Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 mai 2006 : 1ère réunion
Afrique — Situation politique et régionale du maghreb - Audition de M. Benjamin Stora professeur d'histoire du maghreb à l'institut national des langues et civilisations orientales

Photo de André DulaitAndré Dulait, rapporteur :

a ensuite souligné que la France maintenait un dispositif important en Afrique, qu'il s'agisse de son appareil diplomatique ou de sa présence militaire. Le dispositif militaire français permanent comprend 6 000 hommes, répartis sur 5 bases (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, Tchad et Djibouti). La France est aussi liée par une série d'accords de défense et de coopération militaire. En sus des forces prépositionnées, près de 5 000 hommes sont déployés sur des théâtres de crise africains. Par ailleurs, la présence de résidents français (près de 170 000 immatriculés en 2002) reste importante et le rôle économique de la France très significatif dans certains pays.

La crise en Côte d'Ivoire avait constitué à la fois un révélateur et un tournant. Un tournant dans la mesure où en 1999, dans la première phase de la crise, notre pays n'était pas intervenu et où, en septembre 2002, il avait choisi une approche nouvelle privilégiant une gestion à la fois multilatérale et régionale de la crise et l'émergence d'une solution nationale.

La crise ivoirienne a aussi été le révélateur que notre pays ne pouvait plus assurer, seul, le règlement de ce type de crise : il n'en avait plus les moyens, ni financiers, ni même surtout politiques. Dans ce conflit, faute d'avoir pu faire comprendre ses positions, la France avait perdu la bataille de l'image.

Il s'est alors interrogé sur le fait de savoir si la France devait continuer d'intervenir dans les crises africaines. L'ampleur des difficultés rencontrées pouvait plaider en faveur d'un désengagement au profit d'autres solutions, notamment africaines. Cette tentation était forte, mais aussi illusoire. M. André Dulait, rapporteur, a souligné que les crises africaines avaient un impact sur le continent européen, en alimentant les trafics de tous ordres. Surtout, elles constituent le principal obstacle au développement des Etats africains.

La France se devait donc d'explorer de nouvelles voies et de nouvelles modalités d'action. Pour M. André Dulait, rapporteur, le mot d'ordre de la politique d'intervention de notre pays dans les crises africaines pouvait se résumer à l'expression « plus jamais seule ». La France privilégiait donc désormais trois axes d'action : multilatéralisme, « africanisation » de la gestion des crises et implication de l'Union européenne.

Il a souligné que l'organisation des Nations unies était un acteur majeur de la gestion des crises en Afrique et la source indispensable de la légitimité de l'usage de la force dans les opérations de maintien de la paix.

Il a indiqué que le deuxième axe d'action était l'appropriation par les Africains eux-mêmes, des questions de sécurité. Celle-ci doit s'effectuer tant à l'échelon de l'organisation continentale (l'Union africaine) que de celui des organisations sous-régionales.

a estimé que dans le processus d'« africanisation » et de régionalisation de la gestion des crises, l'action des puissances régionales était très importante. En Afrique du sud, un consensus existait sur la nécessité et l'intérêt de contribuer au règlement des conflits. Fort de l'expérience d'une transition réussie, ce pays intégrait la gestion des crises dans son projet de « renaissance africaine ». L'Afrique du sud affecte actuellement plus de 3 000 hommes sous casques bleus et son président M. Thabo M'Becki, joue un rôle essentiel de médiation. M. André Dulait a relevé que la délégation avait pu constater non seulement une réelle convergence avec les positions françaises, sur bien des dossiers, mais aussi un besoin réel d'explication.

Il a ensuite indiqué que, pour accompagner ce processus de régionalisation, notre pays avait réorienté son dispositif de coopération militaire. Il a ainsi été mis fin à la coopération de substitution. Dans ce domaine, la formation de personnels en France est devenue l'exception, avec le développement des « écoles nationales à vocation régionale », chargées de former des stagiaires venus de différents pays d'Afrique dans des écoles africaines financées par la France. M. André Dulait a signalé qu'au Sénégal, le recul de l'aide en matériel et la diminution des formations en France étaient vécus comme un signe de désengagement qui exigeait beaucoup de pédagogie.

Enfin, il a rappelé que cette réorientation prenait la forme du programme RECAMP (« renforcement des capacités africaines de maintien de la paix »), décliné en trois volets : formation, entraînement et soutien opérationnel, avec l'objectif d'améliorer la qualité des troupes déployées en opérations. Dans la même perspective, les forces prépositionnées seront réorientées vers le soutien aux brigades régionales de la force africaine en attente.

a ensuite indiqué que, avec un résultat mitigé pour le moment, la France entendait intéresser ses partenaires européens à ces dispositifs et recherchait également l'implication européenne et le « label » européen pour des opérations de gestion de crise sur le continent africain.

Il a souligné que depuis peu, les institutions européennes avaient pris clairement conscience du lien entre sécurité et développement. En témoignent la stratégie européenne pour l'Afrique, qui comprend un important volet « paix et sécurité », la « facilité pour la paix » qui a permis de mobiliser 250 millions d'euros utilisés en grande partie pour le soutien de l'opération de l'Union africaine au Darfour, mais aussi l'opération Artémis, qui sera suivie par l'opération « EUFOR RD Congo » de sécurisation de la période des élections.

a souligné que ces orientations n'étaient pas dépourvues de contradictions et se heurtaient à de nombreuses difficultés.

En premier lieu, le positionnement de la France reste peu visible et n'est pas dépourvu de contradictions. Elle est soupçonnée, dans le meilleur des cas, de vouloir maintenir son influence tout en partageant les coûts avec ses partenaires, voire « d'habiller » de multilatéralisme sa volonté d'intervention.

La réorientation de la coopération militaire consiste à intervenir dans des zones où la France n'était traditionnellement pas présente, comme l'Afrique australe, tout en maintenant une relation forte avec ses partenaires traditionnels, le tout dans un contexte de réduction des crédits de coopération militaire.

La carte des Ecoles nationales à vocation régionale, la densité de notre réseau ou encore la problématique des accords de défense témoignent de la concentration des efforts sur la zone traditionnelle d'influence de la France. Les accords de défense ont incontestablement vieilli. Le cas ivoirien a démontré l'impossibilité de leur mise en oeuvre dans le contexte actuel, mais aussi la difficulté d'une renégociation. Au Sénégal, ils permettent le stationnement des forces dans des conditions très favorables. M. André Dulait a rappelé que le Président de la République avait déclaré publiquement que la France ne resterait pas dans les Etats où sa présence n'est pas souhaitée, et que, de fait, une réduction du dispositif était envisagée à terme au Tchad et en Côte d'Ivoire.

a ensuite considéré que les axes privilégiés par la politique française étaient relativement étroits : si les Nations unies sont une source de légitimité indispensable, leur efficacité opérationnelle était limitée. Après l'expérience de la FORPRONU en Bosnie dans les années 1990, la France agit sous mandat des Nations unies, mais en conservant la maîtrise de la chaîne de commandement. Devant le coût global des opérations de maintien de la paix, plus de 5 milliards de dollars pour l'année 2005-2006 (300 millions d'euros pour la France), le chantier de l'efficacité militaire de l'ONU reste cependant ouvert.

Les résultats concrets obtenus par l'Union africaine sont, pour le moment, assez décevants. La mission africaine au Soudan, la plus importante jamais déployée (7 000 hommes), est chargée d'observer l'application de l'accord de cessez-le-feu signé en avril 2004. Elle avait également pour objectif de démontrer la capacité de l'Union africaine à intervenir dans une crise. Or, elle s'est trouvée en grande difficulté pour des raisons liées au mandat, à la faiblesse des moyens, mais aussi à la médiocre qualité des troupes déployées. L'Union africaine est un acteur important, mais qui demande encore à être assuré dans ses moyens et ses capacités politiques.

a estimé que les organisations sous-régionales soulevaient deux types de difficultés. La première est liée à leurs moyens d'action, financiers, mais aussi politiques, dans un contexte de rivalités fortes entre Etats. La seconde concernait le rôle des puissances régionales africaines sur le continent.

a relevé que l'Union européenne n'est pas encore perçue comme un acteur majeur. Les interlocuteurs de la délégation l'ont considérée, pour ce qui concerne l'Afrique, comme tour à tour dominée par le Royaume-Uni et la France. Il restait également à s'interroger sur les conséquences des interventions européennes en Afrique, très ciblées géographiquement et très limitées dans le temps. Il n'était pas certain, en outre, que les populations, qui perçoivent négativement l'intervention de puissances occidentales, considèrent plus favorablement une intervention européenne. Il a par ailleurs été précisé que la question du financement restait posée pour 2007, la « facilité de paix » ayant épuisé ses ressources et ne devant pas être reconstituée avant 2008.

Pour leur part, a poursuivi M. André Dulait, les puissances régionales africaines restaient confrontées à des difficultés internes. Le Nigeria est ainsi traversé de graves tensions et sa situation intérieure reste préoccupante. L'action de l'Afrique du sud est certes soutenue par un débat démocratique dans le pays, mais ses capacités, bien que supérieures à celles des autres Etats africains, restent limitées. Le pays, engagé dans un processus de consolidation de la transition, a d'autres priorités dans les secteurs sociaux et l'éducation. L'armée sud-africaine souffre en outre des réorganisations récentes et de l'ampleur de l'épidémie de sida. Le volontarisme sud-africain est aussi tempéré par la perception qu'en ont les autres Etats du continent, qui l'incite à privilégier des vecteurs d'influence plus économiques ou diplomatiques que militaires.

En conclusion, M. André Dulait a estimé qu'en l'absence de toute alternative crédible dans l'immédiat, notre pays devait se préparer à être encore présent pour quelque temps encore sur des théâtres africains, et a formulé les observations suivantes :

- la France ne devait plus intervenir seule : l'implication des partenaires européens, pour qui les enjeux sont identiques, est indispensable. En contrepartie, la France doit accepter de discuter de son action, de confronter ses analyses, de débattre des solutions et de partager les facilités dont elle dispose actuellement : pour attirer les Européens vers l'Afrique, il ne fallait pas que le continent apparaisse comme le « pré carré » français. L'engagement des Européens sur le terrain n'était donc pas acquis, notamment après les épisodes rwandais ou somalien. L'OTAN faisait, par ailleurs, figure d'organisation concurrente avec une première implication au Darfour ;

- le renforcement des capacités africaines est indispensable. Il suppose des investissements importants, dans la formation mais aussi pour l'accompagnement des forces, en appui, lors des opérations ;

- le partenariat avec l'Afrique du Sud doit être renforcé pour accompagner ses efforts, et faciliter une compréhension réciproque ;

- le règlement de la crise ivoirienne est déterminant pour la crédibilité de l'action de la France, qui doit tenir le cap d'une approche multilatérale ;

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