Intervention de Daniel Jouanneau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 février 2009 : 1ère réunion
Audition de son exc. M. Daniel Jouanneau ambassadeur de france au pakistan

Daniel Jouanneau :

a noté l'intérêt de la commission pour le Pakistan ces dernières années et indiqué que le titre de son dernier rapport d'information sur le sujet : « Le Pakistan, un équilibre difficile au coeur d'une région instable », restait tout à fait pertinent. Le Pakistan est un pays qui inquiète à juste titre. Les soldats français tués dans la vallée d'Uzbin ont été victimes de taliban venus du Pakistan. Les attentats de Bombay ont été préparés au Pakistan. Le quartier général d'Al Qaïda se trouve au Pakistan. Il faut désormais voir le Pakistan comme un problème en soi et non plus comme une partie de la question afghane. Ce pays de 170 millions d'habitants qui, compte tenu de son dynamisme démographique, devrait en compter 200 millions dans dix ans, est le seul Etat musulman doté de l'arme nucléaire et de missiles pour la transporter.

Il existe cependant un autre Pakistan, doté d'un grand potentiel de développement, francophile et qui offre de nombreuses occasions de partenariat.

Rappelant le contexte de la création du pays, il a souligné que le rêve de ses fondateurs ne s'était pas réalisé. Ceux-ci souhaitaient rassembler la majorité des musulmans du sous-continent indien. Or, là où ils étaient minoritaires, ils sont restés en Inde, et aujourd'hui, l'Inde compte presque autant de musulmans -150 millions- que le Pakistan.

Depuis son indépendance, le Pakistan a vécu durant trente-quatre ans sous un régime militaire, avec des parenthèses démocratiques qui se sont généralement terminées par des dérives autoritaires. Ce pays a été également profondément marqué par la séparation sanglante, mais inévitable, intervenue en 1971, avec le Pakistan oriental devenu le Bangladesh. Le Pakistan peut être une société violente, marquée par des affrontements croissants entre sunnites, entre sunnites et chiites, et des violences récurrentes infligées aux femmes. C'est un Etat sur la défensive, qui se considère incompris par la communauté internationale, obsédé par la menace que ferait peser sur lui la puissance indienne, menace renforcée avec l'accession de New-Delhi à l'arme nucléaire. Cette défiance se traduit dans les faits : ainsi, seul 1 % du commerce extérieur pakistanais se fait avec l'Inde, pourtant peuplée d'1,1 milliard d'habitants et avec laquelle le Pakistan partage une frontière de 3 000 km. Ce sentiment d'être menacé est alimenté par le non règlement de la question du Cachemire, qui reste une plaie ouverte entre les deux pays et permet à l'armée de justifier son poids budgétaire et son rôle politique.

Les grands choix stratégiques du Pakistan ont tous été déterminés par rapport à l'Inde : quand celle-ci s'est rapprochée de l'URSS, le Pakistan a choisi l'alliance avec les Etats-Unis, encore resserrée après le 11 septembre 2001. Une des hantises du Pakistan est d'être pris en tenaille entre l'Inde et l'Afghanistan. Le Pakistan a toujours souhaité que le régime afghan lui soit favorable. De même, la guerre entre la Chine et l'Inde l'a conduit à un fort rapprochement économique, militaire et culturel avec la Chine. En revanche, le choix de l'alliance américaine est difficile à assumer par le gouvernement face à l'opinion pakistanaise, marquée par un vif sentiment anti-américain, condamnant tout gouvernement pakistanais à un grand écart permanent entre ses choix extérieurs et la pression intérieure.

Le retour à la démocratie, en 2008, a soulevé de grands espoirs, vite dissipés. Il n'y a pas eu de renouvellement des dirigeants, les mêmes grandes familles restant très représentées dans les assemblées. Les nouveaux dirigeants se trouvent confrontés à trois réseaux terroristes en partie interconnectés : Al Qaïda dans les zones tribales et les montagnes du Nord, les taliban afghans créés à l'origine par l'Inter Services Intelligence (ISI) avec l'aide américaine, et les taliban pakistanais qui montent en puissance et dont l'objectif est de détruire l'Etat, aux symboles duquel ils s'attaquent. A cela s'ajoutent les extrémistes non terroristes qui procèdent par intimidation et créent ainsi un climat de fortes tensions dans un pays qui est profondément modéré et se sent menacé dans son identité.

A ce climat délétère s'ajoute une gestion déficiente de l'économie avec l'insuffisance d'investissements dans l'énergie, dans l'agriculture, alors que la vallée de l'Indus est potentiellement une des plus fertiles du monde, dans l'industrie, notamment le textile, dans la santé et l'éducation. Cette carence explique la prolifération des madrasas, qui sont gratuites et dont les élèves sont logés et nourris. Le président Zardari n'a pas su rétablir la confiance. Il reste marqué par le discrédit lié à son enrichissement à l'époque où son épouse était Premier ministre. Le gouvernement manque de vision et de projet collectif. La justice et la police sont corrompues. Seule l'armée est respectée, notamment parce qu'elle constitue une des rares voies de promotion sociale. Le pouvoir actuel est assuré par trois dirigeants : le Président de la République, le Premier ministre Gilani et le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Kayani, alors que l'armée dispose d'un pouvoir de veto sur toutes les décisions portant sur les relations avec l'Inde, l'Afghanistan, la lutte contre le terrorisme et le secteur nucléaire. Le Pakistan apparaît donc comme une démocratie non stabilisée et le retour des militaires au pouvoir, même s'il n'est pas souhaité par la population, est une option possible.

a cependant souligné que ce pays présentait des atouts, comme en témoigne la récente transition démocratique qui s'est réalisée sans problèmes, le général Musharraf abandonnant le pouvoir sous la pression de l'armée. Le pays est animé par de grands débats publics, auxquels participe activement la diaspora, et qui sont relayés par une presse très libre. L'Assemblée nationale, présidée par une femme, compte 76 femmes sur 342 députés. Le secteur privé est très dynamique et beaucoup de Pakistanais sont préoccupés par l'image de leur pays à l'extérieur et la montée du fondamentalisme. Enfin, la communauté internationale se mobilise activement en faveur du Pakistan, dans la crainte qu'il ne devienne le premier Etat nucléaire « failli ». L'accent est mis sur le rapprochement avec l'Inde et l'Afghanistan, et le développement économique et social. Pour sa part, la France doit développer un dialogue politique et stratégique avec Islamabad tant au niveau de l'exécutif que du Parlement, fondé sur de fortes exigences en matière de lutte effective contre le terrorisme, que l'armée doit considérer comme sa priorité tout en prenant des distances avec son obsession de la menace indienne.

a précisé que la communauté française au Pakistan ne comptait que 525 membres et que les échanges commerciaux entre les deux pays étaient très limités, de l'ordre de un milliard d'euros par an. La France jouit néanmoins d'une très bonne image, fondée sur le souvenir de la politique indépendante menée par le Général de Gaulle, la non-participation de notre pays à la guerre en Irak, une position de leadership européen et une bonne connaissance et donc un respect de la religion islamique, première communauté musulmane en Europe. Plus récemment, l'aide très efficace apportée par la France après le tremblement de terre de 2005 a été saluée. Les entreprises françaises présentes au Pakistan relèvent pour l'essentiel de la haute technologie, avec Sanofi-Aventis, Servier, Alcatel-Lucent, Sagem, Thalès, Areva T & D. Total y a implanté près de 400 stations-service, Carrefour est sur le point d'ouvrir un hypermarché à Lahore, Accor construit un Sofitel à Karachi. Enfin, les Pakistanais sont très reconnaissants du travail effectué par les archéologues français qui ont découvert, dans la vallée de l'Indus, des vestiges remontant à 6 000 ans avant Jésus-Christ.

Il est indéniable que le pays est marqué par l'insécurité, mais il est cependant possible de se rendre sans problème dans les villes principales.

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