La RGPP aurait du s'accompagner d'une réflexion sur l'ouverture des services publics avec, éventuellement, la mise en place de prises de rendez-vous, comme cela existe dans les hôpitaux. Laisser croire au libre accès des services publics au moment où ils se réorganisent créé des phénomènes de collapsus, contraires à l'intérêt même du service public.

Le refuge derrière les plates-formes téléphoniques nécessite également une réflexion approfondie, en raison des phénomènes générés, liés à l'absence de réponse devant un problème. Récemment, nous avons eu à régler le cas d'une personne handicapée qui, en raison d'un euro supplémentaire de revenu, a perdu le bénéfice de son allocation complémentaire. Le bon sens n'est possible que quand on échange avec un individu, non avec un ordinateur.

Le fonctionnaire n'est pas fier de ce qu'il est amené faire. Or, il est essentiel qu'il retrouve sa fierté dans le cadre du projet conduit par la RGPP. Celle-ci est nécessaire, la réduction des déficits publics est importante, l'adaptation des moyens à l'évolution des services publics est essentielle mais à la condition de prendre le temps de l'appropriation du projet et le temps de la conduite du changement.

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