Nous avons effectivement parlé hier au ministre, Marc-Philippe Daubresse, de la possibilité de réaffecter une partie des fonds du FNSA aux départements. Il a d'abord été catégorique : c'est impossible ! A la fin de la réunion, il s'est montré moins affirmatif...
Après l'exposé des enjeux budgétaires, je souhaite vous présenter les conditions dans lesquelles le RSA s'est mis en place et les questions qui se posent aujourd'hui. L'ampleur du sujet nous a conduits à nous en tenir aux points essentiels.
Il faut tout d'abord souligner que la multiplicité des acteurs, voulue dès l'origine, est source de difficultés persistantes : juridiquement, le RSA est attribué par le président du conseil général, lequel finance en grande partie l'allocation, supervise l'ensemble du dispositif et, en raison de ses compétences traditionnelles, s'occupe du volet insertion sociale ; parce qu'elles instruisent le dossier et versent l'allocation, les Caf, et dans une moindre mesure la mutualité sociale agricole (MSA) ont le rôle de guichet d'accueil ; Pôle emploi est chargé d'assurer un accompagnement professionnel adapté. Pour autant, d'autres acteurs peuvent être amenés à intervenir selon les spécificités locales de l'action publique, soit au niveau du dépôt des dossiers, soit dans les volets d'insertion professionnelle ou sociale : les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale, les associations du type mission locale ou Plie (plan local pour l'insertion et l'emploi), les organismes de placement professionnel, etc.
Cette multiplication des acteurs est une constante du monde social et le législateur a souhaité utiliser cette richesse tout en incitant à un travail collectif. Ainsi, diverses conventions doivent être signées, principalement entre le conseil général, les Caf et Pôle emploi.
On peut déjà relever, comme première difficulté, que les ressorts territoriaux de ces différents acteurs ne coïncident pas toujours : toutes les Caf ne sont pas encore départementales ; Pôle emploi a maintenant une structure fortement régionalisée ; les conseils généraux s'organisent parfois en divisions territoriales disposant d'une grande latitude et n'étant pas nécessairement liées hiérarchiquement au service central qui est en contact direct avec la Caf.
Au-delà de cette observation, on peut citer trois conséquences potentiellement négatives de cette complexité. D'abord, l'éventuel cloisonnement entre les approches sociale et professionnelle. Au moment de l'attribution, le conseil général oriente le bénéficiaire soit vers Pôle emploi ou un autre organisme de placement en vue d'une insertion professionnelle - c'est la voie « prioritaire » -, soit vers un organisme compétent en matière d'insertion sociale. Certains conseils généraux estiment que cette première orientation peut segmenter l'accompagnement des bénéficiaires et ne s'effectue pas dans une complémentarité suffisante. Entre six mois et un an après la première orientation, une équipe pluridisciplinaire, constituée à l'initiative du conseil général, peut être amenée à examiner le dossier des personnes qui restent durablement sur la voie d'une insertion sociale. L'intervention de cette équipe est peut-être trop tardive. Ce sentiment est conforté par ce qui nous a été dit lors de nos déplacements, à Bordeaux ou à Grenoble : il apparaît que les bénéficiaires du RSA orientés vers Pôle emploi relèvent du droit commun des demandeurs d'emploi et ne sont pas suivis par des conseillers spécifiques ou des procédures adaptées.
Ensuite, des problèmes persistants d'échanges informatiques. Un dispositif comportant autant d'acteurs ne peut correctement fonctionner que s'ils sont tous suffisamment informés des dossiers des bénéficiaires, ce qui impose des contraintes techniques : le système informatique des Caf, unique pour l'ensemble des prestations qu'elles gèrent, est l'un des plus volumineux de France alors que les conseils généraux utilisent différents logiciels, par nature plus modestes.
Selon les conseils généraux, qui remboursent les Caf, les factures émises par elles ne sont pas toujours individualisées, ce qui peut alimenter des doutes sur la fiabilité des données et, dans le contexte financier actuel, susciter une fébrilité inutile. Qui plus est, la loi a mis l'accent, par exemple en créant un référent unique par allocataire, sur l'individualisation du traitement des dossiers, si bien que le partage des informations doit bien être le plus large possible.
Des groupes de travail ont été constitués pour améliorer la situation mais on peut déjà s'interroger sur les modifications structurelles que la Cnaf engage mensuellement sur sa base de données et qui semblent à chaque fois obliger les conseils généraux à actualiser leurs systèmes informatiques. La caisse nationale ne pourrait-elle pas y procéder moins fréquemment ? Ces bases de données nécessitent-elles toujours des modifications telles qu'elles empêchent la récupération des informations par les collectivités ?
Enfin, on le voit plutôt avec Pôle emploi, certaines difficultés sont apparues dans le traitement des données personnelles. Elles semblent en voie de résorption mais le législateur ne pourrait-il autoriser l'automatisation des flux de transmission ? Il en résulterait une meilleure gestion de l'allocation grâce à un traitement plus précis des dossiers.
Troisième conséquence : le RSA reste complexe pour les bénéficiaires, dès le stade de la demande, puis lors des différentes démarches exigées. Si d'importants progrès ont été réalisés, notamment informatiques, il n'y a pas encore de guichet unique personnel, qui supposerait une évolution majeure du système de prise en charge et son décloisonnement. Cela peut partiellement expliquer une montée en charge du RSA-activité, plus lente que les estimations qui en avaient été faites.
Cependant, la complexité administrative ou la difficulté de diffuser des informations simples à des publics cibles ne sont pas suffisantes pour comprendre ce phénomène ; on peut également estimer que des bénéficiaires potentiels choisissent de ne pas solliciter l'allocation, par exemple parce que le montant estimé serait faible au regard des démarches à effectuer ou parce que le RSA reste assimilé au RMI, ce qui peut amener un sentiment de stigmatisation ou de disqualification sociale pour des gens qui travaillent, même s'ils n'en retirent que des ressources faibles. Il faudra approfondir l'analyse de ces comportements individuels dans le cadre d'une évaluation à moyen terme du RSA.
Finalement, ce contrôle budgétaire met en exergue le délicat équilibre entre efficacité des politiques publiques, justice sociale et juste niveau des dépenses. Par exemple, l'obligation pour les allocataires de fournir une déclaration trimestrielle des revenus part d'une idée positive : adapter l'allocation au plus près de la situation personnelle, au bénéfice de l'allocataire quand sa situation se dégrade, au bénéfice des finances publiques quand sa situation s'améliore. Pour autant, à quel moment la mesure entraîne-elle un coût disproportionné, tant pour les individus que pour les gestionnaires ? Le Gouvernement l'a bien compris, puisque cette déclaration qui tenait sur deux pages et contenait seize catégories de ressources est depuis peu limitée à une page et cinq catégories. Coûteuse en termes de gestion, cette obligation est également lourde pour les allocataires et elle a des conséquences immédiates : remboursements demandés aux allocataires ou réductions d'allocation pour indu.
Il y a là matière à réflexion ; je pense qu'il faudrait garder un peu de souplesse et éviter, autant que possible, la rétroactivité des décisions.
Rapidement, trois autres points. D'abord, les retards dans la mise en place de l'allocation personnalisée de retour à l'emploi (Apre). Cette allocation a été créée pour compléter les aides existantes et répondre à des besoins spécifiques du retour à l'emploi, en matière de transport, d'habillement, de logement, d'accueil des jeunes enfants, d'obtention d'un diplôme ou d'une certification. Elle peut être distribuée par le référent unique, prévu par la loi pour accompagner les allocataires, c'est-à-dire le plus souvent par Pôle emploi. Des crédits de 75 millions étaient prévus en 2009 mais très peu ont été consommés cette année-là : l'aide a été volontairement laissée à la discrétion des acteurs locaux, pour lui donner toute son efficacité, mais cela a pu entraîner une certaine inertie ou une peur de la dépense de la part de gestionnaires peu habitués à ce type de liberté... En outre, les différents arrêtés permettant de « faire descendre » les fonds au niveau local ont beaucoup tardé : par exemple, en Isère, l'arrêté du préfet pour répartir les fonds a été signé le 27 novembre 2009 pour les crédits 2009. Il s'agissait certes de la première année mais, dans ce même département, l'arrêté 2010 n'était pas encore signé lors de notre déplacement début juillet. Les crédits de l'Apre s'élèvent à 150 millions en 2010. Le projet de loi de finances pour 2011 propose un montant de 84 millions, qui nous semble suffisant vu la montée en charge, plus lente que prévue, de cette allocation : en Isère toujours, les crédits 2009 n'ont été consommés qu'à hauteur de 20 % à la date du 30 juin 2010. Au final, nous croyons que l'Apre peut apporter un coup de pouce réel aux bénéficiaires du RSA, mais elle doit être simplifiée et sa gestion plus réactive. Alors que le code du travail ne le prévoit pas explicitement, elle est de fait divisée en deux enveloppes : une nationale, gérée par Pôle emploi qui la redistribue dans ses antennes locales ; une départementale, attribuée par le préfet aux différents organismes compétents. Il semblerait plus opérationnel de confier directement l'ensemble de l'Apre à Pôle emploi.
Deuxième sujet : la récente mise en place du RSA jeunes. Le RSA a été étendu aux moins de vingt-cinq ans depuis le 1er septembre, à la condition qu'ils aient travaillé suffisamment dans les trois ans qui précèdent la demande. Il est encore trop tôt pour évaluer la mise en place de cette mesure, mais le législateur y sera naturellement attentif.
Enfin, l'extension aux départements d'outre-mer, qui aura lieu le 1er janvier prochain. Il s'agit d'une mesure de justice et d'équité. Il faudra veiller à ce que les moyens humains et techniques des caisses soient ajustés pour gérer l'afflux certain de dossiers. Le passage du RMI au RSA est à peu près automatique mais la partie activité de l'allocation risque d'entraîner de très nombreuses demandes sur ces territoires où l'activité économique est particulièrement tendue. Par ailleurs, nous avons pris acte du choix du Gouvernement de conserver parallèlement le revenu supplémentaire temporaire d'activité, pour ceux qui en sont aujourd'hui bénéficiaires et qui ne souhaitent pas passer au RSA. Ce RSTA a été créé il y a un an et demi, au moment de la crise sociale dans les Antilles. Ses caractéristiques sont différentes de celles du RSA, puisqu'il tend à apporter un complément forfaitaire de rémunération à ceux qui travaillent mais dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil. Bien sûr, on ne pourra pas cumuler les deux allocations. L'idée du Gouvernement est que les bénéficiaires choisissent l'allocation la plus adaptée à leur situation individuelle ; il n'est pas certain que la population soit à même de faire ce calcul. Qui plus est, cela fait coexister deux dispositifs proches et assez complexes.
Pour conclure, nous souhaitons saluer l'impressionnant travail des personnels des Caf qui ont fait face à un pic d'activité très important pendant environ un an : 14 % de visites supplémentaires et 40 % d'appels téléphoniques en plus. Les caisses se sont adaptées : des recrutements ont eu lieu mais, en raison des délais de formation, les personnels sont parfois arrivés « après la bataille » ; de nombreuses heures supplémentaires ont été réalisées ; des caisses ont fermé leurs bureaux certains jours pour traiter le stock de dossiers en attente ; une régulation nationale a été organisée.
Ces graves difficultés, qui appartiennent - espérons-le - au passé, doivent nous amener à réfléchir sur les délais d'expérimentation de la mise en place d'une allocation telle que le RSA. Le temps de la décision politique et celui de la capacité à mettre les choses en place sur le terrain sont nettement différents et notre pays oublie trop souvent cet impératif.
Cela étant, nos observations ne doivent pas réduire l'importante avancée que constitue le RSA ; c'est un peu la particularité d'un contrôle budgétaire que de mettre en avant les difficultés pour mieux les résorber et il ne faudrait pas que vous retiriez de celui-ci une image négative de ce RSA.