Il est beaucoup plus élevé. Je rappelle que l'équilibre du régime de retraite des fonctionnaires n'est qu'apparent et pèse directement sur le déficit public, puisque la contribution de l'Etat-employeur est calculée «fictivement » chaque année pour équilibrer le compte d'affectation spéciale « Pensions ». Entre 1990 et 2008, la part du budget de l'Etat consacrée à la charge des pensions a augmenté de près de 60 %, passant de 9,3 % du total des dépenses du budget général à 14,6 % en 2008. Cette situation n'est pas soutenable.
Les mesures proposées par le présent projet de loi vont dans le bon sens, mais des marges d'amélioration demeurent. Je regrette, par exemple, que les « catégories actives » de la fonction publique ne soient pas redéfinies et que la présente réforme ne s'applique que de façon différée aux régimes spéciaux. Comme pour le secteur privé, les mesures proposées dans la fonction publique sont d'abord démographiques ; tous les agents publics sont concernés, à l'exception des régimes spéciaux. Surtout, dans la continuité de la réforme de 2003, le projet rapproche les règles applicables dans les secteurs privé et public.
Ces mesures présentent néanmoins des limites. Le Gouvernement souhaite porter sur dix ans le taux de retenue sur pension des fonctionnaires de 7,85 % à 10,55 %, soit le taux de cotisation au régime de base et aux régimes complémentaires des non-cadres, pour la tranche de leur salaire en dessous du plafond de la sécurité sociale. J'appelle bien évidemment de mes voeux un rapprochement entre le public et le privé, mais pour simple et lisible qu'il paraisse, l'alignement des taux de cotisation risque de n'être qu'« optique» dans la mesure où il ne s'applique pas à la même base : l'assiette de ce taux correspond dans le secteur privé au salaire brut du salarié, tandis qu'elle correspondra au seul traitement brut, hors prime, dans la fonction publique. Les plafonds d'assiette pour les régimes de base et les régimes complémentaires ne s'appliqueront pas dans la fonction publique. Plus généralement, la nature des cotisations et le périmètre des charges financées par celles-ci sont très différents : les régimes de la fonction publique couvrent également le risque d'invalidité avant l'âge de soixante ans.
Les régimes publics et privés convergent aussi en ce qui concerne les droits familiaux. Cependant, la suppression dans le secteur public du départ anticipé des fonctionnaires parents de trois enfants après quinze ans de service, et celle de la majoration de pension pour conjoint à charge dans le secteur privé, n'exonèrent pas d'une réflexion plus approfondie sur les droits familiaux et conjugaux, encore très divers d'un régime à l'autre.
S'agissant enfin des minima de pensions, il est proposé de subordonner, comme dans le secteur privé, le versement du minimum garanti à deux conditions alternatives : disposer de la durée d'assurance nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein, ou avoir atteint la limite d'âge. Mais d'autres particularités du minimum garanti mériteraient à terme d'être réexaminées. D'une part, son montant dans la fonction publique est plus élevé - 1 067 euros - que celui du minimum contributif dans le secteur privé - 650,87 euros pour le minimum contributif majoré. D'autre part, le dispositif mis en place par la réforme de 2003 conduit à accorder un pourcentage plus élevé du minimum garanti pour chacune des premières années de service et, à l'inverse, un pourcentage plus faible pour les dernières années. Il n'incite donc pas ceux qui ont validé une durée plus longue à prolonger leur activité dans la fonction publique au-delà de l'âge minimum de liquidation.
Il est encore possible de faire progresser l'équité entre cotisants. Trois chantiers pourraient être ouverts : la garantie d'un taux minimal de remplacement dans le secteur privé, les modalités d'attribution des pensions de réversion - celles-ci sont versées sans conditions d'âge ni de ressources dans la fonction publique - et le réexamen des catégories « actives » de la fonction publique. Pour les « catégories actives », l'âge d'ouverture des droits peut être abaissé à 50 ou 55 ans. Or ces avantages résultent principalement de situations historiques : depuis, les conditions de travail ont évolué. C'est pourquoi je souhaiterais que le débat sur la pénibilité, restreint aux salariés du secteur privé, soit étendu à la fonction publique via un réexamen des catégories « actives ». S'il était mis fin dès 2011 à la possibilité de partir en retraite avant 60 ans, le gain serait d'environ 1,2 milliard d'euros en 2015 !
Enfin je déplore que la présente réforme ne s'applique que de façon différée aux régimes spéciaux de retraite, comme l'a rappelé Bertrand Auban.
Penchons-nous à présent sur les liens entre la présente réforme et la politique de l'emploi. S'agissant de la pénibilité, il ne me revient pas d'apprécier la qualité technique du dispositif proposé, mais je m'interroge sur son lien avec la réforme de retraites. Le problème de la pénibilité relève plutôt des conditions de travail, comme l'attestent indirectement les mesures proposées par le Gouvernement : l'accent est mis sur la prévention et la santé au travail, et la prise en compte de la pénibilité n'est que partielle, puisque seule la pénibilité physique constatée au moment de la retraite est prise en compte. En sont exclus les troubles psychosociaux qui demandent une prise en charge immédiate, et l'incapacité à venir qui résulte de l'exposition à des facteurs de pénibilité pendant la durée d'activité, mais se déclare après l'ouverture des droits à la retraite. Le financement de ces mesures sera assuré non par la branche vieillesse, mais par la branche accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP) par le biais d'une hausse des cotisations employeurs, qui pourront cependant être modulées par secteur d'activité.
Il faut également se préoccuper de l'emploi des seniors : les mesures d'âge proposées représentent un véritable défi car elles imposent de maintenir en activité des personnes âgées de plus de 60 ans alors même que la France se caractérise par un faible taux d'emploi des plus âgés. Il existe déjà des incitations à la poursuite d'activité, qui ont bénéficié selon le Gouvernement à 300 000 personnes : c'est à voir...
Le présent projet de loi tend à créer une aide à l'embauche spécifique. Le coût de cette mesure, de 55 millions d'euros, serait contrebalancé par la hausse des cotisations résultant du maintien dans l'emploi des plus de 60 ans : ces gains seraient de l'ordre de 100 millions d'euros pour chaque tranche de 10 000 seniors supplémentaires en activité. Je reste dubitatif quant à l'impact de cette mesure. Le recul de l'âge légal de départ à la retraite entraînera des dysfonctionnements sur le marché du travail : le Gouvernement le reconnaît lui-même puisqu'il prévoit une augmentation des dépenses du FSV au titre de la prise en charge des périodes de chômage validées, à hauteur de 1,8 milliard d'euros entre 2011 et 2020. La mesure proposée n'est pas à la hauteur des enjeux.
Quel sort réservons-nous enfin aux jeunes générations qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail ? Aujourd'hui le débat se focalise sur l'application des mesures d'âge aux générations qui sont proches du départ à la retraite. Or l'augmentation de l'effort contributif demandé aux jeunes actifs n'est pas compensée par des perspectives rassurantes sur leur futur niveau de pension. Certes, le Gouvernement a proposé de porter par voie réglementaire de quatre à six trimestres les périodes de chômage non indemnisées validées gratuitement au titre des droits à la retraite en début de carrière : j'y suis favorable. Mais il est important de prendre conscience de deux évolutions majeures qui ont un impact sur le système de retraite: d'une part l'entrée de plus en plus tardive dans la vie active, d'autre part la fragilisation des parcours professionnels. Ces deux évolutions pèsent sur la durée d'assurance et le taux de remplacement futur des jeunes générations.
Ce constat m'amène à mon quatrième point, le renforcement de l'épargne retraite. Pour parer aux incertitudes que nous laissons aux générations à venir, il est nécessaire de permettre à chacun de compléter sa future pension en fonction de ses revenus et de ses décisions d'épargne. Je proposerai des amendements inspirés par la volonté d'élargir l'accès à l'épargne retraite à un plus grand nombre de nos concitoyens, et de respecter un certain équilibre entre les produits qui peuvent être proposés afin que chacun puisse épargner en fonction d'un projet déterminé.
La présente réforme constitue pour tous ceux qui sont attachés à la sauvegarde du régime de retraites par répartition une étape indispensable car dictée par l'urgence. Toutefois elle n'en garantit pas la soutenabilité financière à long terme : il s'agit d'une « rustine » destinée à tenir jusqu'à la fin de la prochaine décennie, à supposer que l'on mette à contribution le budget de l'Etat et que l'on gagne un pari risqué sur l'amélioration de l'environnement économique. Mettons à profit les prochaines années pour réfléchir à une réforme de fond de notre système qui, dans sa configuration actuelle, aura du mal à relever le défi démographique à compter de 2020. En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux titres II, III, IV, V, V bis et V ter, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai dans un instant.