Intervention de Jean-Jacques Jégou

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2010 : 1ère réunion
Réforme des retraites — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis :

« La prévision est un art difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir », écrivait Marc Twain. Il est pourtant un domaine où l'avenir semble écrit et où rien ne paraît pouvoir infléchir la tendance des prochaines années : nous vieillissons. Contrepartie de l'augmentation de l'espérance de vie, ce vieillissement est source de tensions pour notre système de retraite, durablement fragilisé par la crise. Les besoins de financement actuels seraient à peine couverts par le produit de l'impôt sur les sociétés !

La réforme des retraites, comme les mesures de gestion de la dette sociale, est dictée par l'urgence, ce qui conduit à reporter toute réforme systémique. Il ne faut cependant pas perdre de vue les échéances de long terme, car la présente réforme est loin d'être une panacée. Un nouveau débat sur les retraites et leur financement sera nécessaire avant 2020.

J'évoquerai d'abord l'équilibre financier de la réforme. A titre liminaire, je rappelle que le projet de loi respecte la nouvelle doctrine selon laquelle les dispositions fiscales et financières ne peuvent être adoptées que dans le cadre d'une loi de finances ou une loi de financement. Les nouvelles recettes affectées au financement des retraites seront donc examinées dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2011.

Le projet du Gouvernement vise à couvrir les besoins du système de retraite, évalués en fonction d'un des trois scénarios économiques établis par le conseil d'orientation des retraites (COR), plutôt optimiste selon moi. Quatre paramètres permettent d'agir sur le financement du régime par répartition : l'âge de départ à la retraite, la durée de cotisation, le taux de cotisation et le niveau de pension. La préservation du pouvoir d'achat des ménages étant une ligne directrice de l'action gouvernementale, ce dernier levier a été écarté.

Le Gouvernement a d'abord choisi de mobiliser les capacités contributives des actifs. La réforme 2003 a stabilisé le ratio entre durée de cotisation et durée de retraite par une règle de partage des gains d'espérance de vie constatés : deux tiers des gains doivent être consacrés à l'augmentation de la durée d'assurance. A l'horizon 2020, la durée de cotisation devrait être de 41,5 ans contre 40,5 aujourd'hui. S'agissant des mesures d'âge, la présente réforme repose, d'une part, sur le recul progressif de l'âge d'ouverture des droits de 60 à 62 ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956, à raison de quatre mois par an en six ans, d'autre part, sur le recul de l'âge d'annulation de la décote de 65 à 67 ans. Ces deux mesures s'appliquent à l'ensemble de la population active, sauf régimes spéciaux. Elles permettraient de financer 24 % du besoin annuel de financement du système de retraite en 2015 et 44 % de celui-ci en 2018. Je m'étonne cependant des différences entre les projections du COR et celles qui sont propres à chaque régime. Le rendement brut des mesures d'âge se trouve néanmoins réduit par l'extension de la période transitoire relative à la suppression du départ anticipé des fonctionnaires parents de trois enfants décidée à l'Assemblée nationale, et par l'élargissement du dispositif de carrières longues, principale mesure de solidarité de cette réforme avec l'augmentation des périodes de chômage non indemnisé validées gratuitement au titre des droits ouverts en début de carrière, et la compensation de l'interruption de carrière liée à la maternité. Quant à la prise en compte de la pénibilité, elle devrait être financièrement neutre pour le système de retraite puisque financée par la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

L'augmentation de l'effort contributif des fonctionnaires se traduit, quant à lui, par le relèvement du taux de cotisation des agents publics, la révision des modalités d'attribution du minimum garanti et la suppression du dispositif de départ anticipé des parents de trois enfants ayant quinze années de service. Au total, les mesures de convergence public-privé devraient couvrir 4,8 % des besoins de financement en 2015 et 9 % en 2018.

Le Gouvernement a enfin réaffirmé l'objectif fixé en 2003 d'un basculement de cotisations, dès que possible, entre le régime d'assurance chômage et la branche vieillesse. Dans le cadre du scenario retenu, le taux de chômage s'établirait à 7,7 % en 2015 et 5,7 % en 2020. Le basculement des excédents de l'Unedic débuterait progressivement à raison de 400 millions d'euros en 2015, 1 milliard en 2018 et 1,4 milliard d'euros en 2020. Compte tenu de l'expérience passée, ce pari me semble risqué. Je rappelle en outre que l'Unedic bénéficie d'une autonomie de gestion qui pourrait empêcher que cet engagement se concrétise.

Le deuxième volet de la réforme consiste à augmenter les recettes fiscales affectées au financement des retraites. Compte tenu de l'ampleur des besoins de financement, le Gouvernement a choisi, outre l'augmentation de certains impôts, d'y affecter une partie du produit de la révision des niches fiscales et sociales. Le système de retraite devrait bénéficier de 3,7 milliards d'euros supplémentaires en 2011, provenant pour 54 % de l'annualisation du calcul des allègements généraux. J'avais moi-même proposé cet amendement lors du dernier PLFSS, mais le ministre du budget m'avait alors répondu que la mesure était complexe et susceptible d'entraîner la suppression de 85 000 emplois. Il semble que les choses aient changé... Il conviendrait d'avoir un débat approfondi à ce sujet lors de l'examen du PLFSS.

Il faut noter en outre le renforcement de la taxation sur les stock-options et les « retraites chapeaux », deux niches sociales particulièrement mal perçues par nos concitoyens. Toutefois le rendement de ces deux mesures ne s'élèvera qu'à 180 millions d'euros en 2011. Les revenus du capital sont également mis à contribution pour un montant supérieur à un milliard d'euros en 2011, dont plus de la moitié provient de la suppression du crédit d'impôt sur les dividendes.

Selon les informations du Gouvernement, le système de retraite serait à l'équilibre en 2018. Je souhaiterai nuancer cette affirmation. Ma première réserve concerne la fragilité de l'équilibre financier si celui-ci est atteint. A partir de 2020, les besoins de financement devraient sensiblement augmenter : selon les hypothèses du COR, ils s'élèveraient en 2030 à 70,3 milliards d'euros, soit une progression de 56,2 % par rapport à 2020, contre 39,3 % entre 2010 et 2020. Le retour à l'équilibre ne signifie pas, par ailleurs, que tous les régimes de retraite seront excédentaires : le principal régime de base, le régime général, devrait encore enregistrer hors transferts un déficit de près de 4,4 milliards d'euros en 2018. Les excédents des uns compenseront-ils les déficits des autres ? Le nouveau bouclage financier, communiqué hier à 15 heures, fait apparaître la possibilité d'un transfert de l'Etat au profit de la CNAV, via le Fonds de solidarité vieillesse qui se verrait confier la charge de certaines prestations non contributives aujourd'hui assurées par le régime général, comme le minimum contributif. Ce transfert serait financé par le budget de l'Etat. D'autres transferts inter-régimes pourraient être décidés. Lors de son audition devant la commission des affaires sociales, Eric Woerth a expliqué qu'il ne serait pas choquant que le régime général bénéficie de transferts en provenance des régimes complémentaires. Mais comme pour l'UNEDIC, je rappelle que l'AGIRC et l'ARRCO sont gérés par les partenaires sociaux...

Ma deuxième réserve concerne la probabilité du retour à l'équilibre. Le Gouvernement est optimiste dans ses prévisions sur le taux de chômage, qui fluctue depuis 1985 autour de 9 % - le maximum et le minimum ayant été atteints en 1997 et en 2008 avec respectivement 10,8 % et 7,4 % - alors que le ministère espère le voir baisser à 7,7 % en 2015, à 5,7 % en 2020 puis à 4,25 % à partir de 2024. Cette diminution permettrait une augmentation des cotisations, une diminution des charges du FSV et le basculement des cotisations chômage. Mais le taux de chômage structurel est évalué en France à 8 % ! Je ne vois pas ce qui pourrait provoquer une telle amélioration. Les crises financières ne sont d'ailleurs pas des crises « ordinaires » après lesquelles le Produit intérieur brut (PIB) rattrape son niveau potentiel d'avant la crise. Selon mes calculs, compte tenu des hypothèses de croissance annoncées, le taux de chômage pourrait au mieux diminuer de 1,4 point en 10 ans pour atteindre 8 % en 2020.

Ma troisième réserve concerne la dette du système de retraite et le niveau des déficits entre 2011 et 2018. Le projet du Gouvernement prévoit l'adossement du Fonds de réserve des retraites à la Caisse d'amortissement de la dette sociale à compter de 2012 : 62 milliards d'euros de déficits devraient être repris à ce titre entre 2012 et 2018.

Jusqu'à hier après-midi, le schéma financier de la réforme laissait apparaître une dépense cumulée non financée d'environ 6,2 milliards d'euros : d'une part, selon les prévisions initiales du Gouvernement, le déficit cumulé après réforme devait être en 2018 de 64,3 milliards d'euros, soit 2,3 milliards d'euros de plus que la prévision de reprise ; d'autre part, les mesures adoptées à l'Assemblée nationale représentent un coût cumulé de 3,9 milliards d'euros entre 2011 et 2018, dont 0,3 milliard d'euros pour le lissage du dispositif des « carrières longues » et 3,6 milliards d'euros pour la suppression différée du départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants.

Fort heureusement, mes craintes sont apaisées. L'amélioration des perspectives macro-économiques conduit à revoir à la baisse le besoin de financement avant réforme de 1,4 milliard d'euros entre 2011 et 2018, et autorise à « doubler la mise » sur l'UNEDIC : 6 milliards d'euros seraient basculés d'ici à 2018 au lieu de 2,8 milliards d'euros. Les mesures introduites par les députés devraient donc être financées, et le déficit cumulé en 2018 atteindre 62,4 milliards d'euros, soit un montant proche de l'évaluation de la reprise.

Je m'interroge enfin sur la contribution de l'Etat, et plus largement des finances publiques, à la réforme des retraites. Le Gouvernement a annoncé le gel de l'effort de l'Etat afin que le financement des retraites de ses fonctionnaires ne pèse pas davantage sur le budget général. L'effort de l'Etat durant la prochaine décennie serait de 15,6 milliards d'euros, ce chiffre représentant l'augmentation de sa contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions» entre 2000 et 2010, non prise en compte par le COR dans ses simulations. Or la réforme de retraites est loin d'être neutre sur les finances publiques. J'ai identifié plusieurs dépenses connexes. La contribution de l'Etat au compte d'affectation spéciale « Pensions » augmentera bien en volume dans les prochaines années en raison d'un effet prix et d'un effet volume sur la masse des prestations à verser. Le budget de l'Etat continuera de financer, via les subventions d'équilibre, certains régimes spéciaux dont les charges ne cessent d'augmenter et ne seront pas compensées par les mesures d'âge à court terme. Pour rappel, les subventions d'équilibre ont représenté plus de 6 milliards d'euros en 2010. En outre, le financement des allègements généraux représente une charge croissante : entre 2007 et 2010, le coût de la compensation à la sécurité sociale des pertes de cotisations liées à cette politique aurait augmenté de plus de 10 %. Les collectivités locales, notamment les conseils régionaux et généraux, pourraient également faire les frais de cette réforme : le recul de l'âge de l'ouverture des droits allongera la prise en charge de certaines personnes au titre du Revenu de solidarité active (RSA), et les régions, responsables des Trains express régionaux (TER) et qui subventionnent à ce titre la SNCF à hauteur de 2,5 milliards d'euros par an, se sont vu demander un supplément pour combler le déficit plus élevé que prévu du régime des cheminots ; les sommes en jeu - entre 2 à 5 millions d'euros par an et par région, entre 44 et 100 millions d'euros au total - ne sont pas négligeables. Enfin, le recul de l'âge de départ à la retraite augmentera mécaniquement les dépenses au titre de l'invalidité, les pensions d'invalidité étant versées deux ans de plus. Il en va de même des dépenses d'assurance-chômage, le marché du travail ne pouvant s'ajuster parfaitement.

J'en viens à la question de l'impact de la réforme sur la fonction publique et les régimes spéciaux de retraite. L'enjeu financier est considérable : comme l'a rappelé, devant nous, le directeur du budget, le montant des pensions versées par les régimes des trois fonctions publiques a représenté en 2008 55 milliards d'euros, soit 22 % du total des prestations vieillesse versées cette même année.

La réforme des systèmes de retraite de la fonction publique apparaît aujourd'hui doublement nécessaire. Elle répond d'abord à un impératif d'équité : si la réforme de 2003 a permis d'amorcer la convergence entre les secteurs public et privé en alignant les durées de cotisations des deux régimes et en instaurant un système de décote et de surcote, des spécificités demeurent. Elle s'impose ensuite pour des raisons de soutenabilité financière : les projections actualisées du COR font apparaître un besoin de financement pour les régimes de retraite de la fonction publique de près de 20 milliards d'euros en 2015, soit environ la moitié du besoin de financement total des systèmes de retraites.

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