Intervention de Benjamin Stora

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 mai 2006 : 1ère réunion
Afrique — Situation politique et régionale du maghreb - Audition de M. Benjamin Stora professeur d'histoire du maghreb à l'institut national des langues et civilisations orientales

Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Institut national des langues et civilisations orientales :

a tout d'abord évoqué les relations franco-algériennes, actuellement marquées par la difficulté à conclure un traité d'amitié entre les deux pays. Il a souligné que l'on ne pouvait réduire les récentes déclarations algériennes vis-à-vis de la France et du passé colonial à une simple posture à l'usage de l'opinion publique algérienne. Si les arrière-pensées de politique intérieure ne sont sans doute pas absentes de ces propos, elles traduisent cependant une réalité incontestable. En effet, les séquelles de la guerre d'indépendance ne sont pas totalement effacées et le sentiment nationaliste s'affirme aujourd'hui avec une force renouvelée. La guerre civile des années 1990, loin d'avoir entraîné la dislocation de la nation algérienne et l'effondrement de l'Etat, se trouve avoir débouché sur un nationalisme vigoureux. Forte de ses 32 millions d'habitants et de ses ressources pétrolières qui lui permettent de disposer de 60 milliards de dollars de réserves de change et de rembourser, au comptant et par anticipation, ses dettes vis-à-vis du club de Paris, l'Algérie conçoit ses relations avec la France en tant qu'Etat pleinement souverain, et non comme la continuation d'une histoire commune forgée par la colonisation.

a néanmoins insisté sur l'existence d'un socle culturel commun extrêmement puissant entre l'Algérie et la France. Ainsi, la presse francophone tire à près de 400 000 exemplaires en Algérie et la base de la société demeure très largement francophone, comme en témoigne l'attention que les Algériens portent à la vie politique, économique et culturelle française.

a considéré qu'il fallait dépasser l'obstacle constitué, pour les relations bilatérales, par la question du traité d'amitié, dont il y a tout lieu de penser qu'il ne pourra voir le jour dans un avenir proche. L'Algérie, a-t-il poursuivi, reste désireuse de développer un partenariat économique, commercial et culturel avec la France. La France, pour sa part, devrait prendre garde à ne pas laisser s'effriter ses positions en Algérie, alors que de nouveaux partenaires lui font concurrence, et en premier lieu les Etats-Unis, qui ont désormais une très forte présence sur les champs pétroliers du Sahara et nouent des coopérations étroites en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Selon M. Benjamin Stora, la France conserve des atouts considérables en Algérie, notamment grâce à l'ancienneté des courants migratoires entre les deux rives de la Méditerranée. De ce fait, les relations entre la France et l'Algérie présentent des caractéristiques uniques qui leur interdisent de verser dans l'opposition ou l'hostilité.

a ensuite abordé la situation politique intérieure algérienne. Il a souligné que la victoire militaire sur les groupes terroristes ne remettait pas en cause la permanence d'un courant islamiste aux manifestations multiples. Il a opéré la distinction entre un islamisme « horizontal », se diffusant dans la société au travers du statut de la femme ou des écoles privées en langue arabe, et un islamisme « vertical », aux objectifs plus directement liés à la conquête du pouvoir. Parmi les bénéficiaires potentiels, sur le plan politique, de cette islamisation de la société, il a cité trois courants principaux : les islamistes modérés, un courant plus radical incarné par Ali Belhadj, ancien responsable du Front islamique du salut (FIS) récemment libéré dans le cadre de la loi d'amnistie, et enfin un courant présent au sein même du gouvernement, à travers les ministres du mouvement social pour la paix (MSP). Aux côtés de la mouvance islamiste, M. Benjamin Stora a évoqué l'émergence d'un courant néo-nationaliste, qui puise ses racines dans le nationalisme arabe et s'exprime à travers la presse arabophone. Une certaine porosité existe entre ce courant néo-nationaliste et les islamistes. Enfin, M. Benjamin Stora a considéré que le courant culturel berbère demeurait aujourd'hui sur la défensive.

a ensuite abordé la situation du Maroc.

Il a souligné la fragilité de la situation économique et sociale de ce pays, en précisant qu'un Marocain sur six vivait aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et que cette proportion tendait à s'accroître. Le recul de la pauvreté exigerait un rythme de croissance de 6 à 7 % par an, objectif très difficile à atteindre pour une économie à dominante agricole.

Sur le plan politique, M. Benjamin Stora a estimé que l'attention se focalisait sur le résultat qu'obtiendrait, lors des élections législatives de 2007, une tendance islamiste aujourd'hui très forte. La question d'une éventuelle intégration du Parti de la justice et du développement (PJD) au gouvernement, après les élections, est posée. Par ailleurs, le mouvement islamiste Al-Adl Wal-Ihsane (Justice et bienfaisance) du cheikh Abdessalam Yacine demeure non autorisé, mais son influence semble considérable.

S'agissant de la question du Sahara, M. Benjamin Stora a rappelé qu'elle constituait un défi permanent pour le Maroc et ses relations avec l'Algérie. Il a indiqué que le Maroc avait écarté le processus d'autodétermination et certains cercles du pouvoir privilégiaient désormais la solution d'une autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine. L'ancien président algérien Ahmed Ben Bella s'est récemment déclaré favorable à une telle solution, ce qui pourrait témoigner d'une certaine évolution des mentalités en Algérie. Toutefois, seul un signe comme l'ouverture des frontières avec le Maroc pourrait attester d'une volonté réelle des autorités algériennes de débloquer la situation.

Enfin, M. Benjamin Stora a souligné l'importance des questions migratoires, tant pour l'Algérie que pour le Maroc. Il a précisé que les Marocains constituaient la plus importante communauté étrangère dans plusieurs pays européens comme la France, l'Espagne, l'Italie, la Belgique ou les Pays-Bas. Il a également indiqué que plusieurs centaines de milliers de Maghrébins, notamment marocains, avaient quitté leur pays dans les dix dernières années. Il a estimé que le désir d'émigration demeurait extrêmement puissant outre-Méditerranée, surtout dans la jeunesse, y compris parmi les couches de diplômés.

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