Intervention de Christian Babusiaux

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 septembre 2010 : 1ère réunion
Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes sur les participations de la caisse des dépôts et consignations dans l'économie mixte locale

Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes :

L'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de votre commission s'inscrit dans le prolongement des travaux qu'elle a menés, il y a quelques mois, à sa propre initiative, sur le pilotage des participations de la Caisse des dépôts et consignations dans les sociétés d'économie mixtes locales, et qui ont donné lieu à un « rapport particulier » au sens de notre procédure de contrôle des entreprises publiques, dont la synthèse est jointe à la communication de la Cour. Ce rapport particulier, qui comporte dix-neuf recommandations, a d'ores et déjà permis d'améliorer le contrôle interne et le pilotage du portefeuille, qu'il s'agisse du système d'information de gestion des métiers, du suivi des SEM sensibles et de la politique de provisionnement, des processus d'engagement ou encore de la prévention des risques. Dans le rapport rédigé à la demande de votre commission, la Cour s'est efforcée d'approfondir d'autres points, notamment l'apport des sociétés d'économie mixte locales au développement territorial et la nouvelle doctrine d'intervention définie par la Caisse dans son plan stratégique « Elan 2020 ». Notre rapport prend aussi en compte les évolutions juridiques récentes relatives au droit des sociétés locales et le point de vue des principales associations de collectivités territoriales.

Le rapport a mis en évidence quatre points saillants. En premier lieu, il apparaît que la présence de la Caisse au capital de sociétés d'économie mixte locales (SEML) résulte en grande partie de l'histoire, et que son importance est désormais assez limitée. La Caisse dispose aujourd'hui d'un portefeuille de 442 participations, d'une valeur de 222 millions d'euros en coût historique et de 590 millions en quote-part d'actif net comptable détenu. Elle est ainsi présente au capital de 42 % des SEML recensées par la Fédération des entreprises publiques locales. L'importance de ce portefeuille doit cependant être relativisée : il ne représente qu'un peu plus de 1 % de la valeur d'acquisition des participations de l'établissement public au 31 décembre 2009. Ce portefeuille résultant de la sédimentation de plusieurs époques porte la marque de la reconstruction de l'après-guerre et de la politique d'aménagement du territoire des années 1960. Cet investissement est concentré dans le secteur de l'immobilier résidentiel - qui représente en valeur la moitié des participations - et dans quelques régions : l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et les Pays de la Loire, sans oublier l'outre-mer. En nombre de participations, c'est le secteur de l'aménagement qui domine, puisque la Caisse est présente au capital de plus de 60 % des SEML d'aménagement. Le portefeuille de SEML comprend près d'un tiers de SEML dites « faîtières », au nombre de 127, qui détiennent elles-mêmes près de 320 participations aux statuts juridiques très variés - pour l'essentiel des sociétés civiles immobilières et des sociétés par actions simplifiées - dans lesquelles l'établissement public est souvent aussi actionnaire direct. La structure du portefeuille traduit avant tout la volonté de la Caisse de répondre aux sollicitations des collectivités locales, sans toujours suivre des orientations stratégiques. Il en est résulté un portefeuille qui peut sembler hétérogène, du fait d'une forte dispersion des montants investis et des taux de détention et d'une grande diversité des SEML de gestion.

Ce portefeuille n'est pourtant pas un simple héritage historique : il permet encore à la Caisse et à ses filiales d'entretenir un réseau local, essentiel dans le secteur de l'économie mixte. La Caisse s'est d'ailleurs attachée à mettre fin aux conflits d'intérêt parfois dénoncés par les chambres régionales des comptes : plusieurs sociétés du groupe Caisse des Dépôts, prestataires des SEML, avaient adopté de très longue date un modèle de travail en réseau qui n'était pas dépourvu d'ambiguïté. Les risques de conflits d'intérêt n'ont pas totalement disparu.

En deuxième lieu, les risques financiers supportés par la Caisse des dépôts restent limités. L'implication de la Caisse dans l'économie mixte locale ne consiste pas seulement dans des prises de participation minoritaires, mais également dans l'octroi de prêts sur fonds d'épargne - 5,2 milliards d'euros en 2009 - et de prêts de la direction bancaire - 339 millions - accordés dans un cadre concurrentiel. Les activités d'investisseur, de prêteur sur fonds d'épargne et de banquier à court terme à l'égard des SEML présentent des risques limités et globalement maîtrisés. En effet, les processus d'engagement s'appuient sur des procédures et des délégations de compétence normées et bien rodées. Le système de contrôle interne a beaucoup progressé depuis 2008. En outre, les prêts sur fonds d'épargne sont couverts par de larges garanties publiques. La limitation des risques encourus par la Caisse au titre de son activité bancaire repose quant à elle sur la connaissance précise des SEML par le réseau, qui ne cherche pas à conquérir des parts de marché au détriment de la maîtrise de ses risques. La participation de la Caisse au capital des SEML est d'ailleurs toujours minoritaire ; la contrepartie est évidemment que l'essentiel du risque repose sur les collectivités et leurs groupements, en leur qualité de garants. En ce qui concerne la Caisse, l'amélioration du contrôle interne et la mise en oeuvre des règles prudentielles dites « Bâle III » limitent aussi les risques liés à ce portefeuille.

Troisièmement, l'environnement juridique et financier dans lequel s'inscrivent les SEML et leurs actionnaires est instable. L'impact de la loi du 29 mai 2010 relative au développement des sociétés publiques locales reste difficile à appréhender, mais il semble que les transformations de SEML en sociétés publiques locales (SPL) ou en sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) seront plus nombreuses pour les petites SEML municipales et dans le secteur de l'aménagement que pour les autres sociétés. Le désir des collectivités de travailler avec des aménageurs qu'elles ont elles-mêmes créés et qui leur sont propres devrait en effet les conduire à utiliser les nouvelles possibilités ouvertes par la loi. Parallèlement, les communes pourraient transformer de petites SEML en SPL pour simplifier leur gouvernance.

Tout aussi important est le contexte financier, car la Caisse et les collectivités sont confrontées dans ce domaine à de fortes contraintes. La CDC attend désormais de ses investissements une rentabilité financière à long terme, alors que, pour l'instant, son portefeuille ne génère que très peu de dividendes. Elle prévoit même d'autofinancer à l'avenir une part importante de ses investissements dans le secteur de l'économie mixte, et souhaite donc accroître la rotation de son portefeuille de SEML par un recentrage sur les sociétés « à enjeux », ce qui constitue une rupture par rapport au passé. Elle se heurte cependant au caractère très illiquide de ce portefeuille. La Cour a également constaté que ce secteur ne représente qu'une faible part des investissements d'intérêt général de la Caisse : entre 1 % et 6 % de 2004 à 2009. Cette tendance semble appelée à se confirmer à l'avenir, puisque la Caisse ne prévoit d'y investir que 3 % à 5 % du montant total des investissements d'intérêt général programmés pour 2010 à 2012, autofinancement compris.

Pour apprécier les évolutions en cours, il faut tenir compte de la stratégie d'investissement désormais clarifiée de la Caisse des dépôts : c'est le quatrième point. L'effort de clarification, mené par la direction du développement territorial et du réseau (DDTR), a rendu plus lisibles les doctrines d'action de la Caisse comme « investisseur avisé d'intérêt général ». La DDTR s'est d'ailleurs réorganisée en 2008 par la création du département « gestion des participations et économie mixte ». Grâce à la professionnalisation du métier d'investisseur et à l'instauration d'un corps de doctrines d'action, l'établissement public est en mesure de mieux affirmer ses principes d'intervention dans les projets structurants des collectivités territoriales et de rationaliser les différents segments de son portefeuille de SEML, par une politique d'arbitrage des lignes non stratégiques. Les investissements sont désormais concentrés sur les secteurs mis en avant dans le plan stratégique « Elan 2020 » - les universités, l'économie de la connaissance, le développement durable et les énergies renouvelables, le développement numérique du territoire, le logement et la politique de la ville - sans que la forme juridique utilisée soit nécessairement une SEML. Même lorsqu'elle investit dans l'économie mixte, la CDC entre parfois au capital de filiales qui n'ont pas nécessairement elles-mêmes le statut de SEML, mais peuvent être des SCI, des SAS, des SA, etc. Il s'agit souvent de sociétés de projet et non de SEML généralistes, vouées à être pérennes.

La nouvelle stratégie de la Caisse la conduira à restreindre sa participation à un nombre limité de projets, sélectionnés non seulement en fonction de leur rentabilité financière à long terme, mais aussi sous l'angle de leur efficacité socio-économique, que la Caisse cherche désormais à mesurer. Pour ce faire, elle a développé une grille de cotation d'intérêt général des projets, qui mérite encore d'être affinée. Elle met également l'accent sur sa participation à la gouvernance des SEML, au travers d'une « Charte de l'administrateur » et de pactes d'actionnaires. Ces derniers restent toutefois à ce jour peu nombreux.

Le succès de ces nouvelles orientations reste un objectif de long terme. Au plan local, la Caisse se trouve en effet sollicitée par les collectivités et doit aussi tenir compte de certaines contingences. Elle doit dans le même temps gérer un stock de participations anciennes, faiblement rentables et peu liquides. Enfin la démarche d'évaluation des investissements d'intérêt général doit être développée.

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