Intervention de Christian Charpy

Mission commune d'information relative à Pôle emploi — Réunion du 1er mars 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Christian Charpy directeur général de pôle emploi

Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi :

J'avais été auditionné par le Sénat lors de la création de Pôle emploi. Un bilan, deux ans plus tard, me paraît utile.

La fusion n'est pas totalement achevée : réunir 50 000 personnes venues de deux institutions si différentes que l'ANPE et les Assedic n'est pas chose aisée ! D'autant que la fusion est intervenue dans une conjoncture qui n'avait plus rien à voir avec celle qui prévalait à l'automne 2007, lorsque la loi organisant la fusion a été élaborée. A l'époque, le chômage était orienté à la baisse depuis trois ans et l'on craignait plutôt des difficultés de recrutement. La perspective d'un taux de chômage à 5 % semblait réaliste. Puis la crise financière, économique et sociale a submergé notre pays.

Et pourtant, nous avons été mieux à même de prendre en charge les demandeurs d'emploi que ce n'aurait été le cas avec deux institutions séparées. Ce matin, visitant un centre d'apprentissage, le Président de la République a rappelé les retards dans le traitement des dossiers à l'époque de l'ANPE et des Assedic. Aujourd'hui, on ne déplore plus aucun retard dans l'indemnisation ; et les services ont été rendus avec certaines difficultés mais avec efficacité.

Quelques mots du fonctionnement général de Pôle emploi. J'ai été nommé à la tête de l'instance de préfiguration en avril 2008. Nous avons très rapidement fixé les principes d'organisation des directions générales, régionales, territoriales ainsi que des équipes locales. Pôle emploi est un établissement public d'Etat mais qui présente nombre de particularités.

Son conseil d'administration tripartite est doté de pouvoirs importants. Il vote en toute liberté le budget de l'établissement, à une majorité des deux tiers qui impose de trouver un consensus entre les partenaires sociaux et l'Etat. L'accord n'a pas été toujours facile à obtenir, mais nous y sommes parvenus, y compris pour le budget 2011.

Le personnel est ensuite régi par une convention collective, négociée au printemps et à l'été 2009 et signée à l'automne. Les agents issus de l'ANPE étaient soumis à un statut de droit public ; 60 % d'entre eux ont opté pour la convention collective, si bien que 80 % du personnel en relèvent aujourd'hui.

Enfin, l'établissement établit une comptabilité privée, la continuité budgétaire et financière n'ayant pas souffert du basculement. Nos comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes - et ils l'ont été sans problème dès 2009.

La structure managériale a été compliquée à mettre en place car il y avait deux directions générales et deux réseaux. J'ai veillé à ce qu'aucune structure ne prenne le pas sur l'autre et, comme ancien dirigeant de l'ANPE, j'étais soucieux de ne pas donner le sentiment de vouloir « absorber » l'Unedic. Ce sont les compétences qui ont prévalu et le souci d'équilibre entre les deux origines.

La mise en place de l'offre de services a été plus compliquée. Initialement, en période de réduction du chômage, on avait annoncé que Pôle emploi renforcerait l'accompagnement, avec un objectif de soixante demandeurs d'emploi suivis, en moyenne, par chaque conseiller, contre soixante-quinze auparavant. La crise a tout changé : il fallait recruter ou redéployer les équipes. Nous avons fait les deux, recrutant 3 500 personnes à périmètre d'action constant. Malgré cela, le nombre de demandeurs par conseiller est d'environ cent ou cent dix, avec de forts écarts régionaux ou infrarégionaux. Nous avons cependant mis en place des programmes spécifiques pour certains demandeurs d'emploi - licenciés économiques, en contrat de transition professionnelle (CTP) ou personnes très éloignées de l'emploi : on compte alors un conseiller pour cinquante à soixante demandeurs d'emploi, ce qui produit des résultats.

Point intéressant de la fusion, elle a mis un terme à la distinction entre chômeurs indemnisés, qui avaient droit à des formations rémunérées et à des aides à la mobilité géographique, et chômeurs non indemnisés, qui ne bénéficiaient pas de ces dispositifs. Aujourd'hui, tous les demandeurs d'emploi ont droit aux mêmes aides.

Nous avons également veillé à diversifier les modalités d'accès aux services de l'emploi, en maintenant la cotraitance avec les opérateurs tels que les missions locales et Cap Emploi et en faisant largement appel aux opérateurs privés de placement ; alors que nous avions prévu de leur sous-traiter les dossiers d'environ 80 000 demandeurs d'emploi, ce sont finalement 200 000 personnes qui ont été concernées. Certes, cette sous-traitance est coûteuse, mais il ne me semble pas mauvais d'organiser une sorte de concurrence interne et de pouvoir mieux gérer les flux de demandeurs d'emploi par ce biais.

Pôle emploi, davantage que les services publics de l'emploi britannique ou allemand, s'adresse également aux entreprises. En Grande-Bretagne, on s'occupe principalement de l'employabilité des chômeurs et les échanges avec les entreprises visent surtout à assurer la transparence du marché du travail, en recevant le plus d'informations possible sur les offres d'emploi. Pôle emploi, pour sa part, a deux catégories de « clients » : les entreprises et les demandeurs d'emploi. Pour chercher de nouveaux « clients » parmi les entreprises, nous avons créé des forces de prospection dans les directions régionales, ainsi qu'un numéro unique d'appel, le 39.95, pour le dépôt des offres d'emploi. Nous aidons les entreprises à recruter 50 000 à 60 000 demandeurs d'emploi chaque semaine.

Après la fusion, je voulais éviter que Pôle emploi devienne une institution désincarnée, dirigée depuis Paris, car l'emploi se trouve dans les territoires. J'ai donc décidé une territorialisation pour établir le diagnostic et la stratégie en matière de partenariats - avec les collectivités locales, les maisons de l'emploi, le monde associatif. Nous avons signé des conventions avec les départements, pour améliorer l'offre de services aux allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Et, dès lors que nous sommes prescripteur et financeur de formations, nous travaillons avec les conseils régionaux pour définir l'offre.

Deux réformes étaient nécessaires pour compléter la fusion. La mission d'information sénatoriale relative à la formation professionnelle, dont le rapporteur était M. Jean-Claude Carle, avait suggéré que les conseillers d'orientation de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) soient transférés à Pôle emploi afin d'assurer une meilleure cohérence entre accompagnement, orientation professionnelle et formation. La loi a été votée en novembre 2009 et le transfert a eu lieu en avril 2010 : un peu moins de 1 000 techniciens du travail et psychologues du travail ont rejoint, sans drames, notre institution.

Pour la collecte des cotisations d'assurance chômage, l'Unedic avait son propre réseau. La loi a prévu un transfert de cette tâche aux Urssaf au 1er janvier 2012. Nous avons avancé la date et le transfert a eu lieu le 1er janvier dernier. Ce ne fut pas si facile, car les mille trois cents salariés affectés au recouvrement des cotisations se sont retrouvés dépourvus de mission : nous avons élaboré pour eux un plan de reclassement. Il fallait aussi assurer la continuité du recouvrement des cotisations. En outre, la collecte nous permettait d'obtenir des informations précieuses sur la situation économique des entreprises et l'évolution de l'emploi : nous avons passé une convention avec l'Acoss afin de continuer à recevoir ces informations.

La naissance de Pôle emploi a été un peu agitée. Devant les commissions parlementaires, nous avons tenté d'expliquer ces difficultés. Il faut dire que chaque jour, des articles de presse parlaient de vaste désordre, d'inquiétude du personnel...

A l'initiative du ministre de l'emploi d'alors, M. Laurent Wauquiez, une enquête a été menée, en septembre et octobre 2010, pour évaluer comment nos clients perçoivent les services rendus par Pôle emploi. Sur 500 000 demandeurs d'emploi contactés par internet, 100 000 ont répondu, ce qui est un très bon résultat, et, contrairement aux idées reçues, 66 % se disent satisfaits. Toutefois, si 80 % sont satisfaits du fonctionnement de l'indemnisation, 52 % seulement le sont de l'accompagnement. Mais lorsque l'on est au chômage, peut-on être satisfait avant d'avoir retrouvé un emploi ? Ils souhaitent, en tout cas, des contacts plus réguliers avec leur conseiller. Et sur 100 000 entreprises interrogées, 23 000 ont répondu, les deux tiers exprimant leur satisfaction. Le reproche essentiel concerne une réactivité insuffisante sur les dossiers de recrutement difficiles.

Soumis au code du travail, Pôle emploi doit respecter les procédures d'information et de consultation des comités d'entreprise. Or cela n'a pas été simple, en particulier sur un point essentiel, la création des sites mixtes. Il a fallu négocier avec les partenaires sociaux en interne, alors que certains syndicats ont tenté jusqu'au dernier instant d'empêcher la fusion, par des recours en référé en Conseil d'Etat, et entendaient bloquer la concertation. Celle-ci a été compliquée, mais nous en sommes à peu près sortis maintenant.

Nous avons signé beaucoup d'accords avec les organisations syndicales : convention collective, accords sur le temps de travail, accord sur les seniors, accord sur l'égalité sociale et professionnelle qui sera signé dans les prochains jours, accord sur les conditions de reclassement du personnel de l'Afpa... Cela a eu bien sûr un coût, auquel votre mission d'information s'intéressera peut-être.

Le personnel a vécu la fusion avec intérêt, enthousiasme, mais en subissant une lourde charge de travail et un stress lié à la réorganisation et à différents problèmes techniques, par exemple la fusion des systèmes informatiques... A l'automne 2009, j'ai lancé auprès du personnel une enquête sur la perception des risques psychosociaux. Il en ressort une difficulté d'appréhension des nouveaux métiers. Les agents de l'ANPE ne s'occupaient que de recherche d'emploi, les salariés des Assedic que des questions d'indemnisation. Au moment de l'inscription, les trois quarts des questions concernent l'indemnisation et une grande part du personnel ne sait pas y répondre. Au départ, nous avions envisagé que le demandeur d'emploi ait un interlocuteur unique, compétent à la fois pour le placement et l'indemnisation. Mais la perspective de ce métier unique a provoqué un trouble énorme au sein du personnel, qui a ressenti une perte d'expertise professionnelle. Nous avons donc décidé de changer cela : à partir d'un socle commun de compétences, pour pouvoir répondre aux premières questions posées dès l'accueil, nous maintiendrons des expertises professionnelles propres, intermédiation auprès des entreprises, gestion des droits, orientation professionnelle. Environ 20 % ou 25 % des personnes exerceront une double compétence, ce qui permettra de s'adapter aux pics saisonniers, avril-mai pour la recherche d'emploi, septembre-octobre pour l'indemnisation... Cette réorientation est indispensable pour apaiser le climat social et améliorer le fonctionnement. Il y a eu ces deux dernières années trois ou quatre jours de grève, suivie par 30 % à 40 % des agents. Tant de bouleversements se sont produits en trois ans ! Néanmoins le dialogue social a été maintenu et personne n'imagine aujourd'hui un retour en arrière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion