Intervention de Agnès Jeannet

Mission commune d'information relative à Pôle emploi — Réunion du 10 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Agnès Jeannet inspectrice générale et M. Laurent Caillot inspecteur de l'igas auteurs du rapport « l'accès à l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville »

Agnès Jeannet, inspectrice générale de l'Igas :

Nous nous sommes intéressés à ce sujet dans le cadre du programme de travail annuel de l'inspection générale, qui nous permet de proposer au ministre des missions d'inspection. Cette mission se situait dans le programme de travail de l'année 2009. Nous avons souhaité, en quatre mois, étudier un dispositif de la politique de l'emploi en relation avec un public, les jeunes, et un territoire, les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Pour tenir ce délai, nous avons circonscrit le champ de notre étude, en laissant de côté le sujet, plus vaste, de l'insertion professionnelle pour nous concentrer sur l'intermédiation.

Nous avons examiné la façon dont les missions locales et Pôle emploi contribuent, dans leurs champs de compétences respectifs, à l'accès à l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous avons choisi, au hasard, quatre régions et, au sein des 215 quartiers prioritaires du plan « Espoir banlieues », les zones urbaines sensibles (Zus) présentant les critères sociodémographiques les plus préoccupants en termes de taux de chômage. Nous avons, dans chaque région, sélectionné deux agglomérations différentes pour prendre en compte une certaine diversité territoriale et administrative. Nous avons ainsi choisi la région Champagne-Ardenne, avec Reims et Saint-Dizier, le Languedoc-Roussillon, avec Nîmes et Montpellier, Rhône-Alpes, avec Vénissieux et Valence, et l'Ile-de-France, avec Aulnay et Montereau.

Nous nous sommes d'abord rendus directement dans les quartiers concernés, afin d'éviter d'être influencés par les discours des différents acteurs, pour examiner, au sein de la Zus, quels services étaient présents. Nous avons ensuite rencontré les responsables hiérarchiques jusqu'aux niveaux du département et de la région. Cette enquête de terrain a été complétée par un questionnaire distribué dans des départements disposant de sous-préfets à la politique de la ville ou de préfets à l'égalité des chances, afin de conforter nos analyses et de disposer d'une vision plus exhaustive de la situation.

Notre constat sur le service rendu par ces deux composantes du service public de l'emploi que sont les missions locales et Pôle emploi peut se résumer en quatre points principaux.

En premier lieu, ni Pôle emploi ni les missions locales ne se sont fixé comme priorité durable le fait de suivre, avec une attention soutenue et des moyens à la hauteur des enjeux, les jeunes dans les Zus. Des priorités erratiques ont été fixées dans certains contrats de ville, mais sans aucune pérennité sur le long terme. La loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003 fait pourtant de la réduction des inégalités une priorité de politique nationale. Or force est de constater que cette priorité ne se retrouve pas de matière pérenne dans les orientations stratégiques de ces deux opérateurs. L'Etat doit pouvoir donner à ceux ci une priorité d'action ferme, qui s'inscrive dans la durée.

Notre deuxième point consiste en une critique assez forte de la manière dont Pôle emploi gère ses partenariats. Nous avons examiné la façon dont Pôle emploi travaille avec les opérateurs dédiés au suivi des jeunes et comment il s'articule avec ceux-ci. Or force est de constater que ce partenariat souffre de graves insuffisances, d'abord dans sa définition même. Ce partenariat est nommé cotraitance, une opération par laquelle Pôle emploi délègue à un opérateur une mission d'accompagnement vers l'emploi, en considérant que ses propres règles s'appliqueront dans le cadre de cette délégation. Soumis à l'examen, ce contrat de cotraitance reste néanmoins vague et ne comprend aucun cahier des charges précis ni aucune règle claire de partage des compétences. Ce contrat revêt donc un caractère plutôt administratif et présente des problèmes de définition qui, s'ils avaient été clarifiés, auraient permis une meilleure articulation, que nous avons appelée de nos voeux.

La mise en oeuvre de ce contrat pose également des difficultés sans doute liées au fait que l'accompagnement n'est pas véritablement renforcé. Le coût de cet accompagnement atteint 230 euros par jeune, alors que la plupart des autres actions de cotraitance ou de sous-traitance bénéficient de budgets nettement supérieurs, sans même parler du contrat d'autonomie, qui culmine à 7 700 euros. L'ambition d'un accompagnement renforcé suppose pourtant des moyens. Or les moyens mis en place par Pôle emploi vis-à-vis des missions locales ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ce contrat nous est apparu, in fine, comme un contrat administratif, de subventionnement, sans trop d'ambitions. Pôle emploi donne 35 millions d'euros aux missions locales et leur fixe un objectif quantitatif de suivre 120 000 à 150 000 jeunes.

Le manque d'ambition de ce subventionnement constitue la critique la plus forte du dispositif, critique qui peut être mise en perspective avec les tentatives beaucoup plus ambitieuses lancées au début des années 1990. En 1999, l'Igas a publié un rapport sur les services de l'emploi face au chômage, qui faisait le bilan des « espaces jeunes ». Il s'agissait de services intégrés ANPE-missions locales, orientés sur le placement, et s'appuyant sur un système d'information commun, une formation commune des agents et une labellisation. Ces « espaces jeunes » n'ont cependant pas perduré. L'Igas expliquait leur disparition par une différence de culture entre les missions locales et l'ANPE et par une réticence de l'ANPE à mettre à disposition les moyens adéquats. Sans émettre de véritable recommandation sur le sujet, nous avons souhaité rappeler qu'une démarche d'intégration des moyens comme celle-ci ne doit pas être totalement écartée. Le fait de combiner les moyens, au service d'un objectif unique d'accès à l'emploi, permettrait en effet d'obtenir une plus grande efficacité qu'à l'heure actuelle, où les deux services travaillent chacun de leur côté sans véritablement échanger et partager les objectifs et les publics.

Enfin, l'Etat n'a pas non plus su faire travailler en complémentarité les deux réseaux pour la prescription des contrats aidés et nous avons constaté que chacun plaçait les jeunes sur ces contrats sans qu'un objectif commun ne soit fixé sur un territoire donné.

Quant aux recommandations, nous avons d'abord mis en évidence l'exigence de faire de l'emploi des jeunes dans les Zus une priorité pérenne. En 2009, lorsque nous avons lancé notre mission, la note d'orientation de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)-Pôle emploi ne mentionnait même pas l'emploi des jeunes des Zus. En 2010, en revanche, cette note d'orientation contenait un objectif en la matière. Des priorités apparaissent mais elles ne s'inscrivent pas dans la continuité des actions menées. Cette recommandation s'adresse donc, en premier lieu, à l'Etat qui conserve la main sur ces deux opérateurs.

Nous avons aussi recommandé de donner aux préfets de région une unité d'action sur ces deux opérateurs. Ceci permettrait d'éviter les concurrences et de confirmer le rôle de l'Etat dans la politique de l'emploi.

Des recommandations sur les offres de services ont également été émises. Il s'agit de bien conforter le rôle des missions locales sur le placement, en revenant à l'idée, déjà présente en 1999, d'une mise en commun des outils disponibles, avec notamment un accès homogène aux offres d'emploi des deux réseaux, sans chercher à partager les entreprises ou les secteurs professionnels, ce qui ne répondrait pas aux attentes de la population cible, qui se révèle aujourd'hui quelque peu délaissée.

Notre dernière préconisation concernait la territorialisation. Une orientation nationale sur un tel sujet doit certes exister mais elle s'avère largement insuffisante. Sur les quatre régions étudiées, deux n'avaient pas fixé, dans le cadre de leur convention annuelle régionale signée entre l'Etat et Pôle emploi sous l'égide du préfet de région, de priorité en faveur des jeunes des Zus. Il convient de généraliser ces priorités et de les assortir d'indicateurs, en établissant un mode de délégation à un niveau infrarégional qui permette de suivre ce qui se passe dans les bassins d'emploi. Il faut de la volonté pour que ces orientations soient réellement mise en oeuvre dans les territoires.

Nous avions enfin, formulé une dernière recommandation qui a été depuis mise en oeuvre par M. Christian Charpy, le directeur général de Pôle emploi. Cette recommandation proposait que les agences de Pôle emploi disposent de marges de manoeuvre pour la négociation de plans d'actions avec les missions locales. Lors de notre mission, nous avions en effet éprouvé le sentiment que les agences étaient quelque peu bridées par les décisions régionales et ne pouvaient nouer des partenariats qu'elles étaient pourtant prêtes à engager.

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