Intervention de Benjamin Stora

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 mai 2006 : 1ère réunion
Afrique — Situation politique et régionale du maghreb - Audition de M. Benjamin Stora professeur d'histoire du maghreb à l'institut national des langues et civilisations orientales

Benjamin Stora, professeur d'histoire du Maghreb à l'Institut national des langues et civilisations orientales :

a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- la conclusion du traité d'amitié se fera sans doute un jour, mais elle semble peu probable à court terme. Dans le rapport franco-algérien, l'aspect mémoriel est central, ce qui impose de laisser leur place à toutes les mémoires, à toutes les souffrances, des rapatriés aux immigrés algériens, des harkis aux civils algériens qui ont supporté le poids très lourd de la guerre. Ainsi la mémoire algérienne, au sens général, devrait être également prise en compte, par exemple dans le projet d'édification, à Marseille, d'un Mémorial des Français d'outre-mer ;

- plus que la question de l'immigration choisie, c'est celle des visas qui aujourd'hui est mobilisatrice en Algérie. Le fait que 300.000 demandes de visas soient en attente aujourd'hui dans les consulats français atteste de la force et de l'attractivité de l'image de la France dans le pays ;

- les fermetures d'écoles francophones, en Algérie, ont entraîné une forte mobilisation, tant de la société civile que des enseignants, et la bataille sur cette question n'est pas terminée ;

- le roi du Maroc ne favorise pas le courant islamiste, il ne peut que prendre acte de la puissance de ce courant, et prendre des initiatives politiques ;

- il y a un islamisme « horizontal » qui traverse l'ensemble du monde arabe et affecte tout le Moyen-Orient. Ce courant ne fait pas que se substituer aux mouvements nationalistes arabes qui se sont progressivement effondrés. Cette réislamisation représente bien davantage : elle est un défi lancé aux pouvoirs en place et l'occident n'est pas sa seule cible. C'est la volonté d'ouverture de l'espace démocratique qui conduit la contestation à revêtir une forme religieuse, mais son projet est bien de constituer un Etat théocratique ;

- deux expériences historiques ont marqué les islamistes d'aujourd'hui : celle, « positive », de la lutte victorieuse des maquis afghans contre l'occupant soviétique entre 1981 et 1989 et celle, « négative », de la défaite militaire subie par les maquis islamistes en Algérie. Du fait de cette défaite militaire, les partis islamistes maghrébins tiennent aujourd'hui un nouveau langage, plus modéré et très différent du discours de radicalité et de rupture. Cet islamisme politique « horizontal » n'est pas dirigé a priori contre l'Occident ou contre l'Etat. Il reste que derrière ces courants demeurent d'autres mouvements, plus puissants, qui ne désarment pas et les frontières entre les deux sont loin d'être étanches. Le débat n'est pas tranché sur l'opportunité d'intégrer ce courant radical ou de le marginaliser. Or, ce débat est essentiel pour l'avenir. Pour la France, compte tenu de sa population immigrée, ce débat est également central et ne relève plus de la seule politique étrangère ;

- depuis la « marche verte » de 1975, la légitimité marocaine s'est construite sur la question du Sahara occidental. Cependant, durant ces trente dernières années, un récit nationaliste s'est enraciné parmi la population sahraouie, dont une partie est devenue indépendantiste, y compris au Maroc. Aussi bien une négociation directe entre le Maroc et le Front Polisario devra-t-elle un jour s'imposer, même si une telle option reste aujourd'hui taboue au Maroc, également dans une moindre mesure en Algérie.

. Dans un premier temps, il conviendrait de mettre de côté le sujet du Sahara occidental et de rouvrir les frontières, car le développement économique et commercial que permettrait cette réouverture est central pour la stabilité des deux sociétés, algérienne et marocaine ;

- en Tunisie, les offensives du pouvoir contre les forces démocratiques contribuent à renforcer un courant islamiste, dont on mesure mal la puissance, d'autant que le développement économique qui a fondé la prospérité tunisienne et permis l'émergence d'une classe moyenne est aujourd'hui menacé par la mondialisation qui entraîne, par exemple, la crise de l'industrie textile tunisienne et menace la classe moyenne de ce pays.

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