Puis M. Thomas Couppié a analysé les explications de ce phénomène, en rappelant, tout d'abord, celle traditionnellement avancée selon laquelle, dès l'école, les femmes ne suivent pas les mêmes formations et ne se destinent donc pas aux mêmes emplois que les hommes.
A ce titre, il a noté qu'au lycée, on comptait plus de 82 % de filles en section littéraire (L) et près de 66 % en section tertiaire (STT), alors qu'en revanche, les garçons monopolisaient les sections industrielles, dans une proportion de 92 %, et restaient majoritaires, à 56 %, dans les sections scientifiques. En outre, il a relevé que dans les formations professionnelles courtes, plus de 85 % des effectifs féminins étaient regroupés dans quatre spécialités tertiaires : le secrétariat, la comptabilité, le commerce et la santé.
S'agissant de l'enseignement supérieur, il a précisé que si, depuis une quarantaine d'années, les filles avaient diversifié leurs orientations au profit du droit, de l'économie et de la médecine, elles avaient néanmoins continué à renforcer leur présence dans les disciplines littéraires et restaient minoritaires en sciences. Il a ajouté que les grandes écoles de commerce étaient devenues assez largement mixtes, avec 46 % de femmes, alors que celles d'ingénieurs demeuraient un bastion masculin, avec seulement 23 % de femmes.
a ensuite évoqué la méthode suivie pour tester l'hypothèse du lien entre orientations scolaires et orientations professionnelles ultérieures, en faisant observer que le but de ces travaux était de montrer comment, au moment de l'entrée dans la vie active, la ségrégation observée à l'école se transformait, ou non, en ségrégation sur le marché du travail. Il a précisé que cette méthode consistait à analyser la ségrégation professionnelle comme le fruit d'un processus en deux étapes, en isolant, pour chaque profession, deux composantes, l'une d'origine éducative, « héritée » de l'école, et l'autre post-éducative, c'est-à-dire « construite » sur le marché du travail.
Il a indiqué que les calculs effectués à partir de différentes sources statistiques faisaient apparaître une ségrégation aujourd'hui encore relativement importante en France, avec un taux de 25 % à 28 % selon le type de main-d'oeuvre étudiée, ce qui signifie qu'il faudrait globalement réaffecter le quart de la population active pour parvenir à une répartition équilibrée entre hommes et femmes dans les différentes professions. Il a ensuite estimé que trois cinquièmes de cette ségrégation professionnelle pouvaient être imputés à des facteurs éducatifs, les deux autres cinquièmes se rattachant à une ségrégation supplémentaire qui prend corps sur le marché du travail.
Prolongeant cette évaluation générale par quelques exemples démontrant l'hétérogénéité des professions au regard de la ségrégation, il a évoqué la forte prépondérance masculine, qui pourrait s'expliquer, dans certaines professions, par la ségrégation éducative antérieure, à l'instar de nombre d'emplois dans le monde industriel (avec, par exemple, 5 % de femmes dans les postes d'ouvriers qualifiés de la métallurgie ou de la mécanique, et parmi les ingénieurs, 10,9 % de femmes) et, dans d'autres professions, par des mécanismes de ségrégation prenant essentiellement corps sur le marché du travail à l'instar des professions associées à une image masculine et peu ancrées dans un cursus de formation initiale, comme celles qui se rattachent au domaine de la sécurité (9,5 % de femmes dans l'armée et la police). En revanche, il a mis en évidence la surreprésentation des femmes, qui peut être rattachée principalement à leur orientation scolaire, dans les professions tertiaires réglementées du secteur médical ou paramédical (83 % de femmes dans la profession d'infirmier, par exemple), ainsi que dans la banque ou l'assurance. A l'inverse, cette surreprésentation peut ne dépendre pour l'essentiel que de comportements sur le marché du travail, à l'instar des cas observés parmi les employés de la fonction publique ou du secteur des services à la personne (96 % des employés de maison sont des femmes).
Analysant ensuite la répartition des différents types de groupes professionnels et leurs contributions aux différentes sources de ségrégation professionnelle, à partir de l'enquête « Emploi 2002 » réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), il a fait apparaître globalement que 40 % des emplois expliquaient les deux tiers de la ségrégation professionnelle d'origine éducative, tandis que seul un tiers des emplois présentait un caractère « mixte ».
S'efforçant de tirer de ces observations des recommandations utiles aux politiques économiques, il a constaté que la ségrégation professionnelle était loin de dériver uniquement et mécaniquement de la ségrégation opérée sur les bancs de l'école et, par conséquent, a estimé que la diversification des orientations féminines ne pouvait, à elle seule, résoudre le problème de la ségrégation professionnelle entre hommes et femmes. Il a conclu son propos en soulignant la nécessité de s'interroger sur les politiques de recrutement des employeurs, et, plus globalement, sur les processus de distribution des individus dans les différentes professions.
Prolongeant cette dernière remarque, Mme Dominique Epiphane s'est alors livrée à une analyse du degré d'ouverture aux deux sexes des offres d'emploi dans les petites annonces.
Elle a constaté qu'en dépit de l'interdiction des discriminations à l'embauche fondées sur le sexe, qui résulte du code du travail et du code pénal, l'analyse des offres d'emplois révélait que certains annonceurs s'adressaient clairement à un sexe ou à l'autre, par des formules telles que « recherche vendeuse », par exemple.
Elle a indiqué qu'une étude lexicale des annonces parues dans la presse nationale ou régionale permettait de conclure que seules 27 % des annonces s'adressaient indistinctement aux femmes et aux hommes, les postes de cadre apparaissant, en particulier, plus ouverts aux deux genres, tandis que 30 % des petites annonces s'adressaient explicitement à un seul des deux sexes.
Puis elle a présenté les résultats d'une enquête menée auprès de 4 000 recruteurs sur leurs préférences éventuelles à l'égard du sexe des candidats, et observé qu'en dépit de la sous-estimation inhérente à ce type d'enquête, plus d'un quart des recruteurs avaient répondu ouvertement que le sexe des candidats au poste à pourvoir ne leur était pas indifférent. Elle a noté que cette préférence avait été plus souvent exprimée par les recruteurs ayant choisi un homme et par ceux se trouvant dans de petites entreprises.
Elle a également signalé que la proportion de recruteurs qui n'étaient pas indifférents au sexe des candidats était minimale pour l'embauche de cadres non dirigeants (2 % seulement), un peu plus élevée pour l'embauche de cadres dirigeants (12 %) et maximale pour les fonctions de production (48 %).
S'agissant des motifs invoqués à l'appui d'une préférence de genre à l'embauche, elle a indiqué que l'argument le plus fréquemment utilisé, lorsqu'il s'agissait de favoriser une candidature féminine, était l'inclination des clients ou des usagers. Elle a ajouté que l'intégration dans les équipes existantes était le motif le plus souvent retenu pour le choix de l'un plutôt que l'autre sexe dans des emplois de cadre, alors que la nature du poste servait généralement de justification à ce choix pour des emplois de non-cadre.