Intervention de Catherine Marry

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 21 novembre 2007 : 1ère réunion
Orientation et insertion professionnelles — Audition de Mme Catherine Marry sociologue directrice de recherche au centre national de la recherche scientifique cnrs

Catherine Marry, sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

La délégation a entendu Mme Catherine Marry, sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur le thème d'étude qu'elle a retenu pour la préparation de son prochain rapport d'activité, à savoir l'orientation et l'insertion professionnelles, sous l'angle de la recherche d'un rééquilibrage entre femmes et hommes dans tous les métiers.

Résumant, pour commencer, les principaux résultats de ses recherches, Mme Catherine Marry a tout d'abord constaté que le renversement historique de la réussite scolaire au profit des filles était un fait social majeur, qui se vérifiait d'ailleurs un peu partout, y compris dans les pays en développement. Elle a ainsi relevé qu'en France le taux de réussite au baccalauréat était supérieur chez les filles : 81,8 %, contre 77,4 % pour les garçons, et qu'ainsi, au sein d'une même génération, 67,8 % de filles étaient bachelières, contre 56 % seulement de garçons, cette meilleure réussite des filles se retrouvant dans les cursus universitaires.

Elle a d'ailleurs remarqué que les diplômes jouaient un rôle essentiel comme levier de la féminisation des professions qualifiées, relevant qu'a contrario, les femmes étaient beaucoup moins présentes dans les métiers dont l'accès n'est pas conditionné par la possession d'un diplôme, comme par exemple la politique.

Elle a tempéré cependant l'optimisme de cette première conclusion en ajoutant que cette dynamique d'égalité restait encore inaboutie, dans la mesure où les orientations scolaires des filles demeuraient dans l'ensemble moins rentables en termes de carrière : même si les femmes ont, en partie, délaissé les filières des lettres et des arts d'agrément, au profit du droit, de l'économie, de la gestion, même si elles ont largement investi les écoles de commerce, elles restent très minoritaires dans les grandes écoles scientifiques ou dans les filières professionnelles et techniques industrielles.

Par ailleurs, elle a évoqué le cas particulier de l'informatique, constatant que la part des femmes avait régressé dans ce secteur au cours des dernières années. Elle a expliqué pour partie ce phénomène en estimant que les filles se détournaient souvent des ordinateurs à l'adolescence, à cause des stéréotypes masculins accusés que véhiculent l'image agressive du « hacker » ou la fréquence des jeux vidéo violents.

Elle a également relevé qu'après le bac, les filles s'orientaient plus souvent que les garçons vers l'université (66 %, contre 62 %), et moins vers les filières sélectives comme les instituts universitaires technologiques (8 %, contre 12 %) ou les classes préparatoires (10 %, contre 13 %).

Elle a jugé que l'orientation s'effectuait souvent en fonction du prestige des différentes disciplines, par des mécanismes d'autosélection, particulièrement prégnants chez les filles issues des milieux les moins favorisés, en constatant que ces dernières avaient moins confiance en elles et hésitaient davantage à s'orienter vers les filières les plus prestigieuses.

Elle a ensuite évoqué les professions supérieures les plus féminisées, notant qu'elles se situaient souvent dans le prolongement de métiers moins qualifiés où les femmes sont depuis longtemps très présentes, comme par exemple ceux de la santé.

Elle a relevé que la féminisation notable de la médecine et des professions juridiques (avocat, magistrat) s'accompagnait d'une certaine ségrégation par spécialités et modes d'exercice : en médecine, par exemple, les femmes sont mieux représentées parmi les salariés non hospitaliers et en gynécologie ou dermatologie, plus qu'en cardiologie, discipline plus prestigieuse. Elle a également souligné la forte proportion de femmes dans les métiers de bibliothécaire ou d'archiviste (77 %), dans ceux d'enseignant certifié ou agrégé (58 %), dans les fonctions liées aux « ressources et relations humaines » (50 %), alors qu'au contraire, dans les métiers d'ingénieur et de cadres techniques, la part des femmes oscillait entre un minimum de 2 % - pour les ingénieurs et cadres de chantiers du bâtiment et des travaux publics - et un maximum de 33 % - pour les ingénieurs et cadres de recherche et développement en chimie et biologie.

Elle a ensuite avancé quelques explications sociologiques de la « sexuation » des études et des métiers, qui s'accompagne de leur hiérarchisation (le masculin est supérieur au féminin).

Elle a d'abord évoqué le rôle que pouvaient jouer des stéréotypes de sexe, qui attribuent à chaque sexe des qualités différentes, prétendument naturelles (force, créativité, agressivité aux hommes ; docilité, minutie, altruisme aux femmes), alors qu'elles sont en réalité inculquées par les parents, l'école et les pairs tout au long de la vie.

Tout en se réjouissant que, dans tous les milieux sociaux, les parents attachent maintenant autant d'importance à l'éducation des filles qu'à celle des garçons, elle a estimé que les projets de vie continuaient de différer, la réussite matérielle étant une attente prioritaire pour les fils, alors que les filles sont davantage pressenties pour le bonheur domestique.

Elle a ensuite estimé que le coût de la transgression n'était pas à négliger : filles et garçons tendent à se conformer aux attentes sociales liées à leur sexe pour être mieux acceptés et plaire à l'autre sexe, alors que ceux et surtout celles qui y dérogent se heurtent à de nombreuses difficultés.

Elle a ainsi pointé l'hostilité forte à laquelle pouvaient être confrontées les femmes qui s'aventuraient dans certains milieux professionnels très masculins. Elle a estimé en effet que les professions et les filières les plus sélectives se « défendaient » contre l'arrivée des femmes, rappelant que l'Ecole polytechnique ne s'était ouverte aux femmes qu'en 1972, l'Ecole des hautes études commerciales (HEC) qu'en 1973 et l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm qu'en 1986. Elle a dénoncé le rôle dissuasif que pouvait également jouer, dans cette perspective, le bizutage.

Elle a, pour finir, formulé un certain nombre de propositions pour améliorer la situation dont elle venait de dresser le constat.

Elle a, tout d'abord, recommandé la généralisation d'une formation initiale et continue sur les questions de division sexuée des savoirs et des métiers, ainsi que sur les mécanismes d'exclusion des filles, auprès de l'ensemble des acteurs du système éducatif. Elle a également souhaité que soient renforcés les rôles et les moyens des chargé(e)s de l'égalité dans les académies et que leur mission soit mieux intégrée dans les objectifs généraux de lutte contre les inégalités. Enfin, elle a plaidé en faveur de la mise en place d'un suivi et d'un soutien psychologique, dans les écoles et les entreprises, en faveur des jeunes femmes qui ont choisi des filières très masculines, surtout dans les métiers ouvriers.

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